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Faillite de l’école publique en Tunisie: les causes et les solutions

Ce qui s’est passé avant-hier, lundi 8 novembre 2021, au Lycée Ibn Rachiq à Ezzahra, la tentative d’assassinat d’un enseignant par l’un de ses élèves, est un coup fatal porté à notre école républicaine, qui agonise depuis une dizaine d’années.

Par Amel Fakhfakh *


Nous, enseignants et ex-enseignants, qui avons passé toute notre vie sur les bancs de l’école en tant qu’élèves, étudiants et professeurs, qui avons connu l’âge d’or de l’institution scolaire – celle-ci assumait alors la fonction d’ascenseur social et était vénérée pour le statut important qui était dévolu à l’enseignant –, ne pouvons qu’être horrifiés devant ce qui vient de se produire dans le lycée d’Ezzahra,

Un adolescent de 16 ans se rue sur son professeur et lui assène des coups de couteau. Mais pourquoi ? Comment en est-on arrivés là ? Que se passe-t-il dans la tête de nos enfants ? Pourquoi cette violence qui s’érige en règle absolue dans nos institutions scolaires et dont les enseignants font souvent les frais ? Pourquoi cette hargne dirigée contre ceux qui représentent l’autorité ? Pourquoi l’anarchie est-elle en train de s’institutionnaliser dans nos établissements scolaires ?

Une société malade ne peut qu’enfanter des enfants désaxé

A qui incombe la responsabilité ?

Elle incombe incontestablement à l’État. C’est lui qui a laissé (intentionnellement ?) ces dernières années notre système éducatif aller à la dérive en faisant appel à d’anciens détenus du parti islamiste, maîtrisards pour la plupart, pour qu’ils jouent le rôle d’éducateurs (!) ou à des enseignants dont les diplômes sont frauduleux. C’est lui qui est responsable de la dégradation de nos écoles et de la déliquescence du niveau de nos élèves. C’est lui qui a porté préjudice à l’école républicaine en contribuant à l’instauration d’un enseignement parallèle destiné à diffuser une culture qui nous est étrangère et à faire des jeunes tunisiens des terroristes dangereux (école de Regueb…). C’est également l’État qui a fait de notre école publique un dépotoir.

Les instituteurs et les professeurs du secondaire faisaient partie de l’élite sociale et intellectuelle du pays. Ils inspiraient le respect et la crainte; les élèves les adulaient et n’osaient jamais mettre en doute leur compétence ou le savoir qu’ils leur dispensaient. L’instituteur faisait figure de parangon du savoir, de la culture et de l’exemplarité.

C’était l’époque où un enseignement de qualité, obligatoire et gratuit de surcroît, était prodigué et où le maître assumait la double fonction qui lui est impartie à savoir l’éducation et l’enseignement. La première fonction a été reléguée aux oubliettes, depuis belle lurette.

Certains incriminent les parents, arguant qu’ils sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. Mais, dans la Tunisie d’aujourd’hui, la cellule familiale (et partant l’ensemble de la société) est atteinte d’un profond mal-être qui, en raison de la détérioration de son pouvoir d’achat essentiellement, lui a fait perdre ses repères, la contraignant à user de tous les moyens pour subvenir à ses besoins. Ce mal-être contagieux a fait naître en elle une colère difficilement répressible, qui est génératrice d’un sentiment d’impuissance devant tout ce qui se passe autour d’elle et qui l’exhorte, dans certains cas, à banaliser la violence et la corruption.

L’enseignement dispensé aux enfants souffre d’impotence et requiert des cours d’appoint. Le phénomène des cours particuliers a gangrené notre enseignement, faisant de ce noble domaine un secteur commercial (sans compter que ces «études» servent quelquefois de moyen de pression exercé par certains éducateurs peu scrupuleux).

Les écoles privées pullulent et celles qui relèvent de la mission française extorquent sans vergogne aux parents des sommes colossales.

Les parents paient. Ils paient les études dont le coût onéreux sert à l’instituteur (ou au professeur) à arrondir ses fins de mois et à subvenir aux besoins de sa famille; ils paient au prix fort l’école privée et les activités parascolaires de leurs enfants, et donnent aux écoles françaises des dizaines de millions pour que leur enfant ait un enseignement de qualité. Ils paient au prix de nombreux sacrifices et sont persuadés qu’ainsi ils s’acquittent convenablement de leur devoir en tant que parents, ce qui leur donne bonne conscience.

La famille se transforme, dans cette optique, en institution qui emploie des salariés. L’éducation est considérée comme secondaire : l’essentiel c’est que l’enfant réussisse dans ses études et qu’il soit épanoui dans les différentes activités parascolaires auxquelles il est inscrit (sport, musique, théâtre…). C’est en cela que consiste, selon eux, leur rôle de parent. Peut-on le leur reprocher ?

Les parents ne sont pas les seuls à éduquer leurs enfants. Il y a l’éducation de masse qui est assumée par les écrans et les médias. Or c’est la culture de la violence qui est inculquée aux enfants et aux adolescents, une culture fondée sur le culte du corps (fort et/ou beau), sur l’écorce des apparences, sur le pouvoir de l’argent, sur le carpe diem, sur la dépréciation des hautes valeurs, perçues comme désuètes. C’est d’ailleurs leur envers qui est souvent à l’honneur: on assiste alors à la transmutation du malfaiteur en héros, du dealer en homme d’affaires qui a réussi et de la drogue en unique moyen pour accéder au bien-être).

Qui en est responsable aussi? les programmes, les manuels scolaires, les méthodes d’enseignement. Ils sont restés figés depuis des années alors que le monde a subi, ces trois dernières décennies, une révolution sur le plan technologique qui nous a fait faire une incursion dans le numérique. Les méthodes pédagogiques ne tiennent pas compte de ces profonds changements qui ont affecté notre société et le monde. Quand bien même l’enseignant voudrait moderniser ses méthodes didactiques, la surcharge des classes l’en empêche.

Que faire ?

L’école ne doit pas seulement être un espace où se dispense un enseignement mais aussi et surtout un lieu où l’élève acquiert les bases élémentaires de l’éducation. Les matières qui y sont enseignées doivent être subordonnées à cet objectif qui doit être considéré comme primordial au cours des années du primaire et du secondaire, années où l’enfant fait son apprentissage de la vie et essaie de trouver ses repères. L’éducation civique doit constituer l’une des principales disciplines et devrait bénéficier d’un coefficient élevé. N’ayant rien à voir avec l’éducation religieuse, cette matière enseignerait à l’élève les rudiments du vivre ensemble, le respect de l’autre, la tolérance, le partage et développerait son esprit critique.

L’enseignant devrait adopter une approche pédagogique dans laquelle l’expression orale se taillerait une place de choix. Il faudrait que les nouvelles approches pédagogiques permettent à l’élève de concilier l’enseignement qui lui est dispensé avec ses différents centres d’intérêt, afin que ce qu’il apprend en classe ne lui paraisse pas être déconnecté de ce qui polarise son attention dans la vie quotidienne.

L’image de l’instituteur devrait être réhabilitée. Quand l’élève se rend compte que son «maître» est un être méprisé par la société, qu’il est mal considéré et qu’il fait partie des personnes les plus démunies, il est amené à déprécier son enseignement, à ne respecter ni son savoir, ni ses diplômes, ni son statut, ni sa personne. L’enfant constate, en regardant autour de lui, que ceux qui ont «réussi» dans leur vie et qui sont les détenteurs de grosses fortunes ne sont pas titulaires de grands diplômes et qu’ils ne ressentent qu’un sentiment de mépris à l’égard des personnes qui ont voué leur vie aux études et qui ont du mal à joindre les deux bouts.

La réhabilitation des enseignants doit impérativement transiter par la médiation de la reconsidération de leurs diplômes et de leurs salaires. Les instituteurs et les professeurs devraient tous être recrutés parmi les étudiants qui sont titulaires du master. L’enseignant a la charge de cerveaux jeunes et malléables, aptes à subir toutes sortes d’influences. Il joue un rôle prépondérant dans la mesure où il laisse indubitablement des stigmates indélébiles dans la vie de l’individu.

C’est à ces seules conditions que l’enseignement étatique pourra recouvrer sa véritable fonction et octroyer une formation susceptible de faire des apprenants des citoyens munis d’un haut niveau moral et intellectuel, des êtres responsables qui sont respectueux de leurs devoirs et des lois en vigueur.
Notre école publique est aux abois. A qui profite le crime ?

* Universitaire à la retraite.

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