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Saïed et le coronavirus : «Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va»

Après une longue attente, le président de la république, à qui nous vouons respect et sympathie, s’est adressé au peuple tunisien hier, mardi 17 mars 2020, tard dans la soirée, à travers une allocution largement imprégnée par son timbre, son style et son cachet habituels. Une prestation qui n’a engendré qu’ironie, dérision et manque d’intérêt.

Par Ali Sellami *

Outre le fait que le président est paru fatigué, affecté, quasiment au bord de la rupture, cette intervention a une nouvelle fois révélé la défaillance de la gestion de la communication au niveau de la présidence de la république, et renforcé le constat que Kais Saied n’est pas prêt à la fonction suprême et l’absence totale d’évolution dans la maîtrise de la mission et les limites criardes et saillantes dans l’endossement du rôle et de la stature de président de la république.

Ci-après en dix points une analyse de la prestation du Président et une mise en lumière de ses différentes faiblesses.

1 – L’annonce de l’allocution du président était faite depuis la veille. Elle était prévue au début du journal télévisé de la chaîne nationale, Watania 1. Elle n’a été diffusée que vers 22H30, après une longue et ennuyeuse attente ayant causé la perte d’au moins 50% de l’audimat avec des conséquences graves en matière de transmission de l’information. L’absolue exigence de sérieux de la plus haute instance de l’Etat, la forte croyance de l’importance du dossier et de la solennité du moment imposaient un respect de l’horaire, des téléspectateurs et des auditeurs.

2 – L’allocution était enregistrée, preuve de l’incapacité du président de s’adresser en direct au peuple. Le président lisait son texte, preuve du manque de maîtrise de son sujet… Il bafouillait et cafouillait dans ses papiers… Il avait la respiration frémissante, le regard figé… Il semblait, réellement, abattu et affaibli… Cette allocution a porté à grand coup au charisme de Kais Saied, à son talent d’orateur et à son influence.

3 – Sur le fond, l’intervention du président n’était pas plus brillante ni plus intéressante. Les principaux griefs suivants lui sont objectivement imputables.

4 – Les bases de la dialectique, et l’art de la communication, imposaient au président de faire preuve de sa connaissance du sujet objet de son intervention. Manifestement, le président ne connaissait rien ou peut être que peu du dossier : de la pandémie du coronavirus dans le monde et en Tunisie. Il n’a nullement évoqué le problème de santé qui trouble l’ordre mondial, ni décrit l’état de la situation en Tunisie, ni valorisé l’absence de victimes, ni même donné l’impression d’être au courant de la stratégie adoptée par les pouvoirs public, le travail sur le terrain, ni les difficultés comportementales, matérielles et financières rencontrées, ni les implications sociales et économiques, ni la durée escomptée de la crise, ni les expériences des pays touchés par le virus, ni les efforts de recherche scientifique pour trouver des traitements ou pour l’élaboration d’un vaccin. Rien, absolument rien. Ceci à l’heure même, où le Tunisien moyen attendait impatiemment des éclaircissements pour sa propre information et pour comprendre accepter les mesures qui seront annoncées.

5 – Dans une démarche cynique et pour le moins irresponsable, le président n’a pas évoqué, validé ni appuyé la stratégie établie, mise en place et appliquée depuis le début de l’apparition du virus en Chine par le gouvernement Youssef Chahed et plus particulièrement son illustre ministre de la Santé (par intérim) Sonia Ben Cheikh, puis prise en main et poursuivie avec sérieux et responsabilité par le nouveau gouvernement… Peut-être ne sait-il pas que le génie tunisien, la compétence et le dévouement des responsables en charge du dossier à tous les niveaux sont parfaits et se hissent à la valeur d’exemple.

6 – Le président, principal opérateur de la politique étrangère tunisienne n’a filtré aucune information sur d’éventuels contacts de concertation ou d’échange d’expériences ou de coopération avec les chefs d’Etats en Asie, en Europe, dans le bassin méditerranéen ou dans le monde arabe. Est-il à ce point limité en termes d’idées et de marge d’action ou handicapé en termes de moyens de contact et de communication.

7 – Kais Saied, face à n’importe quelle crise ou situation économique difficile, n’a qu’une seule inspiration, qu’un seul réflexe: le don de journées de travail… le don de 50% du salaire etc. La décence dans ces situations exige d’une part, l’action mesurée et discrète et d’autre part l’appel et la mobilisation pour une réflexion sur des mesures structurelles fondamentales et efficientes pour une parfaite gestion de la crise.

8 – Le président a grandement failli en n’appelant pas lors de son allocution à un dépassement des différents et des querelles qui déchirent le paysage politique tunisien et qui jettent sombrement de leur ombre sur la vie publique et sur la bonne marche des affaires de l’Etat. Il n’a pas prononcé un seul mot sur la solidarité nationale en temps de crise, ni lancé un sincère appel l’union nationale pour le bien de la Tunisie en ces temps de crise.

9 – Les discours des chefs d’Etat ou de gouvernements à l’adresse de leurs peuples ne valent que par leur pertinence, et la profondeur et la clarté des informations et messages qu’elles comportent. Elles n’ont d’impact que par la qualité et la valeur du sérieux qui les caractérisent et n’ont d’intérêt que par l’ampleur de l’adhésion qu’elles génèrent et l’engagement qu’elles entraînent.

10 – La prestation de Kais Saied était dans son style et dans sa substance bien loin de ces visées. Elle n’a engendré qu’ironie, dérision et manque d’intérêt.

* Expert-Consultant auprès des entreprises.

** Le titre est une citation de Sénèque, philosophe, dramaturge, et homme d’Etat romain.

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