Le spectre de la normalisation avec Israël, dans le sillage des Accords d’Abraham, processus qui avance dans la région du Moyen Orient-Afrique du Nord, cause des fritures dans les relations tuniso-algériennes. Il n’y a pas de fumée sans feu…
Par Imed Bahri
Le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens de l’étranger, Nabil Ammar, a été reçu mercredi 16 août 2023 à Alger par le président Abdelmadjid Tebboune, a rapporté l’agence APS, citant un communiqué de la présidence algérienne.
La rencontre entre le chef d’Etat algérien et l’envoyé spécial du président Kaïs Saïed s’est déroulée en présence du ministre algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ahmed Attaf.
Rien n’a filtré sur l’objet de cette rencontre et encore moins sur ce qui y a été dit. On sait cependant que plusieurs questions d’intérêt commun sont actuellement sur la table des discussions à Tunis et Alger, notamment la reprise des tensions dans la Libye voisine, la situation inflammable au Niger, l’intensification des flux de migrants subsahariens qui traversent l’Algérie et la Libye avant d’arriver en Tunisie, les besoins énergétiques de la Tunisie qui est très dépendante du gaz algérien. Mais pas seulement…
Abou Dhabi et Riyad sur la ligne
Il y a un autre sujet qui concerne la polémique suscité récemment par un député algérien à propos de supposées pressions sur la Tunisie pour la pousser à normaliser ses relations avec Israël, par allusion aux récentes visites à Tunis de hauts responsables saoudiens et émiratis, dont les pays ont beaucoup avancé sur cette voie.
Selon certains analystes à Alger, Abou Dhabi et Riyad tenteraient d’utiliser l’aide financière demandée par la Tunisie pour l’amener à avancer sur la voie de la normalisation avec Israël, véritable cauchemar pour le pouvoir algérien qui se sent assiégé par des pays ayant des relations avancées avec l’Etat hébreu, notamment l’Egypte, le Maroc et la Mauritanie.
Cependant, cette analyse ne tient pas compte du fait que la question palestinienne est centrale dans la vision nationaliste arabe du président Saïed, qui reste fermement opposé à l’idée même de normalisation avec l’Etat hébreu qu’il assimile à une trahison, position exprimée lors de sa campagne électorale en 2019 et qu’il n’a jamais reniée ni même nuancée depuis.
Pour rester dans cette thématique des «pressions» dont notre pays ferait l’objet de la part de ses «frères», «amis» et autres «voisins», on ne peut pas dire que l’Algérie n’en exerce pas, elle aussi, en utilisant les leviers politique (soutien au processus politique initié par Saïed le 25 juillet 2021) et économique (aide financière et énergétique). Ce qui fait grincer quelques dents à Tunis où beaucoup appréhendent à juste titre ce qu’ils considèrent comme une «vassalisation» ayant conduit à une quasi-rupture des relations entre la Tunisie et le Maroc, inédite dans les relations entre les deux pays, et dans cette rupture, l’influence de l’Algérie n’a pas peu joué, la Tunisie étant contrainte de ménager son puissant voisin.
En toute discrétion
Pour l’histoire, rappelons que la Tunisie a été parmi les premiers pays arabes, avec l’Egypte et la Jordanie, à prendre officiellement langue avec Israël. Puisque, dans le sillage du processus de paix israélo-palestinien et de la conférence de Madrid de 1991, les deux Etats ont établi des relations diplomatiques de bas niveau qui ont abouti, au milieu des années 1990, à l’ouverture d’une «section d’intérêt» à Tunis et Tel-Aviv, le bureau de liaison tunisien ayant été dirigé par Khemaïs Jinaoui, futur ministre des Affaires étrangères, limogé dès les premiers jours de l’accession de Saïed à la magistrature suprême.
Cependant, en 2000, suite au déclenchement de la deuxième Intifada, la Tunisie a rompu ses relations avec Israël et les sections d’intérêt ont été fermées. Les relations n’ont jamais vraiment repris depuis, malgré le maintien d’échanges discrets aux niveaux diplomatique, lors des conférences internationales, et des affaires, les relations commerciales n’ayant jamais été rompues, même sous le régime de l’antisioniste notoire Kaïs Saïed. Cela veut dire que malgré les déclarations outrées et les vociférations des nationalistes arabes, il n’y a pas à proprement parler une opposition définitive des Tunisiens à la normalisation avec l’Etat hébreu s’il s’avère que leurs intérêts supérieurs l’exigent.
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