Le président Kaïs Saïed, qui doit annoncer aujourd’hui, samedi 25 juillet 2020, le nom du prochain chef de gouvernement, doit opter pour une personnalité dont les compétences sont avant tout politiques. Les chefs de gouvernement à profil économique nous ont valu, jusque-là, échec sur échec.
Par Tarek Ben Hiba *
Nous vivons un climat délétère où pas un jour ne passe sans que l’on découvre au sommet de l’État une nouvelle affaire de soupçon de conflit d’intérêts et de corruption, voire de corruption. La dernière a été révélée par le président de la République, Kaïs Saïed, et concerne la disparition/réapparition (?) du procès-verbal d’une affaire de voiture de service accidentée par la fille d’un ministre.
Comment ne pas s’étonner de l’atonie de la société civile tunisienne dont on connaît pourtant l’énergie inépuisable de vigie protectrice des libertés, de la démocratie et des droits de l’homme.
Étrange Tunisie, entrée dans l’histoire des révolutions par la grande porte mais qui a porté au pouvoir des forces politiques qui ne font pas justement de la politique et se donnent en spectacle de mauvais goût à l’Assemblée alors que la situation économique et sociale est dramatique et que les gens coulent sous le joug de la précarité et de la cherté de la vie.
Le seul élément positif notable est le rôle joué par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui essaye de peser de son poids pour préserver la défense de la civilité de l’Etat contre les fondamentalistes religieux et les libertés contre ses prédateurs.
Les derniers sondages indiquent que les défenseurs des droits de l’homme ne seraient pas majoritaires si les élections avaient lieu aujourd’hui.
À la fois dans la majorité gouvernementale et farouches opposants
Les raisons mises en avant pour le dépôt d’une mention à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour exiger la démission du gouvernement (qui a pourtant démissionné !) ne convainquent personnes en dehors de leurs partisans.
Les Tunisiennes et les Tunisiens ont observé avec stupeur le double jeu des auteurs : membres de la majorité gouvernementale mais farouches alliés de l’opposition. Le résultat de ce mariage de la carpe et du lapin a été l’adoption par la Commission des droits, des libertés et des relations extérieures à l’Assemblée du projet de loi portant amendement du décret-loi n°2011-116 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle qui vise à permettre aux forces de l’argent et aux Daéchiens de tous poils l’accès à l’espace audiovisuel tunisien sans aucun contrôle.
Cet amendement qui abolit le système des autorisations et instaure un système déclaratif est une lourde menace que font peser les mafieux et les ultrareligieux réactionnaires sur les acquis arrachés par nos luttes depuis la révolution.
Comment donc avoir un gouvernement dans le même rapport de forces au sein de l’ARP, les mêmes causes étant censées produire les mêmes effets.
Si la dissolution de l’Assemblée reste une solution constitutionnelle, il existe une autre qui éviterait cette nouvelle épreuve pour les Tunisiens.
Comment trouver un gouvernement qui pourrait obtenir la confiance d’une majorité parlementaire et combattre la gabegie qui s’installe dans le pays ?
Je ne crois pas aux miracles mais il est possible de mettre en place un gouvernement durable qui s’attèlerait enfin aux travaux herculéens de la mise en place d’un nouveau modèle de développement éradiquant le système de la rente qui asphyxie le pays et la corruption qui l’étouffe, un gouvernement qui donnerait aux jeunes une petite lueur d’espoir.
Les chefs de gouvernement à profil économique nous ont menés d’échec en échec
Il y existe une autre voie. Elle est certes étroite mais elle existe : si le président de la République choisit un chef de gouvernement dont les compétences sont avant tout politiques. La recherche de l’excellence du candidat en matière économique n’a pas été en effet un critère suffisant de succès. Il nous a valu, en effet, jusque-là échec sur échec.
Un bon politique redonnerait à la politique son sens premier celui de gérer les intérêts de la cité et des gens qui y vivent, celui qui avec une crédibilité et une expérience est capable de faire prévaloir l’intérêt général contre les cartels et les profiteurs des rentes qui se sont incrustés dans l’économie du pays.
Le président devrait choisir un homme issu de la lutte contre l’ancienne dictature, dont l’engagement pour les libertés, la démocratie et le respect des droits de l’homme ne fait pas l’ombre d’un doute, et dont l’engagement pour la lutte contre la corruption emporte l’adhésion des démocrates.
Au président, qui bénéficie encore d’un crédit auprès des Tunisiens, de résoudre le double problème que nous vivons entre d’une part la plaie de la corruption devenue presque endémique et l’absence d’une majorité de forces politiques qui respecte les règles institutionnelles issues de la nouvelle constitution.
Au président de choisir un homme sans appartenance partisane, réellement issu de la société civile, ferme dans l’attachement aux principes de la révolution loin des tactiques désuètes qui visent à la préservation des places et à la défense des intérêts privés voir mafieux.
Un nouveau chef de gouvernement issu de la société civile dont l’autorité morale ne pourrait pas être contestée est la meilleure des solutions, qui combattrait l’argent sale et ses méfaits, qui serait crédible et capable d’apporter des solutions durables problèmes dont souffre les jeunes et les exclus.
Cet homme politique issu de la société civile devra être secondé par des équipes d’experts en économie capable de mettre en actions des mesures d’urgences et de réformes qui ont tant tardé.
Il sera difficile aux forces politiques actuelles de trouver par eux mêmes les solutions susceptibles d’éviter au pays de sombrer vers des horizons inconnus.
Barrer la route à la coalition des ultra-religieux et de l’argent sale
Le choix du prochain chef de gouvernement doit s’inscrire dans une continuité pour ne pas tout recommencer à zéro et ne pas permettre aux deux principales forces présentes qui œuvrent pour instaurer la réaction de remettre en cause les fruits des luttes des Tunisiennes et des Tunisiens en faveur des libertés, de la démocratie et des droits de l’homme : la coalition des ultra-religieux et de l’argent sale d’une part et les Néo-Ben-alistes d’autre part qui veulent restaurer les réseaux mafieux de l’économie de la rente.
Face à ces deux forces, le président de la République, qui a démontré son attachement clair et net à la défense des droits et de la constitution, a les prérogatives institutionnelles nécessaires pour choisir un homme porteur d’espoir.
Au nouveau chef de gouvernement de lancer une grande concertation pour palier à l’absence de vision claire et mettre en place les assises de la première décennie de la révolution
Ce que je souhaite c’est que les assises travaillent sur les points suivants : empêcher l’abrogation scélérate du décret n°116-2011 régulant la communication audio-visuelle ; achever le processus de mise en place des institutions prévues par la constitution et en particulier la cour constitutionnelle; appliquer les accords issus des luttes sociales; faire des propositions de réformes du système politique pour enlever les blocages qui minent le développement économique et la lutte contre la corruption, la pauvreté et les exclusions; sauvegarder les acquis juridiques en matière des droits de l’Homme et continuer à améliorer la législation pour les droits des femmes, des jeunes et des minorités.
* Militant associatif.
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