La grève générale observée aujourd’hui, jeudi 28 octobre 2021, par les employés de 174 entreprises privées à Sfax, selon les chiffres avancés par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour revendiquer, comme souvent, des hausses salariales, est un simple tour de chauffe. C’est une manière de la part de la centrale syndicale de montrer de quel bois elle se chauffe en perspective de prochaines confrontations, sans doute déjà programmées, avec les autorités publiques et le patronat privé sur le même thème des hausses salariales.
Par Imed Bahri
Lors de sa première rencontre hier, mercredi 27 octobre, avec le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, qui, dit-on, a duré plusieurs heures et dont peu de chose a filtré, la cheffe de gouvernement Najla Bouden a vainement insisté sur la nécessité de tenir compte de la situation difficile que traverse la Tunisie, au sortir d’une crise pandémique qui a aggravé la crise économique, fragilisé la plupart des entreprises et causé la faillite de dizaines de milliers d’entre elles, la réponse n’a pas tardé à venir et la grève d’aujourd’hui, observée dans un important bassin d’emploi, est une sorte d’avertissement, de tour de chauffe ou de mise en bouche : le pire est, à n’en pas douter, à venir.
Si la crise a affecté le pouvoir d’achat de tous les salariés et réduit au chômage beaucoup d’entre eux, elle n’en a pas moins aggravé les difficultés des entreprises privées et réduit la marge de manœuvre financière de l’État, au moment où la Tunisie sollicite l’aide du Fonds monétaire international (FMI) et d’autres bailleurs de fonds qui, tous, insistent pour que l’État mette fin à ses largesses en matière de recrutements et d’augmentations salariales dans le secteur public. Dire que la marge de manœuvre du gouvernement Bouden est très étriquée est un euphémisme, alors qu’en face, les dirigeants syndicaux menacent de sonner la mobilisation générale pour exiger de nouvelles augmentations salariales.
Une marge de manœuvre très étriquée
C’est à cette séquence d’exacerbation des revendications sociales que nous risquons d’assister dans les prochaines semaines, alors que le mois de janvier, souvent propice aux grandes joutes syndicales, approche à grand pas et que le gouvernement, étrangement silencieux, semble à court de solutions pour relancer l’économie et graisser une machine de production grippée depuis plusieurs mois.
Dans la situation à laquelle tous les opérateurs économiques sont actuellement soumis, avec une hausse des cours des matières premières, une exacerbation des prix des intrants, une augmentation des cours de l’énergie, une stagnation des recettes et une raréfaction des ressources, on voit mal les entreprises accepter d’éventuelles augmentations salariales. L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) a déploré dans un communiqué publié, hier, 27 octobre, le maintien de la grève prévue pour aujourd’hui par la centrale syndicale , qui, selon ses termes, «ne tient pas compte de la situation générale dans le pays». La centrale patronale, qui soupçonne des raisons politiques derrière cette brusque montée au créneau des syndicats, affirme par ailleurs qu’elle fera face à «toute menace contre la pérennité et la stabilité des entreprises économiques».
«Les grèves non justifiées et non raisonnables au moment où le pays traverse une crise étouffante poussera toutes les parties au bord du gouffre, provoquera davantage de licenciements d’ouvriers et de fermetures d’entreprises, portera atteinte à l’investissement national et à l’investissement étranger dont notre pays a vivement besoin», avertit la centrale patronale, qui craint la multiplication des arrêts du travail, qui, de toute façon, ne résoudront aucun problème et aggraveront une situation déjà largement compromise. Et pas seulement à Sfax…
Partage des sacrifices et des gains
Face aux nuages qui s’amoncellent dans le ciel et qui alourdissent l’atmosphère générale dans le pays, dont tous les indicateurs économiques sont au rouge, qui plus est, sur un fond de crise politique, sociale et sanitaire, il n’y a pas trente-six mille solutions : il va falloir que toutes les parties-prenantes mettent de l’eau dans leur vin, réduisent leurs ambitions initiales, cèdent sur certains points pour sauver l’essentiel et tentent de partager aussi bien les sacrifices à faire que les gains espérés, dans une logique de sauvetage de l’économie nationale. Et dans cette optique, c’est la présidence de la république qui doit assumer le rôle de locomotive. Car la cheffe de gouvernement, nouvellement nommée, n’est pas encore en mesure de faire les arbitrages nécessaires avec toute l’autorité requise, d’autant que son autorité est très limitée, si elle n’est pas contestée par certaines parties, qui ne voient en elle qu’une simple exécutante des instructions du président de la république, lequel accapare, depuis l’annonce des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier, tous les pouvoirs au sein de l’État.
C’est donc à M. Saïed de sortir de son isolement actuel, de tendre la main aux acteurs sociaux, quitte à rompre avec sa rigidité habituelle pour ne pas ajouter aux crispations des uns et des autres. Si ce n’est pas trop lui demander…
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