Accueil » Tunisie : Les grandes manœuvres… vers une nouvelle impasse !

Tunisie : Les grandes manœuvres… vers une nouvelle impasse !

Face à la déferlante conservatrice incarnée par les deux partis au pouvoir, Ennahdha et Nidaa Tounes, qui jouent en duo une même partition (préserver l’ordre économique et social), quelle résistance peuvent encore opposer les forces progressistes et de gauche.

Par Hadi Sraieb *

À possiblement 15 mois des élections générales, le petit monde de la politique est de nouveau fébrile ! Tous fourbissent leurs armes en vue de la prochaine confrontation.

Machiavel en son temps avait beau avoir eu le souci de corriger de lui-même sa sentence cinglante «La fin justifie les moyens» par une autre toute aussi pertinente «Tous les moyens justifient la fin», notre classe politique n’en a cure et ne recule devant rien. Intimidation et harcèlement, tout y passe, y compris l’instrumentalisation des appareils d’Etat (police, justice et autres) et la manipulation de la presse dite d’information.

À la méfiance sceptique a succédé la défiance désabusée

Le nomadisme politique – trait saillant de cette transition – est en voie de banalisation. La quête assoiffée d’argent, de pouvoir, de prestige, des honneurs, de renommée, en somme faire partie des puissants, va reprendre de plus belle.

Cette névrose partagée avance drapée, revêtue des attributs du souci de l’intérêt général et de l’éthique d’intégrité au service de l’Etat. Peu en réchappe ! Le manège va s’accélérer au grand dam d’une large fraction de la population qui n’y croit plus. À la méfiance sceptique a succédé la défiance désabusée. L’abstention déjà considérable risque d’atteindre des sommets inégalés. Mais alors un désaveu si profond qui pourrait se traduire par une instabilité accrue !

Nous écrivions dans ces mêmes colonnes, fin 2013, un papier passablement prémonitoire intitulé : «Les duettistes de l’alternance, séducteurs avec des mots malades». Duettistes voulant dire deux formations politiques qui jouent en duo une même partition (préserver l’ordre économique et social).

Nous avions alors qualifié de manière métaphorique, Nidaa Tounes et Ennahdha de bonnet blanc et de blanc bonnet. Deux formations hégémoniques en parfait accord, au plan social, acquises à la reconduite libérale des affaires du pays, et en parfait désaccord, au plan sociétal, sur les questions ayant trait aux droits et libertés. Nous étions alors à la veille de cette alliance qui n’avait rien de «contre-nature»; surprenante pour les bases électorales respectives des deux organisations politiques, mais largement prévisible et probable du fait de cette communion partagée et indéfectible dans les vertus du libéralisme.

Pour dire les choses simplement: il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarette de différence entre les deux visions économiques et sociales des deux partis. Tous deux adhèrent à la logique de réduction des dépenses publiques et sociales sous couvert de «réformes structurelles». Tous deux aussi, continuent à s’affairer à blanchir et à recycler les baronnies anciennes et nouvelles de l’économie informelle, au point de neutraliser et paralyser l’action de la justice !

L’enjeu reste celui de la conquête du pouvoir d’Etat. Le premier agite l’épouvantail d’un Etat dérivant lentement vers une théocratie reniant les avancées sociétales, le second agite le spectre d’une société gagnée par l’immoralisme et la dissolution des mœurs !

Sommes-nous condamnés à revivre la même histoire ? Possiblement sous une forme nouvelle!

L’affrontement est-il indépassable ou peut-il être pacifié sous une forme renouvelée de consensus?

Effritement continu de ladite autorité de l’Etat

À l’évidence, les deux conservatismes dominants (centristes excusez du peu) vont chercher dans un premier temps à se compter. Puis, au vu des résultats, ces formations chercheront les appoints utiles mais inoffensifs pour tenter de consolider une légitimité. Que peut-il en sortir ?

Il est bien trop tôt pour en prédire l’issue d’autant que l’espace politique est saturé entre la guéguerre des frères ennemis, les dissensions de rivalité entre colombes et faucons, les opportunistes de tous bords hésitants. Tout se passe comme si cet Etat, certes rajeuni, était encore en mesure de redistribuer des rentes de situations, alors même qu’il est en déliquescence avancée tant dans son noyau central (ses corps constitués, son administration) que dans ses structures périphériques (entreprises publiques, organismes sociaux). L’effritement continu de ladite autorité de l’Etat n’est que le symptôme, le reflet, d’une distanciation accrue d’avec le peuple et ses attentes.

Pour dire les choses autrement, le nouveau régime et son Etat sont puissamment gangrené par une multitude de forces régressives (corporatisme, trafics d’influence, concussion, prévarication) qui débouchent sur dégénérescence continue de tout un système dans ses moindres recoins. Etiolement de la confiance, altération du lien social, fuite des élites, pourraient fort bien déboucher sur une paralysie généralisée du corps social, voire de nouvelles bouffées de colère !

Face aux inerties provoquées par des ego surdimensionnés

Jamais au grand jamais, les forces dominantes du moment ne procéderont à un réexamen critique de leurs propres référentiels et ne s’interrogeront sur une autre manière d’aborder la chose publique et le bien commun. L’appel au patriotisme est au mieux vain, chimérique, inopérant ; au pire mystificateur, fallacieux, mensonger.

Que reste-il alors à faire? Construire une force de résistance.

La dispersion actuelle des forces progressistes est pour ainsi dire suicidaire ! Déjà réduite à la portion congrue, elles risquent de disparaître corps et âme à vouloir poursuivre une stratégie déconcertante et indéchiffrable. Une stratégie d’alliance à géométrie variable au gré des moments et des circonstances.

Une stratégie illisible, sans fondements véritables avec un pied dedans et un pied dehors !

Seul un sursaut de conscience pourrait amener les diverses formations à fédérer leur effort. En sont-elles encore capables ? Les prochains mois le diront!

Sans cet effort d’abnégation, d’oubli comme de don de soi, certes considérable vue les inerties provoquées par des ego surdimensionnés (maladie infantile des gauches), ces forces risquent de disparaître de l’assemblée nationale, seul lieu de résistance à la déferlante conservatrice !!

* Docteur d’Etat en économie du développement.

Articles du même auteur dans Kapitalis : 

Tunisie : L’«austérité vertueuse»… une impasse perfide et dangereuse !

Tunisie : Un raz-de-marée islamiste aux élections 2019 ?

Cap sur 2019 : Les sept travaux de Youssef Chahed

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.