Avec la chute de Bachar Al-Assad, la naissance douloureuse d’un nouveau Moyen-Orient

Avec la guerre de Gaza qui touche probablement à sa fin, le Hezbollah qui sort d’une guerre épuisante contre Israël, son état-major décimé, Bachar Al-Assad qui vient tout juste de tomber d’une manière précipitée qui a donné le vertige à tout le monde, l’Iran qui s’apprête à subir un laborieux second mandat avec son lot de sanctions, le Moyen-Orient voit désormais l’étoile de la République islamique d’Iran pâlir, son Axe régional réduit en miettes et par contre une Turquie de nouveau au devant de la scène, un Israël toujours désinhibé et une Syrie qui sort dévastée de plus de cinquante ans de règne de la famille Al-Assad et qui nage dans l’expectative. C’est un nouveau Moyen-Orient qui est en train de naître dans la douleur.

Imed Bahri  

La chute du régime de Bachar Al-Assad signifie non seulement la fin de décennies de règne de la famille Assad et du parti Baas en Syrie mais elle remodèle l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient. C’est sur cet aspect qu’est revenu Mona Yacoubian, vice-présidente du département Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’Institut américain pour la paix dans le New York Times

Elle estime que la situation actuelle est entourée d’une certaine ambiguïté notamment en ce qui concerne la capacité de l’opposition syrienne à consolider son contrôle et la manière dont elle administre le gouvernement transitoire. 

Elle revient sur la multiplicité des protagonistes internationaux qui ont participé à la guerre syrienne en soutenant l’armée du régime ou bien les groupes armées rebelles et leur hâte aujourd’hui à réorganiser leurs priorités du jour au lendemain après la chute vertigineuse du régime du président déchu.

L’ampleur des convoitises

L’une des plus importantes de ces puissances est l’Iran qui n’a épargné ni argent ni équipement pour soutenir Al-Assad. Depuis 2011, lorsque la révolution a commencé, la République islamique a dépensé des milliards de dollars et envoyé des dizaines de milliers de combattants qui lui sont fidèles pour soutenir l’armée syrienne. 

La chute d’Al-Assad est considérée comme un coup dur pour Téhéran car le pays a perdu un allié arabe clé et un pont terrestre vital pour desservir le Hezbollah au Liban. Toutefois, l’ayatollah Ali Khameneï balaie cela d’un revers de main et affirme que la chute du régime de Bachar Al-Assad n’affaiblira pas l’Iran. Il ne reste à la République islamique que deux pays où il a le bras long, l’Irak qu’il contrôle via les milices chiites et le Yémen où Ansar Allah (les Houthis) contrôlent une bonne partie du territoire. 

Quant à la Turquie, elle s’apprête à renforcer son influence dans la région et malgré la complexité de ses relations avec Hay’at Tahrir Al-Sham en Syrie qu’elle classe officiellement comme mouvement terroriste, tout en entretenant des lignes de communication secrètes avec ses chefs. Jeudi 12 décembre 2024, le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan et le directeur du MIT (renseignements turcs) étaient à Damas. Ils ont été les premiers officiels étrangers à fouler le sol syrien après la chute d’Al-Assad. La Turquie s’intéresse aussi à l’aspect économique avec la reconstruction du pays voisin. Lundi, les actions des grandes entreprises turques du BTP ont bondi. C’est dire l’ampleur des convoitises…

Le NYT fait également référence aux États du Golfe soulignant qu’ils voient dans la chute d’Al-Assad une opportunité pour restaurer l’influence sunnite au cœur du Moyen-Orient et que ces pays peuvent financer la reconstruction de la Syrie et contribuer à orienter son avenir.

Au niveau régional, Israël pourrait exploiter les transformations en Syrie pour renforcer ses alliances avec les États du Golfe qui considèrent l’Iran comme une menace commune. Il surveillera également de près la manière dont se façonne le nouvel équilibre des pouvoirs en Syrie et veillera à ce que le pays ne soit pas gouverné par une force qui lui est hostile.

Israël, le Liban et la Jordanie dans l’expectative

L’article du NYT confirme qu’Israël a déjà pris des mesures pour renforcer sa sécurité alors que son armée a traversé la zone tampon du Golan occupé et atteint environ 25 kilomètres au sud-ouest de la capitale Damas. L’Etat hébreu continue d’ailleurs de lancer des frappes ciblant les forces militaires du pays. Jeudi, il a annoncé avoir anéanti 90% des capacités militaires syriennes.

Au Liban voisin, la transition post-Assad sera décisive, soit pour assurer au Liban une victoire dont il a désespérément besoin, soit pour plonger le pays dans une crise encore plus profonde. Si la transition en Syrie se déroule sans heurts, l’impact positif sur le Liban pourrait être considérable. Un calme relatif en Syrie permettrait au million de réfugiés syriens qui vivent au Liban de rentrer, offrant au pays l’espace dont il a tant besoin pour se relever et se reconstruire après un conflit d’un an avec Israël. A terme, la reconstruction en Syrie pourrait même devenir une source d’emplois et un stimulant pour l’économie libanaise en déclin.

D’un autre côté, si les groupes rebelles ne parviennent pas à consolider leur contrôle et se lancent plutôt dans des luttes intestines, le Liban pourrait être le théâtre de nouveaux afflux de réfugiés qui pourraient provoquer une crise plus profonde voire l’éclatement de violences civiles généralisées.

La Jordanie, dont le commerce terrestre avec la Syrie est très important, a beaucoup pâti des 14 ans de la guerre civile syrienne mais également du trafic de Captagon du clan Al-Assad  pour inonder la Jordanie et le monde arabe. Pour y faire face, il a mobilisé beaucoup de moyens aussi bien humains que logistiques. Une accalmie en Syrie ne peut qu’avoir des effets positifs sur Amman. 

Grand perdant de ce cataclysme géopolitique, le président russe Vladimir Poutine. Au niveau international, l’effondrement d’Al-Assad représente un revers pour Moscou qui a toujours considéré la Syrie comme un succès stratégique et un centre de son influence au Moyen-Orient. Cela affectera sa capacité à maintenir ses bases navales et aériennes en Syrie qui en cas de départ laisserait un vide stratégique que d’autres puissances pourraient exploiter. 

Pour les États-Unis, la chute d’Al-Assad représente une victoire sur ses opposants comme l’Iran et la Russie mais elle pose également de nouveaux défis, dont le plus important, selon l’auteur, est la manière de gérer les nouvelles forces en Syrie, ainsi qu’un possible retour de l’Etat islamique.

Le NYT considère que même si l’avenir demeure flou, la chute d’Al-Assad laissera une marque profonde sur la région du Moyen-Orient avec des gagnants et des perdants dans l’ordre régional émergent.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!