Législatives en Tunisie : le peuple n’en peut plus !

Bis repetita, la Tunisie du Printemps arabe tangue de nouveau! Les élections législatives organisées le 17 décembre 2022 ont été magistralement boudées, moins de 9% des électeurs inscrits ont voté. Une abstention qui traduit toute la déception et toute la défiance populaire au système populiste et autoritaire, instauré par le président Kaïs Saïed. Décryptage…

Par Moktar Lamari *

Toute une réponse populaire au président Kaïs Saïed qui règne en maître absolu depuis le 25 juillet 2021.

Par ce niveau d’abstention (8,8%), l’opposition exige désormais son départ immédiatement. On lui reproche son incompétence patente et dangereuse dans les dossiers économiques. Le pays est quasiment en faillite, et sans un accord de sauvetage avec le FMI, il fera banqueroute.

Avec ces élections, tout indique que la Tunisie renoue avec son instabilité politique, 13 gouvernements depuis 2011, avec plus de 560 ministres, un millier de députés et 4 présidents. Le président Kaïs Saïed et la cheffe de gouvernement Najla Bouden doivent tirer leurs conclusions au regard de la désaffection populaire des élections législatives tenues ce 17 décembre, douzième anniversaire du le Révolte du Jasmin.

Le verdict des urnes vides est limpide et sanglant: on ne peut pas gérer légitimement un pays et réformer douloureusement son économie et rénover ses institutions avec 8% de votes aux élections législatives.

Ils ont voté par les pieds

Quand il a fait sa campagne électorale pour les présidentielles, Kaïs Saïed n’avait pas en main un programme économique à proprement parlé. Il se limitait à dire que mon programme économique se résume par le slogan «Je ferai ce que le peuple veut»!

Trois ans au pouvoir, et pas besoin de dire que le président a trahi l’essentiel de ses promesses: emplois, pourvoir d’achat et prospérité. Les 92% de taux d’abstention raisonnent comme un niet populaire, qui dit en substance : on n’en veut plus et on n’en peut plus du système Saïed.

Une rupture de confiance et tout un camouflet! Décidément, le peuple veut changer d’attelage, ne faisant plus confiance au président en poste et son système générateur de pauvreté et de désespoir.

Pas besoin de dire que ce président a fait comme ses prédécesseurs de l’ère du post-2011. Il s’est dopé de la dette, a maintenu les rapports de force, a laissé faire les gaspillages et la corruption au sein de l’Etat, sans rien réformer et sans rien améliorer de concret pour le niveau de vie des citoyens. Il a incarné le pouvoir pour le pouvoir…

Avec un tel taux de participation aux élections législatives (8,8%), la Tunisie de Kais Saïed bat un record mondial dans le registre des taux d’abstention aux élections législatives, dans les pays démocratiques et se revendiquant démocrates.

Le message venant des électeurs qui sont restés à la maison au lieu d’aller voter est étourdissant, assourdissant. Il est lourd de signification et chargé de non-dits.

Lors de ces législatives, les Tunisiens et les Tunisiennes ont voté par les pieds, ne voulant plus cautionner ceux qui promettent monts et merveilles et délivrent à la place misère, instabilité et précarité. Les bonnes paroles et les diatribes ne nourrissent pas les ventres creux. Et ne font pas des enfants en santé.

Il n’a rien compris à l’économie

Le message des abstentionnistes de ces élections législatives trouve son essence dans l’échec économique d’un président qui n’a pas de vision cohérente, qui est négationniste de l’économique et irréaliste dans ses promesses et projets.

Son projet se résume en deux mots clefs, complotisme et pensée magique. Il investit dans le complotisme pour accuser les autres (spéculateurs, ennemis, etc.), entre autres de ses échecs et toutes les pénuries qui ravagent le pays. Il cultive la pensée magique pour dire que grâce à lui, la Tunisie va récupérer des «milliards de milliards de dinars» des banques suisses… ces «fortunes imaginaires» volées à la Tunisie par les politiciens tunisiens.

Un fana de la logique fondée sur le wishfull thinking, une rhétorique insensée qui se limite au discours et qui ne change rien au quotidien des gens.

Le président ne dispose pas de programme économique qui peut générer la prospérité. Or, un leader qui ne prend pas de risques pour réformer et pour créer la richesse ne pourra pas créer l’espoir et mériter la confiance.

L’échec du président Kaïs Saïed est patent sur tous les fronts de l’économique, du monétaire et du budgétaire. C’est la paupérisation des citoyens qui est en cause et qui nourrit autant de mépris et de désaffection du discours politique et de l’inaction économique.

On se rappelle de cette formule prononcée, il y a plus de 20 ans, par Bill Clinton face à son adversaire aux élections, avec un wording cru : «It’s the economy stupid!»

C’est l’échec sur le front économique qui explique autant de désaffection et déception du monde politique. Un tel échec érode la légitimité et mine la crédibilité requises pour gouverner, pour réformer et pour mobiliser.

Le verdict de 8,8% de participation aux élections législatives ne peut aucunement légitimer les réformes structurelles requises par le FMI pour sauver un pays de sa banqueroute. On comprend un peu mieux le rétropédalage du FMI qui ne veut pas cautionner un régime qui mène le pays à la banqueroute.

Les citoyens ne signent jamais un chèque en blanc! Même les moins éduqués et les plus naïfs, sont dans une certaine mesure rationnels et cohérents dans leur décision, dans leur vote et dans leur abstention.

Autoritarisme vernis de populisme

Le forcing engagé par le président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021, était pourtant bien parti, nécessaire et bien accueilli par la Tunisie dans son ensemble, tous espéraient se débarrasser des islamistes et de leurs alliés véreux.

Tout était permis et bienvenus : limogeages à grande échelle, le premier ministre, les ministres, certains maires, députés du parlement, de manière manu militaire pour faire taire, pour défaire et cadenasser toutes certaines institutions infestées par la corruption et le bakchich.

Les électeurs, les Tunisiens et les Tunisiennes sont peut-être naïfs, mais pas à ce point. Ils ont vite compris le jeu du président Saïed qui ne fait qu’à sa tête et voulait se doter d’un parlement fantoche, factice et des élus marionnettes qu’il peut manipuler à gré pour ses desseins et surtout pour renforcer son pouvoir autoritaire et populiste.

Les citoyens ont enfin compris que le locataire du palais de Carthage ne pigeait rien à l’économique, et il ne fait que saccager la valeur du dinar et sacrifier le pouvoir d’achat du citoyen avec.

Un bilan économique catastrophique

Depuis que Kaïs Saïed est au pouvoir (2019), le dinar a perdu 25% de sa valeur, et le pouvoir d’achat s’est étiolé de presque 55%. Les taux d’intérêt nominaux ont doublé, l’investissement s’est effondré et la pauvreté s’est répandue comme feu de brousse. Le chômage s’est incrusté dans le paysage politique au grand désarroi des diplômés et des jeunes qui ont tout mis dans leur projet éducatif.

La Tunisie est aujourd’hui plus pauvre qu’en 2010. Mesuré en revenu per capita (en $ constant), le Tunisien lambda gagne en moyenne 10% de moins qu’en 2010. Une décennie de paupérisation et de gouvernance d’amateurs, peu soucieux du citoyen et de son pouvoir d’achat.

Un véritable exodus s’est déclenché et se renforce à chaque jour, dans l’indifférence du président.

Quasiment 30 000 citoyens quittent le pays annuellement, surtout de façon clandestine et périlleuse pour leur vie. Des centaines de jeunes tunisiens meurent noyés annuellement lors de ces épreuves migratoires, leurs cadavres dévorés par les poissons, perdus à jamais.

L’insécurité s’est généralisée, avec un lourd tribut supporté par les femmes, elles sont violentées comme jamais ailleurs dans le monde.

Les services publics laissent à désirer, presque 100 000 jeunes décrochent de l’école annuellement. Les infrastructures se délabrent de manière inquiétante, au vu au su de tous les décideurs.

Avec en prime, les pénuries de médicaments, de lait, de sucre, d’essence, pains, riz, de matériaux de construction, sans parler des taxes qui explosent et qui poussent les capitaux à se réfugier dans le secteur informel, qui embrasse désormais plus de 45% du produit intérieur brut créé par la Tunisie.

Les jeunes ne veulent pas voter pour le système Saïed, ils ne veulent plus cautionner des chimères et châteaux de cartes : 70% d’entre eux ne pensent qu’à l’exodus et aux prochaines opportunités pour rejoindre l’Europe.

Le bilan de Kaïs Saïed est criant! Il est devant nos yeux, les 92% d’abstention sont le reflet d’un bilan qui laisse à désirer.

Cela dit, le président a aussi voulu décrocher les élections législatives des débats sur les choix, enjeux et défis économiques des programmes des candidats aux élections. Et cela explique largement le fort taux d’abstention au présent scrutin. On vote pour des projets, des idées et pas pour des noms parachutés par le concours de circonstances.

Vivement que ça change et vivement que la Tunisie retrouve le chemin de la prospérité économique, le reste vient avec! Les jeunes et les moins jeunes veulent des emplois, un revenu décent. Ils ne veulent pas que la Tunisie fasse faillite dans les prochains mois ou semaines.

Le juridisme verbeux de Kaïs Saïed est démagogique, et mène la Tunisie droit dans le mur. Ce juridisme primaire ne pourra aucunement constituer une fin en soi, pour générer la prospérité et le progrès en Tunisie.

Economiste universitaire au Canada.

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