Banque centrale de Tunisie | Oui, l’amendement de la loi de 2016 s’impose

Dans cet article l’auteur récapitule les idées et arguments qu’il n’a cessé depuis trois ou quatre ans de défendre dans une quinzaine d’articles publiés dans Kapitalis pour recommander par des analyses d’un niveau académique et loin de toute politique politicienne d’amender la loi de 2016 qui accorde l’indépendance et l’autonomie de décision à la Banque centrale de Tunisie (BCT). Il approuve et soutient la décision récente prise par le chef de l’Etat dans ce sens. Et s’en explique…

Dr. Sadok Zerelli

Je dois dire tout d’abord et pour ne pas être soupçonné de faire de la politique sous couvert d’analyse économique, comme font certains «experts» omniprésents dans les médias, que je n’appartiens et je n’ai jamais appartenu à aucun parti politique et que je ne me suis même pas dérangé le jour des élections présidentielles pour aller voter pour ou contre Kais Saïed.

J’ajouterais même, pour être encore plus clair à ce sujet, que je suis un retraité âgé qui tient à savourer sa retraite après une vie de dur labeur et qui pour tout l’or du monde n’accepterait un poste de responsabilité quelconque ou de conseiller de qui que soit.

Pour moi, en tant qu’économiste, ce qui compte avant tout c’est l’efficacité de la politique économique et monétaire pour assurer le développement du pays et améliorer le niveau de vie de la population, peu m’importe qui est le Président, qu’il soit de gauche ou du centre ou de droite, islamiste ou laïc, dictateur ou démocrate républicain…

Selon cette conception de la politique, qu’on peut approuver ou pas mais qui est la mienne, je ne peux que saluer, une fois n’est pas coutume, les directives données par le chef de l Etat au gouverneur de la BCT lors de l’audience qu’il lui a accordée le vendredi 21 février 2025 pour amender la loi de 2016 sur l’indépendance de la BCT et redéfinir son rôle dans le développement économique et social du pays.

J’applaudis d’autant plus cette décision et la nouvelle mission que Kais Saïed a fixé à la BCT qu’il est juriste de formation et qu’il y a une différence comme entre ciel et terre entre le droit constitutionnel qu’il a enseigné pendant des années et l’économie monétaire que j’ai enseignée pendant des années également.

A ce titre, je suis bien placé pour savoir que ce n’est pas une discipline facile et qu’arriver à comprendre certains concepts économiques tels que l’économie réelle et l’économie monétaire, les mécanismes de transmission de l’une à l’autre, le fonctionnement d’un système bancaire, le rôle d’un Institut d’Émission, etc., n’est pas à la portée du premier responsable politique venu.

Une approche récapitulative

Je ne vais pas développer dans cet article tous les arguments et idées pour lesquels je soutiens fermement la décision le Président sur ce dossier. J’avais publié depuis deux ou trois ans dans Kapitalis une bonne vingtaine d’articles plus ou moins techniques et plus ou moins approfondis critiquant la politique monétaire menée par la BCT depuis qu’elle est devenue indépendante, que j’invite les lecteurs et lectrices à lire ou relire pour faire le lien avec cet article. J’y avais développé de long en large mes arguments, tantôt en m’adressant à des experts spécialistes en théorie monétaire en leur rappelant la formulation de l’équation de Cambridge sous-jacente à la politique monétaire suivie par la BCT ou en faisant la démonstration mathématique de l’efficacité de l’autre politique monétaire possible pour maîtriser l’inflation, à savoir celle des taux des réserves obligatoires (voir plus loin), tantôt en m adressant au grand public en expliquant avec le langage le plus simple  les fondements et les raisonnements économiques qui se trouvent à la base des différentes politiques monétaire de lutte contre l’inflation. 

Dans cet article, je vais juste rappeler les principaux arguments et idées que j’avais développés en détail dans des articles antérieurs et qui justifient la décision du chef de l’Etat d’amender le statut d’indépendance de la BCT que la loi de 2016 lui a accordé, en mettant à profit mes compétences pédagogiques d’ex-enseignant universitaire pour expliquer dans le langage le plus accessible à tous des concepts et des raisonnements économiques qui sont en réalité assez compliqués.

1) La loi de 2016 a détourné la BCT de sa vocation :

En théorie monétaire comme en pratique et dans tous les pays du monde, une banque centrale remplit trois fonctions essentielles pour faciliter l’activité économique dans un pays et qui sont par ordre hiérarchique d’importance :

  • celle d’un Institut d’Émission : c’est d’ailleurs le nom originel d’une banque centrale. A ce titre elle émet et fabrique la monnaie fiduciaire d’un pays, billets et pièces de monnaie, théoriquement selon le volume d’or et de devises qu’elle détient dans ses coffres. Ce processus de fabrication est sous-traité par la majorité des banques centrales du monde à des industries de haute précision technologique qui se trouvent pour la plupart en Suisse, pays qui en fait sa spécialité;
  • celle de banque des banques, et à ce titre, la banque centrale rachète aux banques commerciales les titres de créances et les bons du Trésor qu’elles détiennent pour leur permettre de reconstituer leurs liquidités. On appelle cela le mécanisme de refinancement des banques. D’autre part, la banque centrale assume une mission d’autorité de tutelle des banques commerciales et doit veiller à ce titre à ce qu’elles soient toujours solvables et continuent à jouir de la confiance de leurs clients sans laquelle l’ensemble du système bancaire s’écroulera comme un château de cartes par un effet de dominos (la faillite d’une banque entraine la faillite d’une autre);
  • celle de lutte contre l’inflation : c’est la troisième fonction en termes de hiérarchie des responsabilités. A ce titre, la banque centrale doit veiller en permanence par des opérations d’ «open market» réalisées tous les jours sur le marché monétaire à ce que la masse monétaire en circulation (monnaie fiduciaire + monnaie scripturale sous forme d’écriture dans les comptes bancaires des clients) soit suffisante pour répondre aux besoins de financement des agents économique et en même temps pas trop pour ne pas créer de pressions inflationnistes.

Il convient de mentionner à ce sujet que la lutte contre l’inflation ne relève pas de la responsabilité exclusive de la banque centrale, mais de l’ensemble des départements ministériels chacun dans le secteur qui le concerne pour augmenter la production et réduire les coûts et donc les prix de vente des biens et services, en particulier de la responsabilité du département du commerce qui doit mettre en place une politique efficace pour assainir les circuits de distribution et sévir contre les spéculateurs.

Or par ignorance du rôle et des fonctions de base d’une banque centrale, les députés qui ont voté la loi de 2016 lui ont attribué comme première mission la lutte contre l’inflation, reléguant au second plan sa mission plus fondamentale de financement de l’activité économique et de satisfaction des besoins de liquidités de tous les agents économiques, y compris l’Etat.

Kais Saïed, malgré sa formation de juriste non familier avec l’économie monétaire, semble avoir bien compris ce détournement de vocation de la BCT et a entièrement raison d’ordonner son retour à sa vocation initiale qui est d’être au service du financement de l’économie nationale pour permettre la plus grande croissance économique possible et créer assez de liquidités pour satisfaire les besoins de financement de l’ensemble des agents économiques y compris de l’Etat. Il a raison aussi de considérer que la BCT ne saurait se dérober à ses responsabilités dans le financement de l’activité économique sous prétexte de l’indépendance de décision que la loi de 2016 lui a accordée, car c’est une institution publique qui fait partie des structures de l’Etat.

2) Depuis son indépendance en 2016 et sous l’influence du FMI, la BCT applique une politique monétaire de type monétariste basée sur le taux directeur : 

Depuis qu’elle a acquît non seulement son indépendance administrative et financière mais aussi son indépendance de décision en matière de politique monétaire grâce à cette fameuse loi de 2016, la BCT a augmenté pas moins que huit fois son taux directeur, qui se situe encore aujourd’hui à 8%, entraînant des taux d’intérêt bancaires «d’enfer» selon le langage même des banquiers de l’ordre de 14% qui asphyxient aussi bien les ménages que les entreprises. 

Cette politique monétaire s’est traduite entre autres par un effet d’éviction des investissements et une aggravation de la récession économique et du chômage sans réussir pour autant à maîtriser l’inflation qui demeure élevée (6,7% en ajustement annuel pour le dernier mois). Pire, en augmentant les charges de financement des entreprises qui n’ont pas d’autres choix que de répercuter cette augmentation sur leurs prix de vente, cette politique du taux directeur menée par la BCT a contribué à alimenter l’inflation qu’elle est censée combattre !

Il existe une autre cause de l’échec de la politique du taux directeur pour maîtriser l’inflation que le premier Tunisien rencontré dans la rue connaît mais apparemment pas les responsables de la BCT : l’inflation n’est pas due seulement à l’accroissement de la consommation intérieure comme les responsables de la BCT le supposent, mais bien et en grande partie à l’insuffisance de l’offre, à l’inflation importée et à l’accroissement des coûts de production, toutes causes sur lesquelles le taux directeur de la BCT n’a aucun impact.

3) Les fondements théoriques de la politique monétaire menée par la BCT :

Sans entrer dans des considérations d’ordre théorique qui seraient inappropriées dans cet article destiné au grand public, il est nécessaire de rappeler qu’il existe non pas une mais plusieurs théories ou écoles de pensées économiques (d’où le nom de sciences économiques au pluriel) qui vont de l’école classique d’Adam Smith, à l’école néoclassique de Ricardo, à l’école de Keynes, à l’école monétariste  (qu’on appelle aussi l’école de Chicago) de Milton Friedmann, qui est l’école de pensée la plus récente et dominante actuellement notamment dans les institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque Mondiale.

La politique monétaire préconisée par cette école de pensée, appliquée consciemment ou pas par l’ex et le nouveau gouverneur de la BCT, qui applique la même politique monétaire que son prédécesseur et a maintenu le même taux directeur à 8% (au point de se demander à quoi cela peut servir de changer de gouverneur si c’est pour appliquer la même politique?), repose sur une fameuse équation qu’on appelle «équation quantitative de la monnaie» ou «équation de Cambridge» pour laquelle Friedmann a reçu le Prix Nobel en économie. Celle-ci établit une relation mathématique et mécanique entre le PIB, la masse monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie. Friedman lui-même explique que pour que cette équation fonctionne pour maîtriser l’inflation dans un pays, il faut que la vitesse de circulation de la monnaie soit stable à court terme et qu’il existe un bon mécanisme de transmission entre l’économie réelle (opérations de production, consommation, exportation, investissement, etc.) et l’économie monétaire (masse monétaire en circulation, taux d’intérêt, taux de change, niveau général des prix, etc.). Ces deux conditions se trouvent souvent remplies dans les pays développés tels que les Etats-Unis où la France qui ont appliqué avec succès une telle politique du taux directeur et ont effectivement réussi à ramener leur taux d’inflation qui a atteint plus de 10% à la suite de la flambée des prix des matières premières et du pétrole ayant suivi le déclenchement de la guerre en Ukraine à environ 2% actuellement.

Mais chaque pays a ses spécificités, sa sociologie et la structure de son économie et la politique monétaire qui peut réussir dans un pays ne fonctionne pas forcément dans un autre. En particulier chez nous où la même politique du taux directeur appliquée par la BCT depuis la promulgation de la loi de 2016 s’est avérée non seulement inefficace pour maîtriser l’inflation mais a bloqué les investissements et la croissance économique.

4) les raisons de l’échec de la politique du taux directeur :

Il existe deux raisons principales qui expliquent l’échec cuisant de la politique du taux directeur pour maîtriser l’inflation, que tous les Tunisiens connaissent, sauf apparemment les responsables de notre banque centrale.

  • La première est l’importance de l’économie souterraine ou de ce qu’on appelle le secteur informel qui représente selon plusieurs experts 54% du PIB : à chaque fois que la BCT augmente son taux directeur que les banques commerciales répercutent automatiquement sur les taux d’intérêt débiteurs qu’elles facturent à leurs clients, rendant ainsi le crédit plus cher, les opérateurs économiques ont davantage recours à des transactions souterraines et hors des circuits bancaires. Le résultat est que la vitesse de circulation de la monnaie dans ce secteur augmente considérablement à court terme alors que, selon Friedman lui-même, l’équation quantitative de la monnaie ne peut fonctionner que si elle reste stable à court terme.
  • La deuxième raison qui explique l’échec de la politique du taux directeur suivie par la BCT est la faible inclusion financière en Tunisie : selon une étude récente réalisée par Fitch Solutions, seuls 35% des Tunisiens disposent d’un compte bancaire ou postal (contre plus de 95% dans les pays développés où cette politique fonctionne). Cette réalité propre à la Tunisie fait qu’il existe un faible mécanisme de transmission entre l’économie réelle (décisions de consommation, de production, d’investissement etc.) et l’économie monétaire (décision d’augmenter le taux directeur), parce que beaucoup d’agents économiques opèrent hors des circuits bancaires classiques.

A ce sujet, je voudrais rappeler un article que j’avais publié il y a quelques mois dans Kapitalis et que je considère comme l’un des plus intéressants que j’ai eu à publier et que j’invite les lecteurs et lectrices à lire ou à relire. Il s’intitule «La politique monétaire de la BCT jugée par l’IA» dans lequel je reproduis la réponse intégrale de ChatGPT à la question que je lui avais posée à ce sujet. J’ai été personnellement frappé par la perspicacité de son analyse et la pertinence de ses arguments, en particulier par le fait qu’il a bien identifier l’importance du secteur informel en Tunisie comme cause de l’échec de la politique du taux directeur menée par la BCT pour lutter contre l’inflation. L’IA serait-elle plus intelligente que les responsables de notre BCT ? Il y a lieu de le croire.

En tout cas, pour moi en tant qu’économiste ayant enseigné pendant des années un cours de théorie monétaire, ce sont des explications tellement évidentes qu’elles me rappellent la fameuse réplique de Sherlock Holmes qu’on retrouve dans tous les romans policiers écrits par Agatha Christie : «C’est élémentaires, mon cher Watson

J’accuse…

Que ChatGPT ait raison ou pas, que j’aie raison ou pas et que l’explication théorique à laquelle nous arrivons tous les deux soit fausse ou pas, je n’arrive pas  à comprendre l’entêtement des responsables de la BCT, y compris du nouveau gouverneur (qui n’est pas, rappelons-le, monétariste mais expert en énergie), à continuer à appliquer la même politique du taux directeur depuis bientôt dix ans alors que les chiffres officiels de l’inflation publiés par l’INS sont là et montrent clairement qu’elle ne donne pas de résultat tangible puisque l’inflation demeure encore élevée jusqu’à aujourd’hui (la baisse à 6,7% actuellement contre 9,3% en 2023 n’est pas due à l’efficacité de cette politique monétaire comme les responsables de la BCT veulent le faire accroire au public, mais bien à une baisse relative des cours des matières premières et du pétrole sur le marché international après le pic atteint en 2023 et à la baisse du pouvoir d’achat en raison du blocage des salaires depuis deux ou trois ans).

On peut se tromper de politique monétaire une fois, deux fois, trois fois mais pas huit fois et décider encore il y a quelques semaines de maintenir le taux directeur à 8%, alors qu’il ne dépasse pas 3 à 4% dans des pays à économie similaire et concurrente à la nôtre tels que le Maroc ou la Jordanie ou le Sénégal.

Dans le style du célèbre article intitulé ‘‘J’accuse’’ écrit par Émilie Zola à propos de l’affaire Dreyfus, j’accuse ici les responsables de la BCT, anciens comme nouveaux, d’avoir, par leur incompétence et ignorance du minimum de connaissances en théorie monétaire, occasionné la faillite de milliers de PME qui ne pouvaient pas payer les taux d’intérêt d’enfer de 14 ou même 15% que les banques leur demandent à cause du niveau injustifié et très élevé du taux directeur fixé par la BCT, d’avoir ainsi mis en chômage des dizaines de milliers de salariés, d’avoir bloqué les investissements et  aggravé la récession économique et le chômage et d’avoir commis, ainsi, ce que j’appelle, en mesurant bien mes mots, un crime contre l’économie de ce pays! Un tel crime n’aurait pas été rendu possible sans cette loi de 2016 qui a été votée par des députés ignorants de la chose économique et financière et dont le président Kais Saïed, bien que juriste et n’ayant pas de formation en économie monétaire, a bien compris le caractère pernicieux et veut à juste raison amender, que cela plaise au puissant lobby de la BCT ou non.

Quant à l’argument que l’ex-gouverneur avait l’habitude de présenter pour justifier une telle politique monétaire basée sur le taux directeur (le nouveau est plus malin et n’a fait aucune déclaration depuis qu’il a pris ses fonctions il y a plus de six mois, ainsi il ne risque pas d’être critiqué et peut espérer garder plus longtemps son fauteuil!), à savoir que c’est le FMI qui impose à la BCT d’appliquer cette politique, je ne peux qu’être d’accord avec le président Kais Saïed qui rejette à juste raison  tout diktat et toute ingérence de cette institution dans la politique intérieure du pays.

5) Le financement du déficit budgétaire de l’Etat :

Un des articles de cette loi de 2016 interdit expressément à la BCT de financer directement le déficit ou l’impasse (déficit temporaire) du budget de l’Etat.

Le prétexte avancé par les auteurs de cet article est de se prémunir contre le risque que l’Etat n’abuse de son pouvoir de tutelle pour obliger la BCT à faire fonctionner à fond le mécanisme de la planche à billets pour financer à volonté ses déficits et impasses budgétaires.

Je vais expliquer en quelques lignes et dans les termes les plus clairs pourquoi cet argument ne tient pas la route et qu’on se retrouve en fait dans une situation bien illustrée par le proverbe tunisien qui dit «Moussa el-haj mouch el-haj moussa» !

Avant 2016, le ministre des Finances en tant qu’autorité de tutelle de la BCT, peut prendre son téléphone à tout moment et ordonner au gouverneur de la BCT de créditer le compte du Trésor public ouvert à la BCT de X millions de dinars pour financer le déficit ou l’impasse du budget de l’Etat. Le gouverneur de la BCT s’exécute s’il veut garder son fauteuil et en général il le veut.

C’est ce qu’on appelle le mécanisme de la planche à billets qui est très inflationniste car il se traduit par l’injection d’une nouvelle quantité de monnaie dans l’économie sans contreparties réelles (accroissement de la production, ou des exportations, ou des transferts effectués par nos TRE, ou des recettes touristiques, ou de nouveaux emprunts accordés par les bailleurs de fonds ou des pays amis).

Depuis la promulgation de la loi de 2016, le Trésor public est tenu d’émettre des bons du Trésor à court ou moyen ou long terme ou des emprunts obligataires à des taux suffisamment rémunérateurs pour que les banques commerciales acceptent d’y souscrire.

Cependant, ce que les auteurs de cette disposition de la loi de 2016 semblent ignorer, c’est que les banques commerciales ont la possibilité de céder sur le marché monétaire ces titres publics à la banque centrale qui les règle en créditant leurs comptes détenus chez elle par un jeu d’écriture. C’est donc toujours la planche à billets qui fonctionne puisque dans les deux cas il y a création monétaire sans contreparties réelles.

La seule différence entre les deux procédures de financement du déficit budgétaire est que dans celle introduite par la loi de 2016, les banques commerciales et leurs actionnaires encaissent des millions de dinars sur le dos de l’État et donc des contribuables. D’ailleurs, tout observateur de l’actualité économique et financière en Tunisie relève, qu’alors que le marasme économique est général et dure depuis des années, seules les banques tirent leur épingle du jeu et n’ont jamais réalisé autant de bénéfices que depuis l’entrée en vigueur de cette loi de 2016 (pour l’exercice de 2023,  une moyenne de 500 millions de dinars par banque avec un pic de 975 millions de dinars pour la seule BNA).

Ce qu’il faut faire remarquer est que le taux de rémunération des bons du Trésor émis par l’Etat pour financer son déficit ou impasse budgétaire sont indirectement indexés au taux directeur de la BCT d’une façon telle que toute augmentation de celui-ci entraîne automatiquement davantage de bénéfices pour les banques commerciales qui ont souscrit à ces titres! 

Un autre effet pervers de cette loi est que nos banquiers, qui cherchent toujours le maximum de bénéfices avec le minimum de risques, ont tendance à préférer souscrire à ces bons du Trésor aux rendement élevé et qui ne présentent pas de risques d’insolvabilité plutôt que de prêter aux entreprises pour financer leurs activités, obligeant certaines à déposer leurs bilans et mettre leurs salariés au chômage.

6) La politique monétaire alternative pour lutter contre l’inflation :

Pour tout économiste maîtrisant la théorie monétaire, il ne fait pas de doute que la politique de taux de réserves obligatoires est infiniment plus efficace qu’une politique de taux directeur pour réduire la masse monétaire en circulation et espérer ainsi maîtriser l’inflation. 

Dans l’un de mes articles, j’ai expliqué, démonstration mathématique à l’appui, que le processus de création monétaire par les banques commerciales (qui, contrairement à l’idée admise par le public, sont les premières responsables de l’accroissement de la masse monétaire dont 80% est sous forme de monnaie scripturale) constitue une suite algébrique convergente dont la somme est égale à l’inverse du taux de réserves obligatoires que la BCT impose aux banques par circulaire. Cela veut dire qu’augmenter ce taux par exemple de 5% réduit automatiquement et mécaniquement de 20 fois la capacité des banques à créer de la monnaie et à augmenter la masse monétaire.

La question que chacun(e) est en droit de se poser est la suivante : pourquoi les responsables de la BCT n’appliquent-t-ils pas une telle politique qu’ils connaissent certainement (c’est du niveau d’un maitrisard en sciences économiques)?

La réponse à laquelle j’arrive en toute objectivité va choquer plus d’un(e) : en augmentant le taux de réserves obligatoires imposé aux banques, la BCT réduit drastiquement leurs capacités à accorder des crédits donc leurs chiffres d’affaires et donc leurs bénéfices alors qu’en augmentant son taux directeur, elle augmente automatiquement leurs bénéfices à travers les bons de trésors qu’ils ont souscrits.

De là à conclure que la BCT est au service des lobbies bancaires avant d’être au service de l’économie nationale, c’est ce dont le président Kais Saïed semble être convaincu et que personnellement je rejoins, chiffres et analyses scientifiques à l’appui.

* Economiste, consultant international.

** Le titre est de la rédaction. Le titre original de l’auteur : « Amendement de la loi de 2016 sur le statut de la BCT : Bravo au Président Kais Saïd ».

PS : Cet article sera probablement le dernier d’une série d’une quarantaine d’articles d’ordre économique que j’ai publiés dans Kapitalis, parce que j’ai fini par réaliser au bout de trois ou quatre ans que c’est une perte de temps dans le sens où ils n’ont aucun impact sur la politique économique et monétaire menée dans le pays. J’ai donc décidé de me reconvertir vers un autre domaine qui m’intéresse davantage, à savoir… la poésie ! J’ai créé dans ce but sur Google un blog que j’ai appelé «Poèmes de la vie» où je compte publier des poèmes d’ordre métaphysique traitant du sens de la vie  et de l’insignifiance des êtres et des choses que j’aurais plus de plaisir à écrire et que les lecteurs amateurs de poésie trouveront certainement plus de plaisir à lire que cette charabia sur l’économie monétaire !

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