Parents pauvres du secteur touristique, les voyagistes tunisiens ont du mal à retrouver leur équilibre financier. Ils demandent l’aide de l’Etat.
Par Zohra Abid
Pas moins de 500 voyagistes, venus de toutes les régions, ont assisté, mardi 22 septembre, à la l’assemblée générale extraordinaire, organisée par la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV), à l’hôtel Le Royal Yasmine Hammamet.
Un tableau sombre
Les professionnels présents ont brossé un tableau noir de leur secteur en général et de leurs propres comptes en particulier et demandé l’aide du gouvernement. Si des solutions urgentes ne sont pas trouvées, ils seraient amenés à mettre la clé sous le paillasson et à mettre au chômage leurs employés, ont-ils menacé.
Les moins pessimistes, une minorité, ont appelé à la mise à niveau de leur secteur, dont ils ont énuméré les carences et les dysfonctionnements, tout en appelant à l’union sacrée, seul moyen pour reconquérir les marchés perdus et, pourquoi pas, en conquérir de nouveaux.
Pour les moins optimistes, et ils sont majoritaires, la situation est catastrophique et presque désespérée. Quelle solution, dans l’immédiat ? Trouver un terrain d’entente avec les hôteliers pour essayer de sauver les meubles, disent-ils. Il faut aussi que le gouvernement s’implique davantage dans la sauvegarde d’un secteur en perdition. Mais comment ? Là, ce ne sont pas les idées qui manquent, et elles ne sont pas nouvelles.
Les professionnels tunisiens du tourisme se contentent d’héberger (le verbe parquer aurait été plus juste) les clients dans des palaces, alors que le tourisme repose, surtout, sur la qualité de l’accueil (dans les aéroports, en ville, etc.), sur la découverte et sur l’animation culturelle. «Je m’adresse à la ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Selma Elloumi Rekik, au chef du gouvernement, Habib Essid, et président de la république, Béji Caïd Essebsi, pour qu’ils changent de stratégie et arrêtent de faire la manche», a lancé Mohamed Ali Toumi, président de FTAV, comme pour donner le ton, en attirant l’attention des responsables politiques sur la qualité de l’accueil des visiteurs dans les aéroports tunisiens et sur la sécurité dans le pays, «qui restent en-deçà des attentes».
Les agents de voyages au bord de la crise de nerfs.
Y a-t-il une chance pour sauver le métier ?
Certains voyagistes, qui aiment voir le verre à moitié plein, préfèrent positiver. On a besoin de 2 ou 3 bons producteurs de films tunisiens pour réaliser des documentaires à même de vendre la Tunisie, estiment-ils. «Nous avons un bon produit mais nous ne savons pas le vendre. Il est temps de donner une meilleure image du pays, qui ne manque pas de richesses et de diversités», explique, pour sa part, Moncef Chetoui. «Pour ne pas rester à la merci des tours opérateurs étrangers, il faut qu’il y ait aussi des tours opérateurs tunisiens capables de s’imposer dans les marchés émetteurs et d’y promouvoir leur pays, comme ont réussi à le faire les Turcs un peu partout dans le monde», ajoute-t-il. Autres solutions évoquées par M. Chetoui : «Les voyagistes, qui sont au bout du rouleau, doivent être exonérés des taxes pendant au moins 2 ans et trouver un terrain d’entente avec les sociétés de leasing».
Jamel Mlik pose, quant à lui, le problème du tourisme saharien, qui n’a jamais pu décoller, malgré les efforts consentis à cet effet. Selon lui, «ce secteur pourrait être très rentable, encore faut-il avoir une politique claire pour assurer sa promotion». Dans la zone oasienne du sud-ouest, où plusieurs hôtels ont été construits, la plupart sont aujourd’hui fermés. «Seuls deux établissements sont encore ouverts. Et ils travaillent au ralenti», a-t-il déploré.
Se tourner vers d’autres contrées
Sihem Zaïem a évoqué, pour sa part, les problèmes de l’environnement, et notamment ceux liés à la levée et à la gestion des ordures, qui handicapent l’activité touristique en Tunisie. Elle a pris l’exemple de Singapour, qui a mis le paquet dans ce domaine pour séduire les visiteurs étrangers. Ce pays asiatique a ainsi réussi à faire de la propreté un important argument de vente. Un bon exemple à suivre…
«Le marché tunisien ne se remettra pas avant 4 ou 5 ans. Beaucoup de visiteurs européens ne reviendront pas dans notre pays. Ils sont déçus par les services dans nos hôtels et autres carences qui rongent profondément le secteur», prévient Sihem Zaïem.
«Nous devons chercher ailleurs de nouveaux clients. On pourrait vendre la Tunisie aux Hindous, par exemple, qui sont intéressés par notre pays. Je viens d’en avoir la confirmation par une délégation hindoue ayant séjourné récemment parmi nous», ajoute la voyagiste.
Mohamed Ali Toumi, président de la FTAV, ameute ses troupes.
«Changer le métier sinon changer de métier»
Faouzi Bouguila a proposé, quant à lui, d’aller vers l’Afrique subsaharienne. «L’année dernière, le marché maghrébin, notamment algérien et libyen, a sauvé un tant soit peu la saison. Nous devons penser à nous ouvrir sur l’Afrique subsaharienne. Là-bas aussi, il y a des gens riches. Ils dépensent plus que les Européens et sans compter. Une rencontre avec les hôteliers et les compagnies aériennes, notamment Tunisair, s’impose pour identifier les problèmes et trouver ensemble des solutions pour ramener cette clientèle potentielle», a-t-il préconisé.
Dans cette atmosphère de grisaille, Nadia Ghozzi préfère apporter une lueur d’espoir. «Relativement à d’autres secteurs, nous sommes plus ou moins chanceux et n’avons pas à pleurer sur notre sort», lance-t-elle à ses collègues. Elle ajoute: «Il est vrai que les choses tournent difficilement pour la plupart de nos collègues, mais n’oublions pas que certains d’entre nous ont eu la chance de bien travailler, ne fut-ce que par intermittence. Quelques uns viennent de faire fortune cette année grâce à la ômra (pèlerinage à la Mecque, NDLR). Si on créait ensemble un fonds de solidarité, nous pourrions rebondir ensemble, redresser la barre et nous remettre de nouveau sur pied».
Cette proposition n’a pas laissé insensible Zouheir Mbarek, qui a appelé ses collègues à se prendre eux-mêmes en charge. «Le marché international ne reviendra plus jamais à ce qu’il était auparavant si nous ne changions pas de stratégie. Nos méthodes sont trop classiques et dépassées. Nous devons changer notre métier sinon changer carrément de métier», a-t-il lancé. La formule, qui sonne comme une douloureuse autocritique, a fait mouche.
Au terme de l’assemblée générale, les voyagistes sont passés au vote et ont décidé presque à l’unanimité d’organiser, le 8 octobre prochain, une opération escargot dans les rues de la capitale pour attirer l’attention des politiques et des citoyens sur leurs problèmes.
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