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Cinéma : ‘‘Enquête au paradis’’, en attendant les houris…

Nedjma enquête sur les houris du paradis… 

‘‘Enquête au paradis’’, documentaire-fiction algérien de Merzak Allouache est en ce moment dans les salles tunisiennes. Il pointe les dangers de l’endoctrinement religieux…

Par Fawz Ben Ali

Merzak Allouache est une figure du cinéma algérien connu notamment pour ‘‘Omar Gatlato’’ (sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, 1976) ou encore ‘‘Salut cousin !’’ (Tanit d’or des Journées cinématographiques de Carthage, 1996), ‘‘Le repenti’’, ‘‘Madame Courage’’… A 74 ans, il choisit de scruter de près la société algérienne contemporaine dans son nouveau film ‘‘Enquête au paradis’’ dans un format documentaire agrémenté de petites doses de fiction.

Sorti le 17 janvier 2018 en France sous les éloges de la presse et des critiques français, ce film arrive en Tunisie deux semaines plus tard grâce à Hakka Distribution qui le programme dans quelques salles du Grand-Tunis et des régions, ce qui ne peut que nous ravir car ce fut un temps où on ne pouvait voir ce genre de films d’auteur qu’à certaines manifestations cinématographiques comme les JCC ou Doc à Tunis.

Les distributeurs tunisiens ont donc bien fait de troquer les comédies égyptiennes commerciales et les films d’action américains pour un cinéma indépendant de grande qualité.

Le rôle de la journaliste Nedjma joué par Salima Abada.

Un paradis fantasmé

La fiction dans ce film se résume au personnage de Nedjma (jouée par Salima Abada), une journaliste dans un quotidien algérien qui tombe un jour sur une vidéo (ayant fait le buzz sur internet) d’un prédicateur islamiste décrivant dans les moindres détails la beauté et la sensualité des 73 houris qui attendent chaque «bon musulman» au paradis.

Encouragée par son collègue Mustapha, la jeune journaliste décide de consacrer sa prochaine enquête à l’impact de ce genre de vidéos sur les jeunes algériens. «Comment imaginez-vous le paradis ?», une question que pose le cinéaste à travers le personnage de Nedjma (un prénom que le cinéaste dit avoir choisi en hommage à l’écrivain algérien Kateb Yacine pour son roman ‘‘Nedjma’’).

«Comment imaginez-vous le paradis ?»

La journaliste sillonne le pays de long en large à la rencontre d’Algériens de tout âge et de tout milieu pour finalement avoir des réponses assez similaires «Oui les 72 vierges seront bien là à nous attendre (…) ça sera notre récompense…».

Ainsi, une grande partie des Algériens (et on imagine qu’ils ne sont pas les seuls) ont une image presque pornographique du paradis, véhiculée par les différents nouveaux représentants de l’islam (prédicateurs, cheikhs, imams…).

Le film met le doigt sur ce mal du monde arabo-musulman qu’est l’endoctrinement religieux et tous les dangers que cela peut entraîner. Avant, les endoctrineurs n’avaient que les mosquées, mais aujourd’hui, leurs discours affluent de partout à travers les chaînes satellitaires et les réseaux sociaux.

L’islamisme a provoqué des ravages dans la tête des gens simples. 

«Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvage !»

Si l’Algérie avait souffert toute seule dans les années 90 de l’islamisme, aujourd’hui, c’est le monde entier qui est pris pour cible face à la place grandissante et inquiétante qu’occupe désormais la religion.

Le cinéaste a fait le choix de tourner tout le film en noir et blanc, un choix esthétique qui met l’accent sur l’aspect tragique de ce fantasme du paradis, car les témoignages recueillis nous placent face à un profond mal-être d’une jeunesse et de tout un pays marqué par la misère, le chômage et la frustration sexuelle, s’accrochant à l’idée d’un au-delà merveilleux.

Kamel Daoud : «Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvages !»

Le film s’interroge aussi sur la place de la femme dans cette société qui se complaît dans une sorte de bigoterie abrutissante. «La femme incarne le désir, la tentation et donc le mal !», entend-on certains jeunes le répéter.

Souhaitant prendre aussi l’avis des Algériennes, la journaliste s’étonne que les femmes (jeunes et moins jeunes) fuient la caméra et refusent de se donner la parole. «Là où la femme est libre, les peuples sont libres. Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvages !», tranche l’écrivain Kamel Daoud, invité à s’exprimer sur ce sujet dans ce documentaire, lui qui avait fait l’objet d’une fatwa en 2014 lancée par un imam autoproclamé.

L’écrivain Boualem Sansal, la comédienne Biyouna et d’autres artistes et militants algériens se sont aussi exprimés dans ce film pour contrebalancer les propos obscurantistes. Mais faut-il faire nécessairement partie de ce cercle très sélect des artistes et intellectuels pour échapper à la bigoterie religieuse? C’est en tout cas ce que semble confirmer le film où seule l’élite dispose encore d’une réflexion et d’un discours raisonnables.

La journaliste s’étonne que les femmes (jeunes et moins jeunes) fuient la caméra.

Malgré sa durée de 2h15, ‘‘Enquête au paradis’’ n’est à aucun moment tombé dans la répétition ou n’a donné la moindre sensation d’ennui. La panoplie d’intervenants et «l’enquête» savamment menée en font un beau film qui incite à la réflexion et à la remise en question de l’ici et de l’au-delà.

‘‘Enquête au paradis’’ est en ce moment dans les salles ABC (centre-ville de Tunis), Ciné-Amilcar (El-Manar) et Ciné-Mad’art (Carthage).

Bande annonce du film. 

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