Les Tunisiens célèbrent aujourd’hui, lundi 14 janvier 2018, le 8e anniversaire de la «révolution». Traduire : la chute de l’ancien président autocrate Zine El-Abidine Ben Ali et de son régime corrompu. La célébration se passe dans la morosité et sous un ciel lourd, car le cœur n’est pas à la fête.
Par Imed Bahri
Si les islamistes d’Ennahdha et, à un degré moindre, les militants du Front populaire (gauche radicale), tentent de faire durer l’illusion, en marquant cette célébration par des manifestations diverses, dans une vaine tentative de rallumer la flamme de l’espoir, les autres partis et mouvements politiques assurent le service minimum. Car, à vrai dire, le cœur n’y est plus et les promesses de 2011 n’ont pas été tenues. Sur pratiquement tous les plans.
Les Tunisiens ont beaucoup perdu au change
D’abord, sur le plan politique, la liberté retrouvée et le système vaguement démocratique mis en place n’a pas permis l’avènement d’une nouvelle élite capable de conduire le pays vers la paix et la prospérité.
Au contraire, la corruption et le népotisme reprochés à l’ancien régime se sont aggravés sous diverses formes et la situation économique n’a cessé de se détériorer, sur fond d’insatisfactions et de désordres.
Les Tunisiens ont l’impression désagréable mais justifiée d’avoir beaucoup perdu au change : ils ont gagné la liberté de s’exprimer, de manifester, de faire grève sur grève, de vandaliser les biens publics, mais leur pouvoir d’achat s’est beaucoup dégradé, le chômage est resté aussi élevé qu’il y a 8 ans (plafonnant à 15% et à plus de 40% pour les diplômés de l’enseignement supérieur), l’inflation s’élève à 7,4% (contre 3,5% il y a 8 ans), l’endettement extérieur frise les 80% (contre moins de 40% en 2010) et le dinar, la monnaie nationale, pique du nez, aggravant la crise chronique des finances publiques.
Bref, tout part à veau l’eau, et, paradoxalement, la nostalgie du bon vieux temps de la dictature, où l’on jouissait de la stabilité, de la sécurité et d’un minimum de pouvoir d’achat, prend la place de tous les espoirs déçus d’une «révolution» qu’on n’a pas fini de regretter.
L’incompétence crasse des élites politiques
C’est dans cet état d’esprit qu’une majorité des Tunisiens appréhende la nouvelle année 2019, qui sera marquée par une double échéance électorale, législative et présidentielle, et par une profonde désaffection que traduisent les sondages d’opinion : les deux tiers des Tunisiens, surtout les jeunes et les femmes, ne se sentent pas concernés par ces élections et disent qu’ils n’iront pas voter.
En face, les partis politiques et leurs dirigeants ne donnent pas l’impression d’être à la hauteur de la mission qu’ils s’attribuent : querelles intestines, sécessions, divisions et, surtout, une incompétence crasse et une incapacité à agir pour rétablir la situation d’avant 2011. Et c’est là tout le drame d’une Tunisie, donnée en exemple à l’extérieur, pour avoir réussi une transition relativement pacifique, mais dont les enfants se sentent, à juste titre, frustrés, floués, trompés et trahis… par leurs élites.
Tant qu’elles étaient dans l’opposition à Ben Ali, ces élites pouvaient se justifier par la répression qu’elle subissait, mais aujourd’hui que Ben Ali n’est plus là, elle montre l’ampleur de son incompétence. Certains de ses membres, non conscients du passage du temps et du changement d’époque, au lieu de proposer des solutions aux problèmes de leurs électeurs, continuent à jouer aux opposants irréductibles et intrépides face à un pouvoir impuissant. Même plus capable de faire régner l’ordre et la paix…
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