La situation économique en Tunisie continue de se détériorer

Le programme de la Tunisie avec le FMI fait du surplace alors que le président Saïed rejette les réformes prévues dans ce programme. Pendant ce temps, l’Europe lui propose une aide financière contre une réduction des flux migratoire en Méditerranée centrale.

Par Debbie Mohnblatt

[Le mois de septembre] a marqué le deuxième anniversaire de la publication du décret 117 par le président tunisien Kaïs Saïed, dans le but de consolider son emprise sur le pouvoir. Le décret est intervenu deux mois après qu’il ait destitué le Premier ministre et suspendu le Parlement. Il lui a donné le pouvoir de gouverner par décret, contournant entièrement le pouvoir législatif, et lui donnant un contrôle étendu sur divers secteurs, notamment le pouvoir judiciaire, les médias et les droits de l’homme, et lui permettant surtout de gouverner sans aucun frein ni contrepoids.

Cette décision a été condamnée dans le pays et à l’étranger comme un coup porté à la démocratie, même si certains l’ont initialement accueillie comme un moyen de sortir de l’impasse politique dans laquelle se trouvait le pays.

Les deux dernières années ont été marquées par un déclin marqué de l’économie du pays, accompagné d’une montée de l’opposition antigouvernementale.

Lors de la révolution tunisienne de 2010-2011, un soulèvement populaire contre la corruption et la répression a conduit à l’instauration de la démocratie et à l’établissement d’une constitution en 2014. En 2021, Saïed a destitué le gouvernement et suspendu le Parlement, gouvernant par décret jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution en 2022 concentrant le pouvoir entre les mains du président. Depuis, le gouvernement de Saïed est devenu de plus en plus autoritaire.

Rejet des «diktats» du FMI

«La situation économique tunisienne est aujourd’hui pire que dans la période précédant la prise de pouvoir de Saïed», a déclaré Francesco Sassi, chercheur à Ricerche Industriali ed Energetiche, un groupe de réflexion italien.

Les médicaments essentiels se sont raréfiés et le prix de certains produits d’épicerie quotidiens a grimpé, tandis que d’autres sont devenus indisponibles.

Le taux d’inflation dans ce pays d’Afrique du Nord était de 5,6% en 2020, l’année précédant la prise de pouvoir de Saïed. En 2022, il était de 8,3% et devrait atteindre près de 11% en 2023.

L’année dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a proposé à la Tunisie un prêt de 1,9 milliard de dollars pour l’aider à faire face à la crise économique. Il a cependant exigé en contrepartie des réformes que le gouvernement de Saïed a rejetées, et le prêt est resté au point mort.

Sassi a déclaré que le prêt du FMI pourrait relancer l’économie tunisienne, mais a ajouté que les réformes étaient «intenables» pour le président. Elles incluent la suppression des subventions sur le carburant et les biens de première nécessité pour rééquilibrer le budget du pays, ce qui, craint Saïed, impactera les consommateurs. Le FMI a également demandé une législation visant à restructurer plus de 100 entreprises publiques qui détiennent des monopoles dans de nombreux secteurs économiques.

Ioannis-Sotirios Ioannou, analyste des affaires étrangères et fondateur de Geopolitique Chypre, un cabinet de conseil basé à Nicosie, a déclaré à The Media Line que l’accord avec le FMI reste problématique et que la rhétorique populiste de Saïed rend les choses plus difficiles.

Plus tôt cette année, Saïed a expliqué son refus de se conformer aux exigences du FMI en affirmant que les Tunisiens devraient «compter sur leur travail» et que «la paix sociale n’est pas un jeu».

«La Tunisie n’a pas réussi à mettre en œuvre ses réformes, et sans un plan global pour faire face à sa dette, qui représente 80% de son PIB, la situation économique va se détériorer», a prévenu Ioannou.

La question migratoire

Malgré une large condamnation internationale de l’autoritarisme de Saïed, les puissances étrangères fournissent au pays une aide financière pour gagner en influence sur des questions qui leur tiennent à cœur. «L’Europe soutient implicitement la transformation incessante de l’une des rares démocraties de la région en dictature», a déclaré Sassi. L’UE, pour sa part, «essaie de relier l’immigration clandestine à la situation économique», a-t-il ajouté. Et de rappeler que, plus tôt ce mois-ci, l’UE a fourni à la Tunisie un milliard d’euros d’aide financière «pour assurer la stabilité des flux migratoires et en même temps faciliter les négociations avec le FMI». «Les flux migratoires sont le problème par excellence pour tous les gouvernements conservateurs de l’UE», a souligné Sassi.

La Tunisie est une route majeure pour les migrants subsahariens cherchant à entrer en Europe, principalement via l’Italie.

Ioannou a également évoqué l’importance de l’Europe pour la Tunisie. «[L’UE] reste un partenaire stratégique qui peut aider à gérer le plan de sauvetage du FMI, la stabilité macroéconomique, le commerce et les investissements, la transition énergétique verte, les contacts entre les peuples et la migration – qui restent une priorité stratégique pour la Méditerranée orientale et le sud de l’UE. États membres», a déclaré Ioannou.

La situation de Saïed est loin d’être idéale en termes de soutien public interne (…)  Sa présidence «est au centre de vives critiques de la part de l’opposition depuis que la Tunisie a été le premier pays à rejoindre les réformes politiques de 2010-2011, généralement désignées sous le nom de Printemps arabe», a-t-il ajouté.

Sassi affirme, de son côté, que les soutiens de Saïed se trouvent surtout dans l’armée, les forces de sécurité et les services secrets. «[Ces] mêmes groupes sont ceux qui seront le plus favorisés par l’aide économique de l’UE promise en échange de la ‘‘gestion’’ de la migration et du maintien des migrants subsahariens à l’écart des côtes européennes», a-t-il aussi expliqué.

Source : Jerusalem Post.

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