Il ne faut pas croire que les liens entre l’industrie et la profession médicale soient lâches. Du moment que l’un des pontes de la profession, le Néerlandais Patrick Serruys, reconnaît que son engagement militant en faveur de la «cause du stent» est grassement rémunéré.
Dr Mounir Hanablia *
Je ne sais pas si d’aucuns dans la profession connaissent le Dr Milan Milojevic, ce spécialiste serbe en épidémiologie, diplômé de l’Erasmus Thorax Center de Rotterdam, qui s’intéresse de près aux mécanismes de prise de décision dans le milieu de la cardiologie, en particulier pour l’établissement de guideline. L’article impressionnant qu’il a rédigé il y a deux ans recueilli sur le Net parle de la difficulté d’établir des conduites claires reconnues par l’ensemble de la profession depuis le «divorce» en 2018 des chirurgiens cardiothoraciques américains avec leurs homologues cardiologues. Il y évoque naturellement la controverse dans le traitement du tronc commun coronaire gauche que les études Excel, Noble, et Precombat semblent avoir précipitée. Il insiste sur l’importance des registres qui selon lui représentent la médecine dans la réalité pratique, les études randomisées étant ou risquant d’être biaisées. Il pense que les désaccords entre les collègues sont dus aux biais méthodologiques dans les études pratiquées.
Stenting ou chirurgie : «science» ou conscience
Il faut reconnaître que les opinions du Dr Milojevic ne manquent pas d’arguments. Voilà que l’étude randomisée Syntax réalisée en 2009 trouve que le diabète est un facteur de gravité indépendant de la technique de l’angioplastie du tronc commun de la coronaire gauche, réalisée avec le Taxus, un stent au Paclitaxel, qui fut plus tard retiré du marché.
Je me souviens encore à cet effet comment, il y a une vingtaine d’années, mes chers collègues m’avaient cloué au pilori parce que j’avais adressé en chirurgie un patient qui présentait une résistance à l’aspirine et au Plavix, et que j’avais refusé de lui mettre quatre stents Taxus dans la coronaire gauche, la droite étant pratiquement inexistante.
Le patient s’était compliqué en post opératoire suite à une négligence du réanimateur, ce qui avait alimenté contre moi une campagne de calomnies, qui ne serait pas la dernière. Il en était néanmoins sorti vivant et avait repris son footing avec tellement d’entrain que ses coéquipiers habituels n’arrivaient plus à le suivre. Il est mort quelques années plus tard, mais de dysfonction diastolique, une complication du diabète qui n’a rien à voir avec la chirurgie de pontage à laquelle il a été soumis.
Des années plus tard, il s’est avéré que le stent au paclitaxel était pour tout dire «mauvais», et j’avais été bien soulagé en l’apprenant de ne pas l’avoir utilisé chez ce patient. Et c’est là un autre désavantage du stent; une fois implanté, il ne peut plus être retiré.
Quoiqu’il en soit, l’étude Syntax réalisée avec le Taxus servait de référence, et elle démontrait la nette supériorité du pontage sur le stent dans les sténoses du tronc commun. Néanmoins cette étude instaura un score de la survie qui survécut au stent considéré et ne fut plus remis en question. «On» décida donc d’en réaliser une autre avec un stent plus moderne, dit de seconde génération, et véhiculant un autre produit anti-mitotique appelé everolimus, le Xience.
Cette fois l’étude, appelée Excel démontra à peu près l’équivalence du pontage et du stent en termes de survie et d’évènements cardiaques et vasculaires cérébraux, avec même une supériorité du dernier au premier mois. Néanmoins, on prit soin de préciser que le stenting du tronc commun coronaire gauche était une alternative à la chirurgie dans les procédures simples, celles dont le score Syntax était inférieur à 34, ce qui en réalité ne préjugeait nullement de leur complexité.
Il faut cependant souligner qu’il fallait encore attendre quelques années afin de prendre suffisamment de recul quant aux éventuels événements tardifs. Cela ne signifiait pas qu’on allait en rester là, d’autant que l’étude Noble survenue un peu plus tard, venait confirmer les données de l’étude Excel. Il existait néanmoins une volonté de ne plus situer le diabète en tant que facteur de gravité indépendant, et on instaura un nouveau score élargi de survie dit Syntax II qui tient compte d’un certain nombre d’autres facteurs, tels que l’insuffisance rénale dont les cardiologues ne s’étaient nullement préoccupés jusque-là malgré l’usage massif dans leur discipline de produit de contraste, ou le tabac; toujours est-il que préméditée ou non, l’exception du diabète s’en trouvait ainsi noyée dans un certain nombre de paramètres de gravité dont le nouveau score ferait une appréciation GLOBALE. Mais c’est l’étude Precombat qui démontre combien les résultats peuvent être contestables dès lors que la méthodologie n’est plus rigoureuse.
Des études aux résultats contestables
Dans le monde globalisé qui est le nôtre il vaut mieux en mettre de côté l’origine géographique, qui rappelle un peu l’habitude d’une certaine industrie de sous-traiter ailleurs ce qu’elle ne peut réaliser chez elle.
En comparant le stenting et la chirurgie dans les cas où ils sont complets ou incomplets, s’ils traitent ou non toutes les artères malades, on a ainsi la surprise de mettre en évidence la supériorité du stenting incomplet dans le long terme à 10 ans, un résultat que rien ne justifie et qui pour être ou non significatif est parfaitement aberrant.
Autrement dit, les résultats de l’étude, tout en étant contestables n’étaient pas neutres; sans pour autant consacrer le stenting, ils sapaient la crédibilité de la chirurgie cardiaque en tant que technique de référence chez les coronariens, ainsi que semble le prouver l’implication de l’industrie parapharmaceutique et médicale dans le soutien financier massif reconnu par les chercheurs les plus éminents, à commencer par le Néerlandais Patrick Serruys, et les conflits d’intérêts qu’ils engendrent inévitablement.
Je n’ai pas de sympathie particulière pour les chirurgiens; quelques uns parmi eux sont particulièrement arrogants, ils opèrent souvent différemment de ce qui leur est demandé et ont tendance, quand ils ne détournent pas les patients, à ne pas reconnaître leurs erreurs.
Néanmoins, l’attitude des chirurgiens cardiaques américains quittant le navire devient ainsi plus intelligible; on ne peut pas les critiquer de rompre le consensus, en réagissant à la destruction de leur discipline par des études contestables prétendant servir de références scientifiques dans l’établissement des guidelines auxquels les cardiologues du monde entier (ainsi que les chirurgiens cardiaques) seraient tenus de se conformer.
Engagement militant grassement rémunéré par l’industrie
Il fallait donc en passer par tout ceci afin de bien comprendre les enjeux, quand d’aucuns, parfois qualifiés de «sages», posent des indications de stenting qui ne sont même pas validées par les guidelines, en arguant de l’absence de consensus, ou d’un score Syntax faible qui ne préjuge pas de la complexité de la lésion traitée, ni de sa dangerosité. Et qui rédigent des rapports tendancieux qui ignorent la configuration anatomique des lésions à traiter afin de solliciter l’accord préalable des prestataires sociaux dont les nomenclatures de remboursement sont miraculeusement mises à jour par des «experts», ceux là mêmes qui souvent transgressent allègrement les vérités les mieux établies.
Il y a d’abord eu les stents périmés en 2016. Mais les transgressions continuent là où elles sont possibles, ailleurs que dans la sphère occidentale, instaurent des faits accomplis médicaux et créent des précédents dont les collègues du monde entier ne manquent pas de s’inspirer. La question est évidemment de savoir, mis à part les prises en charge dans les congrès internationaux, quels intérêts ils ont à le faire, du moment que l’un des pontes de la profession, le Néerlandais Patrick Serruys, reconnaît que son engagement militant en faveur de la «cause du stent» est grassement rémunéré par l’industrie. Il ne faut pas croire que les liens entre l’industrie et la profession médicale soient lâches. Ainsi l’épouse du propriétaire d’une société, bien connu de la profession, est devenue cardiologue il y a plusieurs années par simple décision d’un chef de service, par hasard l’un des plus transgressifs des guidelines en matière de stenting. La boucle est ainsi bouclée.
* Médecin de libre pratique.
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