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Colibe : Le clergé d’Ennahdha contre les libertés et les droits

Deux Tunisie qui ne se rencontreront jamais… 

Les islamistes du parti Ennahdha nous bernent avec la rengaine de la «démocratie musulmane», mais se lèvent comme un seul homme contre l’élargissement de la sphère des libertés, des droits et de l’égalité entre les sexes.

Par Faïk Henablia *

Lors d’une émission télévisée restée célèbre, feu Chokri Belaïd affirmait que nous étions en présence d’une bataille menée par les fondamentalistes contre le génie tunisien. Il avait, avec beaucoup de talent, replacé cette bataille dans un contexte historique de musellement de la pensée libre et de répression de la réflexion remettant en cause l’exégèse officielle.

Il n’y a pas de clergé dans la religion musulmane, nous dit-on, ou pas officiellement du moins, car qui sont alors ces imams, ces «savants» et autres «défenseurs du Coran» qui nous matraquent constamment à coup de fatwas et de prêches, qui partent en croisade contre les non-jeûneurs, qui délivrent des labels de piété, qui appellent à des prières sur la voie publique ?

L’islam brandi comme un obstacle à l’exercice des libertés et des droits ?

Qui sont donc ces oulémas, ces professeurs, qui prétendent avoir la science infuse et qui, seuls, se croient habilités à lire et à divulguer la pensée divine?

Quelle est donc la différence entre un ministère des Affaires religieuses, ou toute autre autorité ou hiérarchie du culte d’une part, et une église d’autre part?

Mais la bataille contre le génie tunisien n’est pas terminée. Le récent rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) a précisément fourni à cette église l’occasion de se rappeler à notre bon souvenir en tirant la sonnette d’alarme et en mobilisant ses troupes.

Si l’on peut regretter un maladroit mélange des genres, entre des propositions prioritaires telle que l’égalité en matière d’héritage et d’autres, plus secondaires, telle que la suppression de la peine de mort, qui continue de faire débat en occident, il est incontestable que ces thèmes, auxquels l’on peut ajouter la dépénalisation de l’homosexualité, ont de quoi faire frémir notre clergé, tant ils constituent une intolérable atteinte, à leurs yeux, au sacré et à la morale, aux fondements mêmes de la famille et de la société, aux valeurs arabo-musulmanes et que sais-je encore?

C’est que, dans l’esprit de nos apprentis prêtres, notre identité arabo-musulmane est un obstacle à l’exercice de certains droits et à la jouissance de certaines libertés, une condition rédhibitoire.

Une vision également partagée dans bien des chancelleries occidentales, pour qui le monde musulman ne peut aspirer, dans le meilleur des cas, à autre chose que l’islamisme «modéré» et démocratiquement si possible !

Les Américains semblent, tout de même, vouloir sortir de leur torpeur en se demandant si, après tout, les Frères musulmans sont aussi modérés que cela.

Le recours éhonté au mensonge chez les défenseurs de la morale

Mais revenons à nos moutons et prenons la recommandation du rapport en matière d’héritage par exemple : la question est tranchée, nous dit le clergé et le texte coranique limpide !

Comme si une disposition à l’intention la société mecquoise du 7e siècle et qui constituait, à l’époque, une avancée incontestable, avait vocation à être figée pour l’éternité !

Où irions-nous s’il devait en être ainsi en matière de salaire minimum ou de pension de retraite?

Et puis où donc le Coran interdit-il l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’héritage?

Peu importe car l’on nous sortira alors l’argument massue du terrorisme auquel il faut éviter de fournir des arguments, comme s’il était possible de raisonner un terroriste!

Est-ce d’ailleurs un argument ou une menace subtile ?

S’agissant de cette autre recommandation qu’est la dépénalisation de l’homosexualité, l’hypocrisie est à son comble, puisque comme chacun le sait, nos valeurs arabo-musulmanes ont su efficacement nous protéger de ce fléau… ainsi que de la pédophilie.

D’ailleurs, ce n’est pas tant l’homosexualité même qui semble gêner le clergé (un prêtre reste un prêtre, qu’il soit catholique ou musulman), que la perspective d’instauration du mariage pour tous.

Or où en est-il question dans le rapport?

L’on relèvera, au passage, le recours éhonté au mensonge et à la malhonnêteté chez ces ardents zélotes et défenseurs de la morale.

Un parti clérical qui n’a jamais renoncé à la charia

L’on sait, par ailleurs, que nos Frères musulmans à nous, officiellement dénommés Ennahdha, essaient depuis quelque temps de nous vendre le thème de la «démocratie musulmane», à l’instar de la démocratie chrétienne européenne, c’est-à-dire la séparation entre le politique et le religieux.

Si certains ont bien voulu se laisser berner, il était intéressant de prendre connaissance de la position officielle de ce parti vis-à-vis du rapport de la Colibe, afin d’en avoir le cœur net.

Quelle ne fut alors notre stupeur, à l’issue d’un suspense insoutenable, en découvrant leur… rejet total des propositions même si le refus catégorique du chef de rencontrer la Colibe aurait déjà dû constituer un indice.

Pour ajouter au tragi-comique, c’est la députée Meherzia Laabidi, en personne, qui est, à peu près, à la cause féminine ce que les harkis étaient à la cause algérienne, qui annonce cette décision.

Et donc pour l’histoire de «démocratie musulmane», il faudra repasser.

Ce parti demeure un parti clérical qui n’a jamais renoncé à son rêve d’appliquer la charia, à la différence de la démocratie chrétienne occidentale qui n’ambitionne pas de transformer les pays européens en théocraties.

Si Bourguiba avait su, en son temps, tirer parti de divergences cléricales, afin de faire adopter ses réformes révolutionnaires, il est malheureux de constater à quel point nous manquons aujourd’hui, cruellement, d’hommes ou de femmes de son habilité et de sa trempe.

* Gérant de portefeuille associé.

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