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Le poème du dimanche : ‘‘Poème à l’Afrique’’ d’Aimé Césaire

Poète de la «négritude», mouvement littéraire se donnant pour mission de lutter contre la tentative d’assimilation culturelle de la France et de promouvoir la culture africaine victime du racisme engendré par le colonialisme, Aimé Césaire est avec Léopold Sédar Senghor l’une des voix majeures de la poésie africaine du 20e siècle.

Né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe en Martinique dans une famille modeste de sept enfants, ce diplômé de l’École normale supérieure de Paris a commencé à écrire en 1936 et a forgé le concept de «négritude», pour dénoncer l’oppression culturelle du colonialisme, mais, loin d tout manichéisme réducteur, sa vision est celle d’un humaniste actif et concret qui défend tous les opprimés de la Terre : «Je suis de la race de ceux qu’on opprime», dira-t-il.

En 1939, de retour en Martinique pour enseigner, il publie son chef d’œuvre ‘‘Cahier d’un retour au pays natal’’. Il en publiera d’autres, notamment ‘‘Les Armes miraculeuses’’ (1946), ‘‘Une saison au Congo’’ (1966, théâtre), ‘‘Moi, laminaire’’ (1982, poésie), ‘‘Discours sur la négritude’’ (1987).

Aimé Césaire, par sa pensée et sa poésie, influence des intellectuels africains et noirs américains dans leur combat contre le colonialisme et l’acculturation. Inscrit au Parti communiste, il est élu maire de Fort-de-France en 1945, puis devient député, mandat qu’il détiendra jusqu’en 1993.

En désaccord avec le PC sur la question de la déstalinisation, il quitte le parti en 1956 et crée deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM) qui revendique l’autonomie de la Martinique. Siégeant à l’Assemblée nationale française, comme non inscrit, il devient apparenté socialiste partir de 1978 à 1993.

Aimé Césaire demeure maire de Fort-de-France jusqu’en 2001. Retiré de la vie politique, il s’insurge cependant contre la loi du 23 février 2005 sur les «aspects positifs de la colonisation» qu’il faudrait évoquer dans les programmes scolaires. Il mourra le 17 avril 2008 et a droit à des obsèques nationales à Fort-de-France, en présence du président de la république française.

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Paysan frappe le sol de ta daba
dans le sol il y a une hâte que la syllabe de l’événement ne dénoue pas
je me souviens de la fameuse peste
il n’y avait pas eu d’étoile annoncière
mais seulement la terre en un flot sans galet pétrissant d’espace
un pain d’herbe et de réclusion

frappe paysan frappe
le premier jour des oiseaux moururent
le second jour les poissons échouèrent
le troisième jour les animaux sortirent des bois
et faisaient aux villes une grande ceinture chaude très forte
frappe le sol de ta daba
il y a dans le sol la carte des transmutations et des ruses de la mort
le quatrième jour la végétation se fana
et tout tourna à l’aigre de l’agave à l’acacia
en aigrettes en orgues végétales
où le vent épineux jouait des flûtes et des odeurs tranchantes

frappe paysan frappe
il naît au ciel des fenêtres qui sont mes yeux giclés
et dont la herse dans ma poitrine fait le rempart d’une ville qui refuse de donner la passe aux muletiers de la désespérance
famine et de toi-même houle
ramas où se risque d’un salut la colère du futur

frappe colère
il y a au pied de nos châteaux-de-fées pour la rencontre du sang et du paysage la salle de bal où des nains braquant leurs miroirs écoutent dans les plis de la pierre ou du sel croître le sexe du regard

Paysan pour que débouche de la tête de la montagne celle que blesse le vent
pour que tiédisse dans sa gorge une gorgée de cloches pour que ma vague se dévore en sa vague et nous ramène sur le sable en noyés en chair de goyaves déchirés en une main d’épure en belles algues en graine volante en bulle en souvenance en arbre précatoire
soit ton geste une vague qui hurle et se reprend vers le creux de rocs aimés comme pour parfaire une île rebelle à naître
il y a dans le sol demain en scrupule et la parole à charger aussi bien que le silence

Paysan le vent où glissent des carènes arrête autour de mon visage la main lointaine d’un songe
ton champ dans son saccage éclate debout de monstres marins
que je n’ai garde d’écarter
et mon geste est pur autant qu’un front d’oubli

frappe paysan je suis ton fils
à l’heure du soleil qui se couche le crépuscule sous ma paupière clapote vers jaune et tiède d’iguanes inassoupis
mais la belle autruche courrière qui subitement naît des formes émues de la femme me fait de l’avenir les signes de l’amitié.

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