En votant, ce vendredi 30 juillet 2020, pour ou contre le retrait de la confiance au président de l’Assemblée, Rached Ghannouchi, nos députés ne doivent avoir qu’une perspective en tête : les intérêts nationaux de la Tunisie qui ont pour nom paix, prospérité, souveraineté, et respect de la légalité internationale. Ils doivent aussi barrer la route au projet de protectorat turc en Tunisie.
Par Dr Mounir Hanablia *
Aujourd’hui, est une journée qui fera date, et qui aura des répercussions cruciales, dans les années à venir, sur la Tunisie. Un parti politique qui a dominé la scène publique depuis 10 ans, le parti Ennahdha, d’obédience islamiste, promeut une étroite alliance avec la Turquie, un pays avec lequel la balance commerciale de notre pays est largement déficitaire et avec qui les échanges, cruciaux pour l’économie informelle qui grève nos finances, ne nous ont jamais été profitables.
Mais une part non négligeable de notre société, travaillée autant par la propagande internationaliste des Frères musulmans, que par les feuilletons télévisés turcs, trouverait une telle alliance avec un pays musulman, plus normale, que celle traditionnelle, avec la France, ou avec l’Union européenne, qui demeurent nos principaux partenaires commerciaux, et qui n’ont jamais prétendu nous entraîner dans des aventures extérieures, y compris du temps de la guerre du Golfe, où notre neutralisme nous avait valu plus d’inimitiés parmi les Arabes que les parmi les Occidentaux.
Un califat peut en cacher un autre
Quant à la Turquie, mis à part ceux qui tirent d’immenses bénéfices financiers du commerce établi avec elle et dont l’obédience politique est bien connue, on ne peut pas prétendre que notre pays y ait trouvé un débouché commercial pour nos produits ou ait constitué une terre d’asile pour nos migrants, ou de savoir pour nos étudiants.
Il n’empêche, ceux parmi nous qui s’opposent à la mainmise turque sur notre pays sont qualifiés d’agents de la France, ce qui non seulement n’est pas très flatteur mais ne correspond pas exactement aux réalités. L’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, et l’Egypte s’opposent tout autant aux ambitions turques parce que les gouvernements de ce pays ne tiennent pas à voir s’installer à Istanbul un nouveau Calife qui s’immiscerait dans leurs affaires et fomenterait chez eux troubles et instabilité par le biais de l’Internationale des Frères Musulmans qu’il contrôle.
Israël s’accommode très bien de cet activisme régional turc, et pour les mêmes raisons, une vision qu’il a fait partager au président Trump aussi ignorant des réalités politiques que scientifiques. Le président Obama, en établissant un modus vivendi avec l’Iran, avait pris acte qu’il n’avait pas intérêt à trop affaiblir ce pays s’il ne voulait pas voir un jour surgir le mauvais génie d’Istanbul de sa lampe.
L’émirat Daech de Raqqa avait déjà démontré qu’un califat pouvait en cacher un autre. C’est pourtant ce message, celui de la résurgence du Califat Ottoman, que la conversion de Hagya Sophia en mosquée, il y a quelques jours, a voulu transmettre au monde entier.
Un vote qui risque de réserver des surprises
Et donc nous avons ici chez nous un parti politique, Ennahdha, dont le président, Rached Ghannouchi, ami du président Erdogan, a été élu à la tête de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), du fait de jeux parlementaires toujours influencés par des considérations inavouables, grâce à la collaboration à priori surprenante d’un parti politique, Qalb Tounes, qui s’est en réalité révélé comme on s’y attendait l’héritier de Nidaa Tounès dans sa quête du pouvoir associé aux islamistes.
Ce président, en outrepassant les prérogatives de ses fonctions, avait justement tenté d’entraîner le pays dans une alliance avec la Turquie et le Qatar. Aujourd’hui, il est cloué au pilori par ses pairs lassés par ses manières biaisées de diriger l’institution qu’il préside, après une véritable fronde menée par la députée Abir Moussi et son parti, le Parti destourien libre (PDL). Il doit donc affronter un vote de destitution.
Que Rached Ghannouchi ait accepté le vote de défiance, certes programmé la veille de l’Aid Ai-Adha, est déjà en soi étonnant. Et que ses alliés les plus sûrs d’Al-Karama annoncent qu’ils ne participeront pas aux débats n’est déjà pas de très bon augure pour lui. Mais que ce vote ne se fasse pas à main levée risque de réserver certes des surprises.
De part et d’autre les accusations de corruption ont fusé. Quoiqu’il en soit les députés tunisiens tiennent aujourd’hui une chance historique d’en finir politiquement avec un homme que beaucoup considèrent comme le symbole de tous les problèmes que le pays a affrontés depuis une décennie, de la chute de l’économie jusqu’au terrorisme, et maintenant, à la tentative d’instauration d’un protectorat turc, dont rien de bon ne surgirait.
Eviter à la Tunisie de se mettre au service de la folie d’un homme
Il ne dépend donc que d’eux, en votant aujourd’hui, que notre pays soit ou non asservi aux ambitions d’Istanbul dont l’armée campe à Tripoli à 70 kilomètres de la frontière, épaulée par des milices dont feraient partie plusieurs centaines de mercenaires tunisiens. Il ne dépend que d’eux qu’il ne devienne pas à l’avenir une base d’agression contre des pays amis et voisins, au service de la folie d’un homme, qui pour s’être pris pour le nouveau Calife de la Sublime Porte, risque de voir un jour son pays démembré, occupé, et réduit à l’impuissance, comme il l’avait été en 1918. Et il n’est pas sûr qu’un nouvel Atatürk se dresse alors de nouveau pour le sauver.
Nous avons donc d’autant moins intérêt à nous placer sous la bannière turque que les élections présidentielles de novembre en Amérique promettent des changements significatifs dans la politique étrangère américaine. En votant, aujourd’hui, nos députés ne doivent avoir qu’une perspective en tête : les intérêts nationaux de la Tunisie qui ont pour nom paix, prospérité, souveraineté, et respect de la légalité internationale.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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