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Kaïs Saïed veut imposer sa vision de l’histoire de la Tunisie

Non content d’avoir accaparé tous les pouvoirs, en proclamant ses fameuses «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier, Kaïs Saïed veut aussi réécrire l’histoire de la Tunisie comme lui il l’entend, envers et contre tous, comme si la mémoire nationale peut être décrétée par arrêté présidentiel.

Par Imed Bahri

Présidant le conseil des ministres, hier, samedi 15 janvier 2022, au palais de Carthage, le président de la république a affirmé que «certains partis insistent encore pour que le 14 janvier soit la fête nationale, alors qu’un décret a été pris stipulant que le Jour de la Révolution est le 17 décembre».

L’historien de la république

Le président Saïed, qui a pris lui-même ce décret sans consulter personne, a aussi déclaré : «Nous refusons la servilité, la soumission et l’indignité, et nous refusons la déformation de l’histoire», l’histoire, la seule qu’il admet, étant, de son point de vue, celle qu’il croit pouvoir imposer lui-même à ses concitoyens.

«C’est un paradoxe étrange et humiliant que certaines parties suspectes à l’étranger et chez nous veuillent nous imposer les dates de nos fêtes nationales et religieuses, et il ne leur reste plus que de traquer pour nous l’apparition du croissant» (annonçant le début du mois de ramadan), a-t-il déclaré, sans désigner ces «parties suspectes», jouant comme à son habitude sur l’ambiguïté et l’imprécision, ce qui ne permet pas à ses détracteurs de le mettre en face de ses erreurs.

Saïed a souligné, par ailleurs, que «l’État est un et que sa fête nationale est une», affirmant que «la Révolution a éclaté le 17 décembre 2010 et que la date réelle de la Fête de la Révolution est le 24 décembre, lorsque le peuple tunisien a exigé le renversement du régime à la suite la mort des deux martyrs à Menzel Bouzaiene, de sorte que les protestations ont commencé pour des raisons socio-économiques, puis se sont transformées en protestations politiques exigeant un changement du système en place».

Le 14 janvier 2011 ne sera pas enterré

Par conséquent, le 14 janvier 2011, date à laquelle Ben Ali a fui la Tunisie, annonçant ainsi la chute de son régime et le déclenchement du Printemps arabe, ne peut être considéré, du point de vue de M. Saïed, comme la Fête de la Révolution, même si une majorité de Tunisiens continuent de la célébrer en tant que telle, comme ils l’ont fait vendredi dernier. Pour lui, ce jour-là, le régime n’est pas tombé. Il s’est juste réformé momentanément, avec une sorte de ravalement de façade, qui a permis au système de se régénérer et de rester en place.

C’est là une analyse qui peut être discutée par des historiens et étayée (ou réfutée) par des arguments, mais est-ce le rôle d’un président de la république de décider unilatéralement et par décret des dates des fêtes nationales, ou celles-ci ne sont-elles pas plutôt fixées par un consensus national, qui plus est, au terme d’un débat engageant toutes les forces de la nations ?

Quelqu’un pourra-t-il expliquer à M. Saïed que la Tunisie a existé pendant des millénaires avant son élection, en novembre 2019, qu’elle lui survivra, peut-être pendant des millénaires encore, et que son mandat restera, dans l’histoire, comme une petite parenthèse dont on ne se rappellera peut-être plus dans dix, cent ou mille ans ? Quelqu’un peut-il lui conseiller de se montrer plus modeste face au jugement de l’histoire qui, on le sait, a jeté dans ses poubelles plus d’un César.

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