Accueil » Municipales 2018 : La claque des électeurs aux fossoyeurs de la Tunisie

Municipales 2018 : La claque des électeurs aux fossoyeurs de la Tunisie

L’abstention massive qui a marquée les municipales d’hier, dimanche 6 mai 2018, en Tunisie, délégitime totalement les conseillers municipaux élus et constitue une gifle à la classe politique qui a perdu et est fortement rejetée.

Par Rachid Barnat

Les élections municipales viennent de se dérouler et les Tunisiens ont donné aux politiques une leçon sévère en s’abstenant massivement. Ce taux d’abstention (anormal dans une élection locale qui, habituellement, doit intéresser par sa proximité) était prévu, même si on ne peut s’en réjouir.

Ils ont tous perdu, à commencer par Ennahdha et Nidaa

Il est clair, malgré les discours des uns et des autres, que c’est toute la classe politique qui a perdu et qui est fortement rejetée. Aucun parti, même Ennahdha, pourtant placé en tête, ne peut se prévaloir d’une quelque victoire que ce soit : ils ont tous perdus de nombreux électeurs; et quand on prend en comporte l’abstention, ils n’ont plus aucune légitimité politique. Quant à Ennahdha, si l’on rajoute le taux des indépendants et ceux de Nidaa Tounes, il a complètement perdu. Le résultat n’est qu’un tour de passe-passe juridique avec une loi électorale machiavélique.

Cette abstention massive délégitime totalement les élus. En droit, ils sont élus mais ils ne représentent rien, alors surtout que des irrégularités ont, semble-t-il, étaient commises par les islamistes, comme le souligne un communiqué de Nidaa Tounes.

Voilà la Tunisie avec des municipalités illégitimes qui ne pourront conduire aucun projet sans l’adhésion des citoyens !

Cependant, la situation reste grave. Certains se lamentent parce qu’Ennahdha est en tête et que le Maire de Tunis (la vitrine du pays) va être une islamiste mais ceux-là qui se lamentent ont quelquefois soutenu la politique de Nidaa Tounes et de son fondateur Béji Caïd Essebsi qui, par son alliance avec eux a contribué à donner une légitimité et une respectabilité aux Frères musulmans alors que la seule politique valable était de les combattre pied-à-pied et à montrer leur nuisance.

Nidaa Tounes a fait le lit des islamistes et maintenant les lamentations ne servent à rien, le pays fait un pas de plus vers la régression.

Rassurez-vous Ennahdha est trop habile pour abuser, pour le moment, de sa victoire. Il va continuer à placer ses pions, à avancer, à islamiser un peu plus le pays et quand le fruit sera bien mûr, alors et alors seulement, il montrera son vrai visage et installera sa dictature religieuse, exactement ce qu’avait fait le Turc Erdogan, celui que Ghannouchi adule et prend pour modèle !

Le naufrage de la démocratie

Cette abstention est donc une forte claque à la classe politique tout entière (président de la république et partis) à qui les Tunisiens ont manifesté leur absence totale de confiance doit nous appeler à en tirer des conclusions et à rechercher les responsabilités de ce naufrage de la démocratie dont tous les partis se gargarisaient et qu’ils ont détruit. Oui, il faut rechercher et nommer les fossoyeurs de cette démocratie et par là même les fossoyeurs du pays.

Les observateurs ont maintenant assez de recul pour juger le «Printemps tunisien» et si tout n’est pas fini, l’histoire se continuant et pouvant créer des surprises, il est tout de même possible de dire que la régression s’est emparée du pays et de ses élites.

Devra-t-on, un jour, enseigner que le temps de Bourguiba qui, quels que soient ses défauts, avait conduit le pays sur la route du progrès, n’était qu’une parenthèse, une exception dans le monde arabe et que cela ne pouvait pas durer?

C’est, hélas, le sentiment que l’on a, lorsque l’on examine ce qui a suivi l’ère Bourguiba.

Il y eut d’abord la période Ben Ali qui eut pour résultat, en limitant les libertés et notamment la liberté de penser et de s’exprimer, de donner naissance à une génération d’hommes et de femmes sans idéaux, seulement soucieux de gagner de l’argent par tous les moyens, même les plus condamnables, de détruire tout le système d’enseignement mis en place par Bourguiba et qui a donné naissance, là encore, à une génération ne maîtrisant plus rien, ni l’arabe, ni le français. Et encore moins les sciences. Période qui fit de la corruption un mode de fonctionnement du haut en bas de la société, les premiers corrompus étant le président lui-même et sa famille.

Dans ces conditions, la «Révolution du Jasmin», comme on l’a appelée aussi, n’a pas trouvé une élite digne et soucieuse de faire progresser le pays. Elle a vite été accaparée par les islamistes d’un côté, et de l’autre, par des opportunistes sans projet autre que celui de se servir.

Dans ces conditions, ce qui aurait pu être une magnifique opportunité pour le pays, que le monde entier était prêt à aider, s’est transformé en une lente régression laissant une idéologie rétrograde prendre petit-à-petit ses quartiers, infester comme une peste la société, décourager une partie des élites et de la jeunesse qui ne s’est plus reconnue dans cette nouvelle Tunisie et qui, pour ceux qui le pouvaient, à abandonner ce pays à son sort. Et le comble est que tout cela fut facilité par ceux-là mêmes qui étaient censés préserver les Tunisiens des Frères musulmans : Béji Caïd Essebsi er Nidaa Tounes !

Si Ben Ali avait créé par sa gouvernance calamiteuse les conditions de la situation actuelle, il ne faut pas écarter les responsabilités indiscutables et fortes de la classe politique post-révolution.

L’élite et la fable de l’islamisme modéré

Ce que l’histoire retiendra sans aucun doute de cette classe politique, c’est qu’elle n’a pas eu la lucidité de percevoir clairement le danger que représente et représentera dans l’avenir l’islamisme politique. Par lâcheté, par incompréhension des enjeux et par opportunisme, elle a accepté de croire à cette fable de l’islamisme modéré alors que l’histoire récente aurait dû lui apprendre qu’il n’y a jamais d’islamisme modéré; et que modérés au début, pour prendre le pouvoir, les islamistes deviennent toujours, sans exception, des dictateurs. Cela est d’ailleurs dans la nature même de l’idéologie qu’ils représentent; puisqu’ils usurpent le nom de Dieu et agissent, nous disent-ils en blasphémant, en son nom !

S’ajoute à ce manque de clairvoyance, la croyance complètement irréaliste de certains que l’heure de leur propre idéologie était arrivée : on a vu les utopistes panarabistes, les croyants du grand soir social, ces communistes immatures, tous ceux qui n’ont rien appris de l’histoire penser que leur heure était arrivée !

Ceux-là qui n’ont pas compris qu’il y avait des priorités et qu’éliminer le danger islamiste était une priorité absolue, portent et porteront face à l‘histoire la responsabilité du déclin de la Tunisie.

Et que dire des médias dont les journalistes trahissent une complaisance souvent obséquieuse envers les membres du parti Ennahdha, hésitant à poser les questions qui fâchent. Manque de courage ou volonté de séduire leurs «futurs patrons»? Ils semblent craindre leur «terrorisme».

Ce faisant, ils participent à leur Com’, en banalisant l’islamisme dont ils se font complices par leur silence sur le danger du wahhabisme dont ils se servent et qu’ils diffusent tel un poison dans la société tunisienne.
S’ils savaient le mépris dans lequel les tiennent les Frères musulmans (ils en ont eu un aperçu lors de leur première prise du pouvoir en 2012) et le sort que leur réserve Ghannouchi le jour où il aura tous les pouvoirs : il suffit pour cela de voir ce que fait Erdogan des journalistes turcs.

Enfin et c’est peut-être le plus grave, il y a eu une grande partie de la bourgeoisie centriste qui, pour garder le pouvoir ou, plutôt l’apparence du pouvoir, a décidé de coopérer avec les islamistes, à se partager le pouvoir pour conserver la seule chose qui l’intéresse : la possibilité de faire des affaires et de faire de l’argent !

Et, dans le fond, peu importe à cette bourgeoisie que le pays s’islamise et régresse si elle peut continuer à garder son train de vie et à voyager à l’étranger pour oublier les interdits posés par les rétrogrades, ces interdits n’étant bons, dans le fond, que pour le peuple dont elle se soucie comme d’une guigne, qu’il progresse ou régresse.

Il est également tout à fait regrettable que la société tunisienne, ce que l’on a appelé la société civile, n’ait pas exigé avec force la mise à l’écart de l’islam politique. Cette société civile qui a su combattre certaines idées rétrogrades telle que «la femme complément de l’homme», qui a fait reculer plusieurs fois le pouvoir, n’a rien tenté sur cette question pourtant fondamentale. La raison en est probablement la crainte et la croyance qu’en s’attaquant à l’islam politique elle s’attaquerait à la religion !

Erreur fondamentale. La raison en est que peut-être aussi les idées rétrogrades des religieux a petit-à-petit imbibé cette société civile. Il suffit de voir le nombre de «voiles», cet étendard islamiste, pour de multiples raisons dont l’essentielle est la peur du voisinage.

En tous cas, une chose est sûre, la société civile a laissé faire, marquant par là qu’elle n’avait pas vu que le problème était majeur ou, dans le fond, que cela lui convenait.

La Tunisie entre dans une longue période de régression

La Tunisie aura donc ce que sa population a accepté et dont elle se repentira tôt ou tard à l’instar des Iraniens qui tentent désespérément de dégager les marchands du Temple qui les oppriment et les excèdent par leur hypocrisie et leur affairisme, sacrifiant par son attitude plusieurs générations de ses enfants.

On n’a pas assisté à des manifestations, à des occupations de lieux symboliques pour dire, pour crier: «Oui à la religion, non à la religion en politique»; alors que selon les sondages, cette idée est majoritaire ! Pourquoi ne pas l’avoir défendue avec force?

Comment expliquer autrement la trahison de Béji Caïd Essebsi et de son parti Nidaa Tounes?

Les fossoyeurs du pays ont réussi et la Tunisie est méconnaissable.

Y a-t-il une chance pour que cela change? Difficile à croire.

La Tunisie va entrer maintenant dans une longue période de régression. Il faudra attendre que des générations soient sacrifiées, pour que dans quelques dizaines d’années le pays s’aperçoive qu’il a fait fausse route, qu’il a été trahi par ses élites et qu’il se réveille dans la douleur comme l’ont fait les pays communistes de l’Est après un beau gâchis qui a duré plusieurs décennies.

Blog de l’auteur.

Municipales 2018: Le scrutin du désenchantement et de la frustration

Articles du même auteur dans Kapitalis : 

La bigoterie islamiste infiltre les cliniques privées en Tunisie

L’islamisme politique a-t-il vraiment un avenir en Tunisie ?

 

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!