L’Italie renforce son influence en Tunisie et en Algérie, au détriment de la France

L’Italie accroît sans cesse son influence en Tunisie et en Algérie au détriment des intérêts français, ce qui a forcé la France à choisir le Maroc comme partenaire stratégique, estime Umberto Profazio, analyste senior à l’Institut international d’études stratégiques (IISS), spécialiste des affaires nord-africaines.

Ahmet Gençtürk

La rivalité entre l’Italie et la France en Méditerranée et en Afrique du Nord a des racines historiques profondes, remontant à des décennies, a déclaré Umberto Profazio à Anadolu. Cette concurrence s’est intensifiée pendant le conflit libyen en 2019-2020, où Rome et Paris ont soutenu des factions opposées, mais ces dernières années, les deux pays ont semblé trouver un terrain d’entente pour minimiser les tensions manifestes en tant que partenaires de l’Union européenne (UE), a-t-il ajouté.

Cependant, cette coopération ne signifie pas que leurs intérêts sont toujours alignés, a-t-il ajouté.

«La dynamique de la région oppose les deux pays. Bien qu’ils ne se combattent pas publiquement, les tensions continuent en coulisses», estime Progazio, qui souligne la forte orientation stratégique de l’Italie sur la Libye, motivée par des liens historiques, une proximité géographique et des intérêts économiques et politiques importants dans les régions occidentales et orientales de ce pays.

Cette focalisation, soutient-il, met souvent l’Italie en désaccord avec d’autres acteurs influents, dont la France.

Le rôle croissant de l’Italie au Maghreb

Evoquant l’influence croissante de l’Italie au Maghreb, en particulier en Tunisie et en Algérie, Profazio a souligné la relation étroite que le Premier ministre italien Giorgia Meloni a cultivée avec le président tunisien Kaïs Saïed.

Grâce à la facilitation de l’Italie, la Tunisie a reçu des fonds de l’UE en échange de l’endiguement des flux migratoires vers l’Europe. «Cependant, a déclaré l’analyste, ces relations croissantes entre l’Italie et la Tunisie ont suscité la jalousie de la France, car Paris considérait la Tunisie comme une ancienne colonie dans sa sphère d’influence naturelle».

Profazio a souligné que les critiques croissantes de la France à l’égard de Saïed, en particulier les accusations d’autoritarisme dans la presse française, doivent être comprises dans le contexte de cette rivalité. «Ils voient l’Italie étendre son influence en Tunisie et en Algérie, et ils essaient de lutter contre elle, par exemple, en utilisant les instruments du respect des droits de l’homme, du respect des libertés civiles et de la répression de l’opposition en Tunisie», a expliqué Profazio, estimant que la France devrait comprendre que la Tunisie est désormais très dépendante de l’Italie et de l’Algérie. Et cette influence de l’Italie en Algérie s’est également intensifiée, en particulier depuis que ce pays  apparaît comme l’un des principaux fournisseurs d’énergie de Rome.

Cette dynamique a favorisé un triangle stratégique de coopération entre l’Italie, la Tunisie et l’Algérie, diminuant encore davantage l’influence française dans ses anciennes colonies.

Le dilemme d’un Maghreb désuni

En réponse à la baisse de son influence en Tunisie et en Algérie, la France s’est tournée vers le Maroc en tant que partenaire stratégique, a observé Profazio. «Le Maghreb se trouve désormais dans cette situation difficile, la France se rangeant ouvertement du côté du Maroc en reconnaissant sa souveraineté sur le Sahara occidental, ce qui creuserait les lignes de fracture entre la France et l’Algérie», a déclaré l’analyste italien. L’Algérie, principal bailleur de fonds de la Tunisie et l’un des plus importants fournisseurs d’énergie de l’Italie, a pris note de cet alignement, ce qui pourrait encore tendre les relations entre la France et l’Algérie, a-t-il ajouté.

Quant à la question de savoir si l’Italie pourrait éventuellement adopter une position définitive sur le Sahara occidental, Profazio a déclaré que Rome avait jusqu’à présent évité de faire une telle déclaration, malgré le soutien croissant au sein du pays à la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur la région contestée.

Le Sahara occidental est une source de tensions entre Rabat et Alger depuis environ cinq décennies. Alors que le Maroc revendique la souveraineté sur la région, Alger ne le fait pas, mais il soutient le Front Polisario pro-indépendance, qui revendique la zone comme son territoire.

L’Onu ne reconnaît pas les revendications de souveraineté du Front Polisario ni du Maroc, qui a pris le contrôle de la majeure partie du Sahara occidental en 1975 après un accord avec l’Espagne et la Mauritanie.

Pour l’Italie, sa réticence à utiliser la force est l’un des nombreux défis auxquels elle est confrontée dans la poursuite de ses intérêts au Maghreb, estime Profazio. En outre, l’Italie, en tant que puissance de taille moyenne, se trouve souvent dans une position où elle doit coopérer avec ses rivaux, explique-t-il.

«Il n’est pas dans l’intérêt de l’Italie d’impliquer la France et l’UE dans ses actions en Afrique du Nord. Mais nous ne devons pas oublier que nous parlons d’une puissance de taille moyenne, qui ne peut pas faire grand-chose seule, et qui recherche donc souvent la coopération de ses rivaux européens pour contrer les puissances non européennes», conclut Profazio.

Traduit de l’anglais.

Source : Anadolu Agency.

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