Justice et répression en Tunisie

Les juges en Tunisie ont tendance à envoyer les présumés coupables en prison en un claquement de doigts. N’y a-t-il pas moyen de rendre justice, tout en veillant à protéger les accusés des abus dont ils pourraient faire les frais ? L’erreur judiciaire, ça existe, non ?

Par Imed Bahri

L’ancien premier président de la Cour de cassation de Tunis Taïeb Rached n’est certes pas un enfant de chœur, mais quand on voit l’issue du procès intenté contre lui pour… viol, finalement classé par le juge d’instruction près du tribunal de première instance de Siliana, on est en droit de se poser des questions sur le fonctionnement de la justice en Tunisie.

En attendant la fin de l’enquête

En fait, le magistrat a été poursuivi sur la base d’une plainte pour viol déposée contre lui par une femme auprès du tribunal de première instance de Manouba. Le dossier a été renvoyé au tribunal de première instance de Siliana où le juge d’instruction a émis un mandat de dépôt contre l’accusé en attendant la fin de l’enquête, laquelle, on le sait, peut prendre un an et demi et même plus dans certains cas.

Taïeb Rached est certes poursuivi dans plusieurs affaires et il est souvent cité, à tort ou à raison, comme l’un des symboles de la corruption de la justice en Tunisie après le 14 janvier 2011, mais est-ce une raison suffisante pour le charger davantage et ne pas lui accorder le droit à la présomption d’innocence, comme dans l’affaire de viol qui lui avait été intentée, dont l’enquête vient d’être clôturée et dans laquelle il a finalement été blanchi par le juge d’instruction… faute de preuves. C’est ce qu’a rapporté hier, vendredi 30 juin 2023, Mosaïque FM.

L’enquête relative à cette affaire ayant avancé sans que des preuves à charge ne soient apportées contre Rached, le juge d’instruction en charge du dossier a décidé de relâcher son collègue. Mais voilà que le ministère public a fait appel de cette décision et le magistrat est resté en prison.

Cette semaine, l’enquête a été clôturée et tous les examens et les expertises techniques effectués, notamment les analyses génétiques, et autres procédures judiciaires requises dans de pareilles affaires, sans que rien ne soit venu corroborer l’accusation. Et c’est ce qui a sans doute amené le juge d’instruction à décider de classer l’affaire. Mais, entretemps, le concerné a vu son honneur bafoué, au regard des membres de sa famille, de ses voisins, de ses collègues et de la Tunisie tout entière, d’autant plus que cette affaire de viol a fait des gorges chaudes dans les réseaux sociaux, étant donné le prestige lié à la fonction du concerné.

Justice ou répression

Et comme à chaque fois, la justice, les médias, la société s’en sont lavé les mains, et sont passés à autre chose, comme si de rien n’était. Quant aux préjudices subis par le présumé criminel, qui s’est finalement révélé être une vraie victime, ils passeront par pertes et profits.     

N’y a-t-il pas moyen de rendre justice, tout en protégeant les présumés coupables des abus dont ils pourraient faire les frais ?

Les collègues de Taieb Rached, qui n’ont visiblement pas beaucoup de scrupules à envoyer en prison d’improbables coupables et de possibles innocents, en un claquement de doigts, devraient réfléchir à cette question, d’autant plus que cette fois-ci, ironie du sort, c’est l’un des leurs qui a fait les frais d’un dysfonctionnement judiciaire. Et d’ailleurs, quel sens aurait la justice si elle ne sait que réprimer à tour de bras ? L’erreur judiciaire, ça existe, non ?

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