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La charité bien ordonnée des pays amis

Mendicite

L’auteur met en garde contre l’appétit de certains pays amis et bailleurs de fonds internationaux qui cherchent trop notre bien.

Par Ezzeddine Ben Hamida*

Milton Friedman (1912-2006, économiste ultra-libéral, Prix Nobel d’économie en 1976) considérait  que «les crises sont des périodes propices pour engager des réformes structurelles». Ainsi, la crise que nous traversons actuellement en Tunisie va nous imposer des réformes douloureuses. Il faut donc y prendre garde.

Acte de générosité ou manœuvre pernicieuse?

La France vient de proposer à la Tunisie des prêts d’un montant global de 1 milliard d’euros dont les versements sont échelonnés sur 5 ans.

Pourquoi un échelonnement sur 5 ans et non pas un versement unique? D’ailleurs, l’urgence sociale et le marasme économique et financier n’exigent-ils pas, de la part de la Tunisie, des mesures immédiates pour absorber la colère de la rue? A la limite, pour des considérations budgétaires, on aurait pu comprendre un versement en deux fois!

Non, la France a prévu un calendrier qui répond sans doute à un agenda bien précis.

En fait, tout dépendra de la volonté des autorités tunisiennes à accepter ou non les conditions françaises. Des conditions qui seront avisées à petites doses en fonction des circonstances économiques et des opportunités politiques.

On pourrait essayer de deviner les conditions françaises : 1- permettre une prise de participation des banques françaises dans certaines banques publiques tunisiennes, en l’occurrence la Société tunisienne de banque (STB), la Banque nationale agricole (BNA) et la Banque de l’Habitat (BH); 2- permettre aux firmes agro-alimentaires françaises de disposer de certains terrains agricoles d’Etat; 3- permettre l’accès à la propriété aux étrangers en supprimant le délai d’attente de 3 ans; un délai qui est encore en vigueur et que Mehdi Jomaa a cherché déjà à réduire à 3 mois. Cependant, la mobilisation de la société civile l’a obligé à faire marche arrière.

Pays amis ou des capitalistes carnivores ?

D’une manière plus générale, les organisations internationales et les puissances économiques, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, les Emirats arabes unis, le Qatar, etc., vont proposer leurs «aides» à la Tunisie, qui a dos au mur et hésiterait beaucoup à tergiverser.

Ces pays qualifiés d’«amis» voire de «frères» pour certains vont chercher sans scrupule à convertir leurs emprunts en investissements ce qui constitue à nos yeux une tromperie grossière. En effet, la conversion de la dette prend généralement la forme en prises de participation dans les entreprises publiques et, notamment, le secteur bancaire.

Ces capitalistes «carnivores» vont aussi suggérer – en toute amitié, bien évidemment – des réformes ultralibérales, qui auraient des conséquences sociales douloureuses : désengagement de l’Etat, déréglementation et privatisation de ce qui reste des entreprises publiques. Ces réformes sont pour eux nécessaires pour mieux asservir les pays débiteurs.

Que faire alors ?

Notre salut national ne peut venir que de notre cohésion et solidarité nationales. Il faut, tout d’abord et entre autres décisions inscrites dans un plan de redressement national, refuser le paiement des dettes douteuses qui incombent à l’ancien régime et qui sont de l’ordre de 10 milliards de dollars, ou bien demander son rééchelonnement ou un moratoire, pour permettre au pays de sortir la tête de l’eau (voir notre contribution à ce propos : «Faut-il rembourser une dette illégitime?»). Cette demande, à laquelle les bailleurs de fonds internationaux resteront sourds, ne pourra aboutir sans une solidarité infaillible et inébranlable de toutes les composantes notre société. Et une volonté ferme de s’en sortir en comptant sur nos propres moyens.

* Professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble).

 

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