Apparue en décembre 2019, la Covid-19 fait l’objet de recherches actives et commence à être mieux connue, quoique certains aspects restent encore peu compris, nécessitant plus de temps d’investigation. Plusieurs questions sont souvent posées par le public au sujet de cette maladie. L’objectif de cet article est de répondre à ces interrogations de façon accessible et sur la base des dernières publications scientifiques parues depuis le début de la pandémie.
Par Amel Benammar Elgaaïed *
Est-ce-que les personnes infectées par le SARS-COV-2 développent une immunité protectrice?
L’immunité protectrice est sous-tendue par une réponse immunitaire dite adaptative qui génère au contact du virus, des effecteurs de l’immunité qui viennent à bout de l’infection, ainsi que des cellules mémoires. Ces cellules mémoires spécifiques du virus ont en général une longue durée de vie et sont ainsi stockés pour pouvoir réagir efficacement lors de contacts ultérieurs avec le virus et stopper d’éventuelles réinfections.
Dans le cas de la Covid-19, mis à part le faible pourcentage de patients qui décèdent, la plupart des personnes infectées guérit spontanément, en l’absence de traitement spécifique contre le virus. La durée d’environ 2 à 3 semaines pour guérir correspond au temps mis par l’organisme pour produire les effecteurs contre le virus. Cette réponse intrinsèque participe de façon active à son élimination.
Si les 28 millions de personnes guéries de la Covid-19 n’avaient pas aussi développé une mémoire immunitaire protectrice, nous aurions assisté à des milliers de cas de réinfections. Ce qui n’est pas observé. On peut donc affirmer que les patients Covid-19 développent généralement une mémoire protectrice.
Quelle est la nature et la durée de l’immunité protectrice?
Dans la phase aigüe de l’infection au SARS-Co-2, la réponse immunitaire effectrice spécifique du virus est constituée de lymphocytes T cytotoxiques (Tc) qui éliminent les cellules infectées et d’anticorps (Ac) produits par les lymphocytes B. Parmi ces anticorps, certains sont dits neutralisants car ils se fixent sur les particules virales et les empêchent d’infecter de nouvelles cellules. C’est ainsi que ces Tc et ces anticorps sont qui sont appelés effecteurs de l’immunité viennent à bout de l’infection.
Ces effecteurs spécifiques (Tc et Ac) qui se mettent en place au cours de la réponse adaptative, apparaissent environ une semaine après les symptômes et persistent quelques temps après guérison : 4 à 6 mois pour les anticorps selon différentes études et autour de 2 mois pour les lymphocytes T cytotoxiques.
La disparition des effecteurs ne signifie pas une perte de protection puisqu’il est connu et aussi démontré dans le cas de la Covid-19 que des lymphocytes B et T mémoires se développent au cours de la réponse adaptative. Une étude a montré la persistance de T mémoires spécifiques du virus dans le cadre d’un suivi de deux mois post-guérison.
Le problème est que nous n’avons pas suffisamment de recul pour savoir combien durera cette mémoire (des mois ? des années ? à vie ?) et quelle sera son degré d’efficacité contre une réinfection.
Est-ce que toutes les personnes infectées développent des anticorps?
Généralement, les personnes infectées développent des anticorps contre le SARS-Cov-2 qui persistent quelques mois après l’infection. Ces anticorps sont la preuve sur laquelle se basent certains tests sérologiques pouvant être réalisés post-infection. La disparition des anticorps quelques mois après l’infection ne signifie pas la perte de l’immunité. En effet, on admet classiquement que les cellules B effectrices productrices d’anticorps (les plasmocytes) finissent par disparaître mais que les lymphocytes B mémoires persistent plus longtemps.
Par ailleurs, il y a des personnes infectées qui ne développent pas d’anticorps. En effet, d’après les études, certains cas avec des formes modérées ou asymptomatiques peuvent ne pas en produire ; tandis que toutes les personnes ayant présenté une forme grave de la Covid-19 produisent des anticorps et avec des titres élevés.
Ce qu’il faut donc retenir, c’est que la production d’anticorps varie entre les individus et dépend en partie de la gravité de la Covid-19, mais aussi du temps post-infection. Il faut aussi admettre que l’absence des anticorps ne signifie pas absence de protection. Sinon comment expliquer la guérison des patients ayant eu des formes modérées sans production d’anticorps ? En effet, des cellules T spécifiques du SRAS-CoV-2 sont présentes chez des individus séronégatifs (qui ne produisent pas d’anticorps).
Est-ce-que ces anticorps sont protecteurs contre l’infection?
Après l’infection au SARS-CoV-2, les anticorps détectables dans le sang se développent dans les jours suivant l’apparition de symptôme chez la plupart des individus infectés et précèdent généralement le déclin dans les charges virales de SRAS-CoV-2. Mais cette observation ne prouve pas que cette réponse anticorps soit nécessaire pour assurer la protection.
En effet, la relation est peu claire entre la réponse des anticorps et l’amélioration clinique car la détection d’anticorps et les titres élevés n’ont pas toujours été trouvés en corrélation avec l’amélioration clinique dans la Covid-19. Des symptômes légers de Covid-19 peuvent se résoudre avant la séroconversion c’est-à-dire avant l’apparition des anticorps spécifiques du virus. Ces anticorps peuvent persister à des niveaux élevés plus longtemps particulièrement chez les personnes qui avaient des formes graves de la maladie.
Mais seule une partie des anticorps est capable d’empêcher les particules virales d’aller infecter de nouvelles cellules. Ces anticorps dits neutralisants se fixent sur le site de liaison du virus au récepteur de la cellule cible. En fait il ne faut pas nier que dans la Covid-19, la plupart des anticorps qui sont générés pendant les premières semaines de l’infection sont non neutralisants. Une activité neutralisante est retrouvée chez la plupart des individus convalescents mais elle reste relativement faible. Cependant, des anticorps avec une activité neutralisante puissante peuvent être trouvés chez certains individus dont les plasmas sont préconisés dans le traitement de la maladie.
Dans de rares cas, les anticorps pathogènes dirigés contre le virus peuvent favoriser la pathologie, ce qui entraîne un phénomène connu sous le nom Antibody-Dependent Enhancement (ADE). Dans l’ADE, l’internalisation des complexes immuns virus-anticorps par les macrophages peut favoriser l’inflammation et des lésions tissulaires.
De multiples facteurs déterminent si un anticorps neutralise un virus et protège l’hôte ou provoque l’ADE et l’inflammation aiguë. Il s’agit notamment de la spécificité, de la concentration, de l’affinité et de l’isotype de l’anticorps. Une variation entre les individus et en fonction du temps caractérise cette réponse anticorps.
Quel est le bon indicateur de la protection contre le SARS-COV-2?
Environ deux fois plus de donneurs de sang pendant la pandémie ont généré des réponses de cellules T mémoires en l’absence de réponses détectables d’anticorps circulants. Ceci implique que la séroprévalence en tant qu’indicateur peut sous-estimer l’étendue de l’immunité au niveau de la population contre le SRAS-CoV-2.
Comme communément admis, l’immunité cellulaire constitue la réponse la plus adaptée contre les infections virales et les meilleurs effecteurs contre une infection virale en cours seraient les lymphocytes T cytotoxiques capables d’éliminer les cellules infectées par le virus.
Le meilleur indicateur de protection contre une réinfection serait la présence significative de T mémoires spécifiques du SARS-Cov-2. Pour évaluer de façon précise la présence de ces cellules effectrices et mémoires, il faudrait envisager des tests adaptés pour la routine qui ne sont pas disponibles.
Est-ce-que une réinfection est possible ?
Quelques rares cas de réinfection ont été rapportés et scientifiquement prouvés. Ils s’expliqueraient par
- la résurgence du virus qui n’aurait pas été totalement éliminé.
- un déficit immunitaire sous-jacent n’ayant pas permis la mise en place, lors de la première infection, d’une mémoire efficace qui aurait dû accompagner la réponse effectrice ayant en principe participé à éliminer le virus.
- des évènements ultérieurs à la première infection comme par exemple une chimiothérapie ayant altéré les défenses immunitaires et permis une deuxième infection.
- une réinfection par une nouvelle souche virale qui ne serait pas bien reconnue par les cellules mémoires établies au cours de la première infection.
Dans tous les cas, il serait logique de ne pas se suffire d’une PCR positive, mais en plus de la présence de symptômes associés à la Covid-19 pour parler de réinfection. Comme exposé ci-dessus, dans le cadre de cette pandémie caractérisée par une forte circulation du virus, les millions de personnes guéries devraient pouvoir rencontrer à nouveau le SARS-Cov-2 avec la même probabilité que la population générale qui est de quelques milliers par million d’habitants. Donc en l’absence d’une mémoire immunitaire protectrice, ce sont des milliers de cas de réinfections qui seraient attendus. Ce qui n’est pas observé.
Nous pouvons en conclure qu’une réinfection est possible mais c’est un événement relativement rare en l’état actuel de nos connaissances.
Est-ce que des infections antérieures avec d’autres germes peuvent-être protectrices contre la Covid-19 ?
Les données à ce sujet sont diverses et apportent des arguments indirects.
Tout d’abord, il y a les coronavirus saisonniers qui présentent des antigènes communs avec le SARS-Cov2 et qui peuvent générer des lymphocytes mémoires pouvant reconnaître ce virus par réaction croisée. En effet, une étude suédoise a montré plus du quart des donneurs de sang en 2019, alors que la pandémie n’était pas encore déclarée, avaient des lymphocytes T mémoires reconnaissant les protéines du SARS-Cov-2. Ainsi, des lymphocytes T mémoires dirigés contre les coronavirus qui causent les rhumes saisonniers peuvent expliquer au moins une partie l’hétérogénéité observée dans la Covid-19. Mais il n’y a pas eu de preuve directe que cette réaction croisée participe effectivement à la protection contre l’infection virale.
Par ailleurs, plusieurs études montrent que les vaccins comme le BCG, le vaccin Polio, le vaccin de la rougeole et même certaines infections induisent une protection plus large contre différentes infections. Ces effets protecteurs sont liés à la propriété des vaccins vivants et de ces germes de stimuler la mémoire immunitaire innée qui n’est pas spécifique. Ainsi, les cellules de l’immunité innée comme les macrophages par exemple qui sont activées lors de la vaccination ou de l’infection, vont persister sous état d’activation pendant plusieurs mois durant lesquels elles vont être plus réceptives à d’autres infections et y répondre de façon plus efficace.
L’utilisation de la vaccination contre le BCG ou la polio a été envisagée et concrétisée par des essais cliniques pour induire une protection contre la Covid-19.
Que peut-on conclure ?
En résumé, il existe bien une immunité protectrice contre la Covid-19, basée sur des effecteurs en phase aigüe et une mémoire post-infection. Les lymphocytes T en sont les acteurs de base, les anticorps devant être considérés surtout comme les témoins de l’infection dont certains peuvent être neutralisants. La complexité des mécanismes immunitaires et la variabilité des réponses dans le cas de l’infection au SARS-Cov-19 nécessitent encore de nombreuses recherches et nous incitent à beaucoup de modestie et relativisent nos certitudes. Les cas de réinfections sont rares mais méritent d’être plus investigués en relation avec la variabilité virale et l’existence de déficit immunitaire sous-jacent. D’autres questions mériteront aussi d’être traitées à la lumière des études en cours, à savoir la tempête cytokinique et les stratégies vaccinales.
* Présidente de la Société tunisienne d’immunologie (STI). Docteure ès Sciences de l’UPMC, chercheure à l’Institut Pasteur Paris puis professeure et directrice de laboratoire à la Faculté des Sciences de Tunis.
Donnez votre avis