La crise que traverse le pays est due, avant tout, à la faillite de l’autorité de l’Etat et à la fragilité d’un exécutif laminé par la crise du Nidaa, le parti «au pouvoir».
Par Salah El-Gharbi*
Face aux récents évènements de protestation qui ont secoué le pays, le gouvernement, pris de court, essaie tant bien que mal de se ressaisir et d’affronter une situation explosive qui perdure. Il doit, à la fois répondre aux doléances des «diplômés en chômage» mais aussi faire face aux critiques d’une opposition qui se saisit de cette opportunité pour fustiger l’action gouvernementale en reprenant en boucle les litanies de la «révolution» à propos des «régions déshéritées, marginalisées»…
La faillite de l’autorité de l’Etat
Certes, des mesures d’urgence viennent d’être prises pour calmer la colère grandissante. Mais est-ce suffisant?
N’est-on pas en train de procéder à une action de rafistolage pour sortir d’une crise profonde dont on sous-estime la portée? La crise du «chômage des diplômés» ne cache-t-elle pas un malaise plus profond, et ne trahit-elle pas la fragilité d’un exécutif laminé, accumulant, depuis mois, les couacs et les maladresses politiques?
Il est incontestable que la crise que traverse le pays est due, avant tout, à la faillite de l’autorité de l’Etat. En effet, depuis presque un an, le pouvoir n’a fait preuve que de frilosité, d’hésitation, de tâtonnements. Pourtant, au cours de sa campagne électorale, le président de la république Béji Caïd Essebsi avait promis de rétablir l’autorité de l’Etat.
Pis encore, il suffit de bien suivre l’actualité pour se rendre compte qu’il y a une corrélation entre la multiplication des foyers de protestation partout dans le pays et la crise du parti majoritaire à l’Assemblée.
La mise à mort du parti «au pouvoir»
Le comble, c’est que la présidence, qui avait la possibilité de contenir cette crise dont elle serait responsable, directement ou indirectement, a choisi, délibérément, disent certains, de laisser pourrir la situation de Nidaa… D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les évènements de Kasserine ont eu lieu juste après le «congrès» de Sousse, évènement parrainé par l’ancien chef de ce parti…
On a longtemps admiré le «créateur», et aujourd’hui, on ne peut qu’assister, affligé, non seulement à la mise à mort du parti «au pouvoir» mais surtout à la décrédibilisation de l’exécutif, et par conséquent, à la fragilisation de l’autorité de l’Etat qui se poursuit, jour après jour. Après avoir poussé Mohamed Ennaceur à la sortie, voilà qu’on nous offre une image pitoyable, celle du trio représentant le parti Nidaa en crise (Hafedh Caïd Essebsi, accompagné de Ridha Belhaj et de Khemaies Ksila) «discutant avec le chef du gouvernement sur les mesures à prendre afin de sortir de la crise».
Quoi qu’on dise, la crise de Nidaa qui dure encore a bel et bien perturbé, voire même affaibli l’autorité de l’exécutif dont le chef du gouvernement à la Kasbah, certes volontaire, reste hésitant, manquant d’audace, attentif aux recommandations de Carthage. Maintes fois, on nous a annoncé qu’on allait procéder à des réformes profondes et prendre des mesures «douloureuses» pour assainir l’économie sans pour autant que cela soit suivi d’effet (A titre d’exemple, augmenter le prix de la baguette de 10M, aurait été accepté sans protestation aucune puisque le citoyen l’achète effectivement à 200 millimes et aurait, ainsi, allégé les charges qui pèsent sur la Caisse de compensation).
N’ayant ni cran ni imagination, on préfère la politique de l’autruche, laissant s’enliser les situations de crise (l’enseignement, la police…)
D’ailleurs, cette fragilité de l’exécutif a été du pain béni pour l’opposition en général et les groupuscules extrémistes en particulier. Il serait naïf de croire que les mouvements de protestation aient été spontanés. Les activistes d’extrême-gauche, certains syndicalistes régionaux, des membres de la mouvance salafiste et les barons de la contrebande y sont pour quelque chose.
Maladresses et amateurisme des médias
A la faiblesse du gouvernement et l’activisme de certains opportunistes, s’ajoutent les maladresses et l’amateurisme des médias. Il est triste de constater que dans notre pays, nous ayons un syndicat de journalistes assez zélé et vindicatif sans qu’on ait de véritables journalistes dignes de ce nom.
Il suffit de lire les journaux ou de regarder les infos sur les multiples chaînes pour assister médusé à un spectacle pathétique. Chez nous, informer est réduit à tendre un micro. On a des «journalistes-perchmans». Point de vérification, point de contradiction, point de confrontation de points de vue. On ne traite pas l’information, on vous la jette à la figure, à l’état brut avec ses aspérités faites d’allégations, de contre-vérités, visant à manipuler l’opinion… Rien que des boutiquiers qui courent derrière l’audience à tout prix, en essayant de courtiser, de cajoler les téléspectateurs-consommateurs. Que d’aberrations avons-nous entendus, depuis cinq années, sans pouvoir réagir. Chez nous, le présentateur ne sert ni l’émission, ni le public, il s’en sert. Ainsi, les questions-fleuves posées aux invités se transforment en un édito au cours duquel notre «je-sais-tout» adopte le ton du moralisateur ou du compassé, défendant les «régions déshérités»…
Ainsi, les médias sont devenus les porte-voix de la démagogie, de la manipulation médiatique au profit de certains politicards peu scrupuleux qui, face à ces journaleux complaisants, peu rigoureux et peu professionnels, se livrent à leurs manèges.
Un manque d’audace et surtout de pédagogie
Face à cette situation chaotique, la bataille pour le développement doit d’abord se gagner sur le plan de la communication. Certes le gouvernement est volontaire, mais il manque d’audace et surtout de pédagogie. Il est vrai que les réponses à la crise actuelles sont d’ordre économique. Mais, le programme du gouvernement ne peut réussir que s’il s’accompagne d’une action pédagogique forte. Ainsi, il est temps de mettre fin à la victimisation systématique de certaines populations. A force de présenter ces jeunes en chômage comme victimes, on ne leur rend pas service, on les dévitalise. Les jeunes ont plutôt besoin d’un discours positif qui les responsabilise, les pousse à entreprendre, à se prendre en charge au lieu de se cantonner dans l’attentisme ou d’accepter le statut d’assistés. On doit expliquer à cette jeunesse que le secteur public, cette «planque dorée» aujourd’hui moribonde, n’est pas indéfiniment extensible, que pour créer un poste dans l’administration, il faut en créer trois ou quatre dans le privé afin de s’assurer de l’équilibre du budget…
En somme, parallèlement aux mesures en matière de formation professionnelle, d’éducation, d’investissement, le gouvernement doit mener une campagne de conscientisation qui soit intelligente (et non pas bâclée comme on en voit assez souvent) pour mobiliser, orienter, expliquer. Et pour que le message soit bien assimilé, pour gagner la bataille de l’emploi, au lieu de faire de l’enfumage médiatique, il est impératif que l’exécutif, éreinté par les conséquences politiques et législatives provoquées par la débâcle de Nidaa, sorte de sa torpeur, cherche à renouer avec l’action et retrouve de la crédibilité.
* Universitaire et écrivain.
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