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Le gouvernement Jemli sous la loupe de l’Observatoire de la bonne gouvernance

L’Observatoire de la transparence et de la bonne gouvernance (OTBG), Ong spécialisée dans la dénonciation des malversations et abus budgétaires, vient d’émettre huit réserves vis-à-vis du gouvernement proposé par Habib Jemli, chef du gouvernement désigné par Ennahdha, le parti vainqueur des récentes législatives. Synthèse.

Par Khémaies Krimi

Globalement, à travers ses réserves consignées dans un communiqué rendu public et signé par son président Larbi Béji, l’Ong reproche au gouvernement présenté aujourd’hui, vendredi 10 janvier 2020, au vote de confiance de l’Assemblée, d’être budgétivore, inconstitutionnel, partisan et lié à des intérêts étrangers.

Tout en prenant la précaution de ne citer aucun nom dans son communiqué, l’Observatoire a formulé des doutes sur la compétence du chef du gouvernement désigné et s’est interrogé, au regard de son cursus, sur son aptitude, si jamais il est confirmé dans son poste, à évaluer les performances ou les contre-performances des membres de son équipe.

Un gouvernement budgétivore

L’Ong estime que ce gouvernement avec 42 membres, entre ministres et secrétaires d’Etat, auxquels il faudrait ajouter les ministres conseillers du chef du gouvernement, soit un gouvernement de 50 membres environ, renvoie un signe de gaspillage de l’argent des contribuables. Elle ajoute que ce gouvernement est, en plus, constitué à une période de crise où un grand nombre de Tunisiens fouillent dans les poubelles pour manger et où des centaines d’établissements scolaires, laissés sans maintenance, risquent de s’écrouler sur la tête des élèves.

L’observatoire déplore, particulièrement, le maintien de ministères considérés comme de véritables boîtes postales sans aucune utilité ni efficience. C’est le cas du ministère chargé des Relations avec le parlement, et des ministères de la Fonction publique des Droits de l’homme, des Grandes réformes, de la Coopération, de l’Emigration, de l’Economie sociale et solidaire…

Il dénonce, également, la création d’un ministère de Lutte contre la corruption, lequel fait double emploi avec des institutions efficaces et aguerris en la matière, en l’occurrence le Conseil supérieur de lutte contre la corruption, l’Instance de lutte contre la corruption (Inlucc), les institutions de contrôle public, les commissions chargées de la gouvernance, etc.

Pour l’Ong, il aurait été plus judicieux de se contenter de doter le Pôle judiciaire économique et financier des moyens requis pour qu’il puisse accomplir cette mission de lutte contre la corruption dans les meilleures conditions.

Un gouvernement inconstitutionnel

L’Observatoire considère que ce projet de gouvernement est inconstitutionnel dans la mesure où sa composition compte quatre magistrats. L’Ong rappelle qu’une telle initiative viole la Constitution et vient transgresser le principe de séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) et son corollaire l’indépendance de la justice. Pour l’Ong, cette indépendance suppose la non-nomination de magistrats en dehors des institutions judiciaires. Elle a saisi la publication de son communiqué pour soutenir les réserves formulées à ce sujet par la société civile.

D’après l’observatoire, ce projet de gouvernement serait, également, inconstitutionnel en raison de la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouve plusieurs ministres et secrétaires d’Etat nommés en raison de leurs liens étroits avec le mondes des affaires, des finances et de la banque.

L’Ong va jusqu’à douter du patriotisme de certains membres du gouvernement proposé. Elle y perçoit ce qu’elle qualifie de «cinquièmes colonnes» pour servir, ultérieurement, les intérêts de parties étrangères. Elle fait allusion, ici, aux Turcs, avec une possible réactivation de l’accord de libre échange tuniso-turc, et aux Européens, avec une éventuelle conclusion de l’Accord de libre échange complet approfondi (Aleca) portant sur la libéralisation complète de l’agriculture et des services. Dans les deux cas, le marché tunisien serait inondé par des produits et des services importés plus compétitifs que les produits et services locaux.

Un gouvernement partisan

Autre réserve majeure formulée par l’OTBG, qui doute de l’indépendance et de la compétence des ministres et secrétaires d’Etat désignés. Ces derniers ne seraient pas aussi indépendants et aussi compétents que le prétend le chef du gouvernement désigné. Selon l’Observatoire, ils ont été choisis soit pour les récompenser pour leur allégeance et loyauté envers le parti vainqueur (Ennahdha) soit pour satisfaire des lobbys influents qui ont contribué à la victoire de ce parti.

La dernière réserve de l’Observatoire concerne la création d’un nouveau ministère chargé d’évaluer les membres du gouvernement. L’Ong y voit une aberration, car un pareil département n’existe nulle part dans le monde. Elle met en garde contre les risques de tension qu’un tel ministère peut provoquer au sein du futur gouvernement. Et rappelle que la mission impartie à ce ministère devrait être, en principe, du ressort exclusif du chef du gouvernement.

Par-delà la gravité des réserves de l’OTBG, il faut admettre que la vive polémique qu’a provoquée l’annonce de la composition de ce gouvernement n’est pas fortuite. Elle annonce des difficultés énormes non seulement pour son adoption par l’Assemblée mais également, en cas de vote de confiance, lors de l’exercice de ses missions.

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