L’économie tunisienne dans l’œil du cyclone

La vulnérabilité de la Tunisie à la crise financière ressort clairement de ses performances économiques en 2023. Comment le pays peut-il se sortir du gouffre ? Extrait d’une étude publiée par le think-tank américain Carnegie Endowment.  

Ishac Diwan, Hachemi Alaya et Hamza Meddeb

En l’absence de réformes rapides, les politiques économiques de la Tunisie plongeront le pays dans un abîme. Déjà, une crise financière se prépare. C’est le résultat inquiétant du chemin suivi par le pays depuis l’arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed en juillet 2021. Ce chemin repose sur deux aspects principaux de la politique économique. La première est une campagne budgétaire expansive (et coûteuse) qui a produit des déficits historiquement élevés pendant quatre années consécutives, poussant la dette publique à des niveaux insoutenables. Le deuxième est un soutien gouvernemental insuffisant à l’activité économique, avec une détérioration du climat des affaires et des risques macroéconomiques accrus qui effraient le secteur productif et stoppent la croissance économique.

Le mécanisme qui pourrait déclencher une conflagration devient également plus clair. La fermeture des robinets extérieurs pousse le gouvernement à financer une plus grande partie de son important déficit au niveau national, en augmentant les emprunts (auprès des banques, des détenteurs d’obligations nationales et de la Banque centrale). Cela évince le secteur privé, ralentit la croissance économique, augmente l’inflation, diminue la qualité des bilans des banques et augmente le risque d’une forte dévaluation du dinar tunisien. Tous les éléments sont réunis pour une crise financière qui s’étendrait à la dette publique, aux changes et au secteur bancaire.

Augmentation de la dette et effondrement de la croissance

Lors des [récentes] élections présidentielles […]. Saïed a construit son appel populiste sur un engagement public sur deux principes : une opposition résolue à un programme du Fonds monétaire international (FMI), afin d’éviter les difficultés liées à l’austérité que cela entraînerait pour la population; et lutter contre la corruption en obligeant «l’élite des affaires corrompue» à renoncer à ses richesses prétendument mal acquises par le biais d’une procédure judiciaire qui menace les propriétaires d’entreprises de prison s’ils n’acquiescent pas.

Ces deux principes ont trouvé un écho auprès d’une population lassée d’une décennie chaotique marquée par des plans de sauvetage extérieurs répétés et une corruption intérieure croissante. Cependant, l’approche de Saïed a également conduit à une augmentation de la dette et à un effondrement de la croissance, deux phénomènes qui rongent désormais l’économie.

En conséquence de tout cela, il existe un risque sérieux d’éclatement financier. La Tunisie est dangereusement sur le point de devoir puiser dans ses réserves financières […].

Une crise financière, si elle éclate, risque d’infliger au pays un mélange déchirant de faillite de l’État, d’effondrement économique, de profondes blessures sociales et de défis politiques majeurs, étant donné la nécessité de répartir d’importantes pertes entre la population.

Les répercussions de politiques défectueuses ont déjà entraîné un déclin de la croissance économique et une détérioration des conditions sociales, avec une baisse des salaires réels et une augmentation du chômage. Ces résultats ont conduit le gouvernement à augmenter le montant des subventions, ce qui contribue à un déficit budgétaire important et renforce encore la non-viabilité des finances publiques.

Le pays est donc confronté à des choix difficiles. Un atterrissage en douceur nécessiterait un programme de réformes audacieux pour stimuler la croissance économique, un leadership politique solide et déterminé pour garantir la cohésion sociale et, idéalement, le soutien des amis de la Tunisie à l’étranger.

Comment briser le cercle vicieux de l’endettement

L’économie tunisienne est désormais très en-deçà de son potentiel. Ses problèmes sont auto-infligés. En termes quelque peu réducteurs, le problème vient d’un gouvernement qui dépense trop pour assouplir les conditions sociales – une approche qui maintient la croissance à un faible niveau. Maintenant que les sources extérieures se tarissent, les déficits budgétaires épuisent les financements intérieurs. Cela évince le secteur privé. Cela accroît également la dette publique intérieure, ce qui crée un risque d’instabilité future, déprimant encore davantage l’investissement privé. Cette situation entraîne une inflation, une baisse des salaires réels et un chômage élevé, ce qui pousse le gouvernement à dépenser trop. Comment briser ce cercle vicieux est devenu le principal défi national.

Une plus grande raréfaction des devises menacerait de plus en plus de faire tomber l’ensemble du système, générant en particulier des risques plus aigus de ruée sur les réserves, et éventuellement de ruée sur les banques également, compte tenu de leur forte exposition à la dette publique. Ces conditions ont rendu la Tunisie très vulnérable et à la merci du moindre choc, qu’il soit d’origine externe ou interne. La situation actuelle n’est tenable qu’à très court terme. La Tunisie pourrait éventuellement se sortir de sa dette grâce à une forte poussée d’investissement, mais cela nécessiterait un changement vigoureux de sa politique intérieure et un vaste programme de soutien de la part des partenaires internationaux. La Tunisie est plus probablement condamnée dans les mois à venir à choisir entre deux options douloureuses : recourir à la restructuration de sa dette ou s’engager sur la voie de l’austérité avec le soutien du FMI.

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