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Kaïs Saïed, un président sur un nuage

En recevant aujourd’hui, vendredi 3 juillet 2020, au Palais de Carthage, le président de la Chambre des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, et le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, le président de la république, Kaïs Saïed, a cru devoir rappeler à chacun sa juste place au sein de l’Etat tunisien. Et, ce faisant, se décharger de ses responsabilités sur les autres…

Par Ridha Kéfi

C’est la énième fois où le chef de l’Etat se retrouve dans l’obligation de rappeler, notamment au président du parti islamiste, que c’est lui le chef de l’Etat et qu’eu égard la place qui est la sienne à la tête de la magistrature suprême, la Constitution lui accorde la mission d’incarner la nation tout entière, de représenter l’Etat à l’étranger et de veiller au respect de la Loi fondamentale, que M. Ghannouchi ne cesse de transgresser, en cherchant à jouer un rôle politique outrepassant ses prérogatives de président de l’Assemblée.

Un président au-dessus de la mêlée

«Le président de la république est le symbole de l’unité de la nation, le garant de son indépendance et de sa pérennité et le gardien de sa constitution», a déclaré le président Saïed, selon le communiqué rendu public par la présidence de la république après la rencontre.

Le président rappelle ainsi, indirectement, aux deux autres piliers de l’Etat, que les divisions actuelles entre les partis composant la coalition gouvernementale, l’anarchie régnant à l’Assemblée et les interminables (l’adjectif «minables» serait plus juste) querelles politiques sont de nature à affaiblir l’Etat, ce qui redonne au président de la république toute son autorité politique et morale, étant le président de tous les Tunisiens et se tenant au-dessus de tous les partis.

Le président Saïed, dont on connaît l’attachement au formalisme juridique, étant davantage professeur de droit constitutionnel que président de la république, plus juriste que politique, méprisant même parfois sinon «la» politique du moins «les» politiques qu’il a toujours tendance à regarder de haut, a aussi «insisté sur la nécessité de régler le plus rapidement possible les problèmes socio-économiques et de trouver des solutions aux revendications légitimes du peuple tunisien, notamment en ce qui concerne l’emploi, la liberté et la dignité», ajoute le communiqué de la présidence de la république, dans une allusion limpide aux mouvements sociaux, notamment celui dit d’El-Kamour, à Tataouine, qui bloque la vie économique dans ce gouvernorat du sud et paralyse les activités des sociétés pétrolières.

Le chef de l’Etat, qui ne s’est pas encore prononcé sur ce qui est appelé Fakhfakh Gate, une sombre affaire de conflit d’intérêts, impliquant le chef du gouvernement qu’il avait lui-même choisi, semble vouloir mettre la pression sur Elyès Fakhfakh pour qu’il évite le pourrissement de la situation à Tataouine, sachant que les manifestants appartiennent, dans leur majorité, à la masse des 73% des électeurs qui l’ont porté à la magistrature suprême.

Pourquoi M. Saïed ne parlerait-il pas aux manifestants d’El-Kamour ?

On aurait cependant aimé entendre M. Saïed parler lui-même directement aux manifestants, d’autant qu’il jouit d’un certain crédit auprès d’eux, pour les raisonner, les calmer et les faire patienter, car il est bien placé pour savoir que la marge de manœuvre du gouvernement et des entreprises pétrolières où ces derniers veulent tous être embauchés est des plus réduites. Il avait pourtant promis, lors de sa récente visite de travail à Paris, au cours de ses entretiens avec les médias français, que, dès son retour à Tunis, il rencontrerait lui-même les manifestants. Mais qu’attend-t-il pour le faire ou ne veut-il pas se mouiller la chemise ou mettre la main dans le cambouis?

C’est à cela que doit servir aussi un président, surtout dans les moments difficiles, pour aider à rétablir l’ordre et la stabilité, et non pas seulement à tenir des discours pompeux en arabe littéraire sur les libertés et les droits, ou, comme il le fait souvent, à remonter le peuple contre le gouvernement ou contre la classe politique dans son ensemble, se tenant lui-même au-dessus de la mêlée et se déchargeant de ses responsabilités sur les autres, car il en a lui aussi des responsabilités ou faut-il qu’on les lui rappelle ?.

À moins que M. Saïed ne cherche le pourrissement de la situation pour pouvoir faire passer ou imposer son fameux projet de réforme du système politique, trop partitocrate à son goût et faisant peu de cas de la volonté populaire.

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