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L’université tunisienne est en danger !

Faculte-des-lettres-Manouba

Si toute réforme se heurte à l’esprit d’inertie, nous aboutirons bientôt à la perversion de la révolution et nous aurons instauré une démocratie fallacieuse.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

Les nombreux étudiants massés, tôt ce matin, mercredi 6 janvier 2016, devant le grand portail cadenassé de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, et ainsi empêchés d’accéder aux salles d’examen en ce premier jour de la session des épreuves du premier semestre sont à l’image de tout un pays où la recherche du moindre effort est devenue presque la règle.

Le nivellement par le bas

Voilà, en effet, un syndicat d’étudiants qui impose son diktat à tout le monde et, après cinq semaines de perturbation des cours, décide une grève des examens suite au refus des autorités académiques de procéder à «un allègement des épreuves» et à l’annonce, à l’avance, de LA matière sur laquelle auront à plancher les candidats aux dites épreuves ! Pour ce faire, nos syndicalistes en herbe ont pris l’ensemble de leurs camarades en otage en leur fermant au nez, tôt le matin, la porte de l’établissement avec force chaînes et cadenas !

Si le droit de grève est reconnu aux structures syndicales estudiantines, le droit au savoir et aux études n’aurait-il pas également, au moins, droit de cité?

Il faudrait ici rendre hommage au sens des responsabilités des membres du conseil scientifique de la Faculté qui n’ont pas accepté ce nivellement par le bas auquel conduit immanquablement la préparation par le candidat de la seule matière susceptible de «tomber» à l’examen en faisant l’impasse sur toutes les autres.

Ainsi, au lieu de céder aux sirènes de la démagogie en bradant nos diplômes et en encourageant la paresse chez certains de nos étudiants, le corps des enseignants a opté pour la voie la plus difficile, celle de la sagesse et qui consiste à préserver la valeur du travail, celle qui inculque le sens de l’effort, celle qui cultive la recherche du savoir et non le laxisme, le bachotage et le bourrage de crâne.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la décision de la fermeture de la Faculté jusqu’au 12 janvier 2016 ainsi que celle de l’annulation pure et simple de la session des examens du premier semestre.

Prolongation indue des vacances

Nos étudiants et, plus spécialement, leurs dirigeants syndicaux, devraient réfléchir deux fois plutôt qu’une avant de se lancer dans de pareilles opérations aventureuses fort préjudiciables à la réputation – ou ce qui en reste – de nos universités. Ils devraient savoir que des diplômes au rabais ne font que discréditer davantage encore notre enseignement supérieur et annoncer la mort prochaine de l’Université tunisienne. Ils devraient se rendre compte que le cours de tels diplômes est proche du zéro sur le marché du travail comme le prouveraient, si besoin était, les cohortes de diplômés au chômage. Ils devraient prendre conscience encore que, dans le monde hyper spécialisé d’aujourd’hui, il vaudrait mieux privilégier la course au savoir et aux connaissances plutôt que la course aux «parchemins».

Savez-vous, chers étudiants, que l’Américain Edward Snowden, ce crack en informatique et lanceur d’alertes aujourd’hui mondialement connu, sans détenir de véritables titres universitaires, a occupé des postes techniques importants à la CIA et à la NSA dont il a collecté et révélé plusieurs programmes d’écoute et de surveillance de masse aux États-Unis et dans de nombreux autres pays à travers le monde? S’il a pu accéder à des postes aussi «high tech», il le doit à son savoir, à sa grande connaissance des subtilités de l’univers informatique et non à ses «parchemins».

Ce sont là des vérités dont il faudrait convaincre, cependant, non seulement nos étudiants, mais aussi, hélas, nos jeunes élèves des lycées qui, depuis le retour en classe après les vacances d’hiver, semblent avoir déserté les salles de cours un peu partout dans le pays. Motif invoqué pour cette prolongation indue des vacances, la suppression de la semaine bloquée et le déroulement des examens semestriels parallèlement à la poursuite normale des cours. Ce serait là, selon nos pauvres choux, une situation trop harassante et stressante !

La perversion de la révolution

Avant de conclure, un détour par le poste frontalier de Dehiba, pour constater les risques où peut mener la désobéissance civile qui se propage lentement mais sûrement dans toutes les couches, hélas, de notre société pour qui le terme de civisme est devenu lettre morte.

Depuis quelques jours, en effet, à Dehiba, ce sont les trafiquants et contrebandiers qui imposent leur loi, coupent des routes et incendient des pneus sur la chaussée. Le motif invoqué est là aussi très édifiant puisqu’il s’agit, selon les intéressés, de protester contre les contrôles auxquels les soumettent  les agents de la Garde nationale dans leur traque de la contrebande de l’essence importé de Libye et qui cause de grandes pertes à la Trésorerie publique.

Ainsi, si toute réforme se heurte à l’esprit d’inertie et si tout le monde veut commander à la fois et se substituer à la hiérarchie et aux autorités reconnues en place, nous aboutirons bientôt à la perversion de la révolution et nous aurons instauré une démocratie fallacieuse. Ce sera alors le règne de la gabegie!

L’année 2016 sera-t-elle, qu’à Dieu ne plaise, un remake de 2015?

* Universitaire.

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