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La Tunisie au ballet des chefs de gouvernement

Habib-Essid-et-Youssef-Chahed

Bye bye Essid, bonjour Chahed: la Tunisie au ballet des chefs de gouvernement. 

Aussitôt désigné, Youssef Chahed lance à tour de bras des soi-disant vérités qui sont autant d’euphémismes et de poncifs nés de l’incurie de tous les gouvernements précédents.

Par Yassine Essid

Il est de tradition qu’un Premier ministre, fraîchement investi, entame des pourparlers et des consultations avec divers représentants de partis, mouvements et forces politiques en vue de former son équipe. Dans ce domaine, ses horizons dépassent rarement ceux de son prédécesseur.

Par conséquent, on ne fait que tourner en rond et les raisons mêmes de ce chamboulement des lois du temps s’évanouissent dans cette sereine giration. Mais le fait que le chef de gouvernement désigné, Youssef Chahed, soit tenu de reprendre à son compte les promesses laissées en plan par le chef de gouvernement sortant, Habib Essid, balayé par la tempête que le président de la république, Béji Caïd Essebsi, avait décidé d’organiser, ne l’empêche pas d’avoir le charisme surnaturel d’opérer des miracles.

M. Chahed a d’ailleurs présenté avec une incroyable célérité une liste de priorités, d’objectifs d’avenir et des travaux à accomplir qui ne sauraient exister indépendamment de la triste réalité et s’imposent dans l’urgence à l’esprit de tout un chacun.

Des paroles auxquelles plus personne ne croit

Sauf que, pas d’argent, pas de solutions. Et la meilleure des bonnes volontés se transformera vite en impuissance et se heurtera à l’écueil dès qu’elle passe de la théorie à la réalité. Le miracle n’étant pensable qu’en fonction de la foi, le chef de gouvernement désigné, qui s’est rapidement initié à la parole publique, a puisé dans les traités de manipulation rhétoriques à l’usage des innocents ses plus vagues engagements. Comme celui de «garantir l’efficience de l’action gouvernementale face aux grands défis futurs», de «sortir avec une vision claire de la composition et de la structure du prochain cabinet», et qu’«étant donné le caractère urgent des attentes qui sont, en plus, grandes et multiples, le prochain gouvernement doit entamer le travail dès les premiers jours de sa prise de fonction».

Il lance ainsi à tour de bras et sous la foi du serment des soi-disant vérités qui sont autant d’euphémismes, de formules vides de sens, de paroles machinales qui paralysent la raison, de poncifs nés de l’incurie de tous les gouvernements précédents que personne ne croit plus.

En attendant de parler au peuple le langage qu’il comprend sur les sujets qui l’angoissent, et surtout l’informer des problèmes réels qui demandent des réponses fortes et courageuses et les sacrifices qui vont avec, M. Chahed a préféré ressasser des idées qui agitent nos esprits depuis bientôt cinq ans. Inutile donc de faire preuve d’imagination, de beaucoup d’imagination, pour retrouver la même mélodie du pouvoir : reconnaître qu’un nouveau gouvernement doit lutter contre le terrorisme, venir à bout de la corruption, améliorer le service public, réformer l’éducation, relancer les investissements, diminuer l’endettement, réduire le chômage, instaurer la paix sociale et, avec le peu d’argent qui reste, assurer éventuellement la préservation de l’environnement. Autant d’engagements de moins en moins crédibles ainsi que leurs auteurs devenus aujourd’hui la risée des médias et des réseaux sociaux.

Tout cela est de nature à jeter la suspicion et donc le discrédit sur la sérénité et l’objectivité du prétendu gouvernement d’union nationale autant que sur celui qui est appelé à en assurer la pérennité.

Le problème majeur de la Tunisie, qui ne manquera pas de perdurer malgré les changements d’équipe et le soutien moral des deux grands manitous protecteurs (en l’occurrence Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi), relève de la compétence des politiciens bâtisseurs plutôt que des novices qui ne font qu’imiter les mouvements des chefs.
En finir avec les lubies, rêveries et mensonges

En effet, la Tunisie d’aujourd’hui ressemble fort à un édifice insalubre, délabré, malsain, qui menace ruine, n’offre plus les garanties de solidité nécessaires et pourrait à tout moment compromettre la sécurité et la survie de ses résidents. Il requiert, par conséquent, la mise en œuvre d’une procédure de danger plutôt que celle de réfection ou de renouvellement.

Youssef Chahed, au lieu d’expliciter l’objet d’un péril imminent, prescrit plutôt des travaux de raccommodages dans un pays qui se délite. Il ne faut donc plus s’étonner à ce que les mœurs politiques autant que les discours officiels atteignent aujourd’hui les sommets de l’escroquerie mais ne trompent plus personne. Le Premier ministre récemment désigné à la bonne bouille bien banale, qui paraît calme et bien élevé, qu’on imagine ayant été un élève respectueux et appliqué, toujours assis au premier rang mais rejeté par ses camarades car réputé cafteur. Quant à ses futurs ministres qui tournent leur veste politique au gré des vents, qui pensent faux et agissent à contresens, ils auront du mal à reprendre la main en matière d’économie et d’emploi, de dépense publique, de justice, de police, de reconstruction d’une Education nationale en pleine déconfiture, et d’autres chantiers et d’autres désordres.

Toute administration politique future est désormais affaire de résilience. Autrement dit, la capacité du pays d’absorber les effets de profondes perturbations morales et matérielles, à retourner à son état initial, et retrouver un fonctionnement normal après le long règne d’un impardonnable laisser-aller.

En cinq ans, les Tunisiens se sont rendus compte à la fois de l’ampleur des périls présents et à venir et de l’inaptitude de tous les gouvernements à y faire face avec vigueur, détermination et célérité. Des questions telles que la reprise économique, la relance de l’emploi, la lutte contre la corruption, la misère sociale et les enjeux de la sécurité liés à folie extrémiste demeurent entières.

On se demande par conséquent si la Tunisie, à l’instar des organismes vivants, est capable de résister ou de céder davantage à ces désastres, à se régénérer afin de retrouver un jour paix et sérénité, autrement dit revenir à son point d’équilibre.

Un tel dessein exige que s’opère, d’un côté, un changement significatif dans le mode du gouvernement et, de l’autre, une sérieuse remise en question des stratégies des partis politiques et leurs élus rentiers et mégalomaniaques qui agissent comme des groupes d’intérêt et non pas en organisations dont les membres sont désintéressés et sincèrement préoccupés du bien commun.

Les méga-ministères promis par M. Chahed vont se mettre à ânonner leur mantra afin que le prochain gouvernement rétablisse le cercle vertueux : relance de la production et de l’emploi, redressement de la compétitivité des entreprises, rationalisation de la dépense publique, réforme fiscale, et tout le tralala. Mais ce qui paraît simple, évident et urgent est difficile et périlleux politiquement. Syndicats et autres bateleurs de rue, s’ils ne veulent pas se couper de leur base, ne manqueront pas de réagir, plus préoccupés de défendre leurs intérêts corporatistes, de conserver leurs avantages que de mettre le pays sur les voies concrètes de l’efficacité économique et de l’emploi pour tous. C’est ainsi qu’on s’enfoncera chaque jour un peu plus dans la déliquescence.

La politique conduite par les gouvernements successifs a été un échec considérable, aura peu servie à convaincre les dirigeants de ce pays qu’il est grand temps d’en finir avec les lubies, rêveries et mensonges et que la morale politique, le reconnaissance de la réalité des faits, le souci de l’intérêt général et la primauté de la loi demeurent les seuls fondements solides susceptibles de mener à une gestion un peu plus énergique.

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