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‘‘Noura rêve’’ au cinéma : L’adultère féminin aux yeux de la loi et de la société

‘‘Noura rêve’’, grand gagnant des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019) sort aujourd’hui, mercredi 27 novembre 2019, dans les salles de cinéma tunisiennes. Une fiction inspirée de faits réels signée Hinde Boujemaa sur la loi tunisienne qui punie l’adultère de cinq ans de prison.

Par Fawz Ben Ali

La documentariste tuniso-belge Hinde Boujemaa signe avec ‘‘Noura rêve’’ son tout premier long-métrage de fiction; un film qui a présenté le cinéma tunisien dans de nombreux festivals internationaux dont le Festival du Film Indépendant de Bordeaux où il a raflé le grand prix de la compétition internationale.

Un film dicté par des faits réels

Avec ‘‘Noura rêve’’ c’est aussi Hinde Boujemaa qui a rêvé grand en invitant sur son plateau de tournage la star du cinéma arabe Hend Sabri pour jouer le rôle principal de Noura aux côtés de l’humoriste Lotfi Abdelli (qui excelle aussi dans les drames de cinéma) et de Hakim Boumsaoudi.

Après une longue absence, Hend Sabri s’est visiblement réconcilié avec le cinéma tunisien ces dernières années. On l’avait vu en 2016 dans ‘‘Fleur d’Alep’’ de Ridha Behi; elle revient cette année en tête d’affiche de ‘‘Noura rêve’’ dans un rôle complexe et très différent de ses précédents rôles, ce qui lui a valu le prix de la meilleure actrice d’abord au Festival du Film d’El Gouna en Egypte, puis aux JCC où le film a également obtenu le Tanit d’or.

Le film raconte l’histoire d’une mère de famille (Noura) au début de la quarantaine qui élève seule ses trois enfants après l’incarcération de son mari (Jamel). Lassée de son quotidien morne et de sa situation précaire, elle entame une procédure de divorce rêvant d’une vie meilleure auprès de son amant (Lassaad). Les choses tournent vite très mal quand le mari récidiviste, possessif et violent sort prématurément de prison suite à une grâce présidentielle inattendue. C’est le début d’un long cauchemar pour Noura …

Le scénario écrit par Hinde Boujemaa est loin d’être imaginé, il s’agit d’une adaptation cinématographique très fidèle à des faits réels vécus par une jeune femme nommée Sonia Hosni. Invitée à l’émission ‘‘Noujoum’’ sur la radio privée Mosaïque.fm quelques jours avant les JCC, l’héroïne du film était venue dénoncer une certaine exploitation de l’équipe du film et notamment de la réalisatrice. Sonia Hosni a déclaré qu’elle avait «dicté le scénario et les dialogues» à Hinde Boujemaa, mais cette dernière n’a mentionné aucun droit d’auteur sur le générique du film ni lors de ses apparitions médiatiques; elle serait allée jusqu’à la bloquer sur les réseaux sociaux et éviter tout contact avec elle dès la fin du tournage.

Ces scandaleux aveux ont visiblement été très rapidement étouffés par l’équipe du film puisque la personne en question n’est depuis plus apparue sur le champ médiatique sauf pour partager l’euphorie du Tanit d’or à la clôture des JCC aux côtés de la réalisatrice, de Hend Sabri et du reste de l’équipe de ‘‘Noura rêve’’.

Une histoire de loi et d’émancipation

Le film part donc d’un fait divers pour dénoncer une des nombreuses lois désuètes du code pénal tunisien. On parle ici de l’article 236 qui condamne l’adultère de 5 ans de prison. Il ne s’agit évidemment pas de faire l’apologie de l’infidélité mais de s’interroger sur cette incrustation de l’Etat et de l’appareil judiciaire dans la vie privée des citoyens, comme en ce qui concerne ce triangle amoureux.

Si la loi prévoit un châtiment égalitaire pour l’homme et la femme infidèle, la société réserve un jugement beaucoup plus impitoyable envers la femme, un regard accusateur souligné dans le film à travers ce personnage ordinaire, une «madame tout le monde» issue de la classe prolétaire qui se trouve tiraillée entre son devoir de mère et son désir de refaire sa vie avec un homme plus doux et aimant que son mari. La trame dramatique et les choix esthétiques du film (notamment l’obscurité de l’image) transmettent cette sensation de malaise, d’étouffement et de peur. Le tout accentué par des dialogues crus et un langage de rue, ce qui donne une dimension encore plus réaliste au film et qui rappelle la vocation première de la cinéaste, à savoir le documentaire où elle avait fait ses débuts.

Vingt-cinq ans après avoir reçu le prix de la meilleure actrice aux JCC (1994) pour son tout premier rôle dans ‘‘Les silences du palais’’ de Moufida Tlatli, Hend Sabri se voit décerner de nouveau ce prix dans son pays natal et dans ce même grand festival qui l’avait révélée au grand public arabe. Elle y revient avec un rôle qui n’était pas évident pour elle surtout après que son accent s’est pas mal orientalisé depuis déjà plusieurs années. Mais son immense talent lui a permis de s’adapter au rôle et de le servir justement pour défendre cette femme tunisienne issue d’un quartier populaire, excédée par la vie, mais qui continue tout de même de rêver d’un peu d’amour et de dignité dans une société patriarcale où les femmes ont encore beaucoup de mal à prendre leur destin en main.

Une exposition de photographiques prises lors du tournage du film, signée par l’artiste belge Axel Derricks, est visible à partir d’aujourd’hui, mercredi 27 novembre, à l’espace Madart à Carthage, qui accueille également des projections quotidiennes du film.

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