Va-t-on « racketter» les compétences tunisiennes opérant à l’étranger ?  

On laisse les meilleures de nos compétences tunisiennes émigrer vers des pays plus attrayants, et on cherche un moyen pour compenser nos pertes en nous faisant «rembourser» d’une certaine manière les coûts de leur formation par les pays bénéficiaires de cette fuite des cerveaux.

Imed Bahri

Voilà l’idée géniale défendue par le président de la commission de l’éducation, de la formation professionnelle, de la jeunesse et du sport à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Fakhreddine Fadhloun, et qu’il a présentée dans l’émission ‘‘Weekend al-kif’’ sur Diwan FM, dimanche 24 novembre 2024, ajoutant qu’un projet de loi est à l’étude pour faire face à l’émigration des compétences tunisiennes et qu’il sera bientôt examiné par les parlementaires.

Il y a deux options à cet effet, ou bien ajouter un point au projet de loi de finances pour l’année 2025 relatif à la migration des compétences ou examiner un projet de loi déjà prêt après discussion avec les parties concernées, comme les ordres des médecins et des ingénieurs et les ministères de l’Enseignement supérieur et des Finances, a expliqué le parlementaire.  

Une initiative législative incongrue       

L’initiative législative vise à rechercher un précédé légal et acceptable sur le plan international pour trouver un arrangement avec les parties bénéficiaires de l’apport des compétences tunisiennes qui préserve les intérêts de notre pays, sans porter atteinte à ceux de ses compétences émigrées, a expliqué Fadhloun, qui ne semble pas saisir l’incongruité de son initiative.

«Il existe aujourd’hui une migration des cerveaux et des compétences tunisiennes, qui ont beaucoup coûté à l’Etat, à la communauté nationale et aux contribuables plus précisément, et qui touche les corps des médecins, des ingénieurs et des professeurs universitaires», a déclaré Fadhloun, ajoutant que quelque 4000 médecins et 40 000 ingénieurs ont émigré au cours des 5 dernières années. «Ce phénomène s’est aggravé depuis 2011 et il y a beaucoup de compétences tunisiennes qui désirent émigrer», a-t-il ajouté, estimant que la formation d’un médecin ou d’un ingénieur coûte à l’Etat tunisien environ 100 000 dinars annuellement.

Le parlement a adopté au cours de l’année dernière un accord pour attirer des médecins chinois, étant donné le manque de médecins dont souffrent beaucoup d’hôpitaux publics en raison de la migration de nos praticiens, a rappelé Fadhloun. «Est-ce raisonnable ?», s’est-il demandé en appelant à trouver des solutions équitables à ce problème, et qui garantissent les droits de toutes les parties.

«Les compétences tunisiennes ont le droit de chercher de meilleures conditions de travail et d’essayer d’améliorer leur standing social. La mobilité est aussi un droit humain garanti par les lois. Mais ces compétences font profiter des parties étrangères gratuitement de leurs savoir-faire», a insisté le député, qui ne doute pas un instant de l’inanité de sa proposition.

Un mauvais calcul

En effet, le marché international de l’emploi est ouvert à toutes les nationalités, et si vous empêchez vos médecins et vos ingénieurs de partir ou que vous rendez leur départ plus difficile, d’autres pays sont prêts à combler le vide ainsi laissé, sans que les pays d’accueil ne soient obligés de faire le moindre effort pour attirer cette main d’œuvre de qualité.

Sur un autre plan, ce sont les envois de fonds de cette importante communauté tunisienne à l’étranger qui permet aujourd’hui à notre pays de rééquilibrer, un tant soit peu, ses finances publiques. Ce serait une bien mauvaise idée que de vouloir «racketter»– et c’est le cas de le dire, ceux et celles qui aident beaucoup les leurs restés au pays.

Il serait plus judicieux d’améliorer la situation des hôpitaux publics, de garantir de meilleures conditions de travail aux cadres de la santé et de les inciter ainsi à rester au pays. Le projet de loi défendu par M. Fadhloun ne réglera aucun des problèmes pour lesquels il a été conçu, mais il en créera sans doute d’autres.     

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