Tunisie-FMI : les causes du report sine die d’un accord devenu incertain

Hier, jeudi 14 décembre 2022, le Board du Fonds monétaire international (FMI) a déprogrammé le dossier de la Tunisie de l’agenda de sa réunion prévue pour le 19 décembre. Un report sine die, sans date fixe. Jusqu’à hier matin, le dossier tunisien était affiché sur le site du FMI, et tout allait bien pour finaliser l’accord et débloquer la première tranche. Un changement de cap… On attend des explications officielles tunisiennes (Illustration : Kaïs Sïed recevant le gouverneur de la banque centrale, Marouane Abassi).

Par Moktar Lamari *

Cela coïncide avec la visite du président Kaïs Saïed à Washington entre le 12 et le 15 décembre, dans le cadre d’une rencontre américaine avec les leaders des pays africains.

Curieuse coïncidence, alors que le président Saïed n’est pas accompagné dans son voyage par des experts économistes. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) n’a pas été du voyage, aucun ministre ayant participé aux négociations avec le FMI.

Ce changement de cap du FMI tombe mal et vient contredire les garanties avancées par le gouverneur de la BCT qui a affirmé en grand pompe, il y a quelques semaines, que la première tranche du prêt FMI arrivera avant la fin de l’année, sous-entendant que l’affaire est définitivement conclue, et dans la poche !

La Tunisie ne tient pas parole

Situation inhabituelle, exceptionnelle et qui déroge aux us et coutumes du FMI. C’est pour signifier que la Tunisie ne tient pas parole, encore une fois.

Cela complique les choses pour un trésor public déjà exsangue. Le FMI vient chambouler les priorités tunisiennes et sanctionner l’agenda politique de Saïed, dont le projet politique a un besoin vital de l’appui du FMI par une reconnaissance et une rallonge de financement et liquidités.

Quatre raisons expliquent ce chamboulement et revirement de situations.

– Le projet de la loi de finance, décrété par le président Kaïs Saïed il y’a quelques jours, trahit les engagements pris par la délégation tunisienne ayant négocié avec le FMI, le mois d’octobre dernier. En totale contradiction! Ces engagements portent sur la réduction des dépenses publiques et notamment la masse salariale des fonctionnaires. Il faut dire que le budget public proposé par Saïed fait augmenter les taxes et les impôts, sans pouvoir résorber même symboliquement les déficits budgétaires monstrueux (9% du PIB pour 2023).

– Le président Saïed a annoncé implicitement qu’il n’est pas d’accord avec la délégation ayant négocié avec le FMI et qui a annoncé le début de la privatisation-restructuration de certaines sociétés d’Etat, et le début de retrait de certaines subventions aux produits alimentaires et énergétiques. Le président a fait volte-face, il a fait à sa tête pour des raisons électoralistes. Les élections législatives sont prévues dans 4 jours et la cote de popularité du président Saïed est en chute libre. Et ce revirement ne plait pas au FMI, et encore moins aux membres de son Board!

L’UGTT a mentionné la semaine dernière et clairement que les ententes prises par le gouvernement auprès du FMI ne l’engagent pas et qu’il n’a jamais été consulté pour donner son avis. C’est aussi un autre revirement de taille, qui oblige le FMI à demander des explications, et à reporter les échéances. Le syndicat des travailleurs demande des augmentations salariales qui peuvent doubler le montant du salaire minimum.

Les incertitudes du contexte politique

– A cela s’ajoute les incertitudes qui planent sur le contexte politique. Des incertitudes qui ne sont pas rassurantes pour le FMI, les élections législatives boycottées par l’opposition approchent dangereusement.

Autres soucis pour les chancelleries occidentales, la Tunisie parle des deux coins de la même bouche, elle veut l’argent de l’Occident pour payer ses dettes, mais pactise ostentatoirement avec la Chine.

Tout cela ne plait pas forcément aux bailleurs de fonds occidentaux. Les Américains ont averti les pays arabes des risques qu’ils encourent en s’engageant avec la Chine ou encore en s’engageant dans déclarations populistes anti-Israël, et contre-productives pour la paix dans la région Mena. Ceci explique cela!

Affaire à suivre…

* Economiste universitaire au Canada.

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