Tant de lézardes dans le corps de cette nation héritière de Carthage n’entament en rien l’élan irrésistible de liberté et de civilisation qui la portent.
Par Mohamed Fadhel Mokrani
Carthage, une cité que l’ont craint encore. Un symbole, un mythe qui fait peur. Un nom que les obscurantistes redoutent. Un saut dans l’histoire qui enjambe la genèse et voilà qu’ils sont portés en «terra incognita».
La mémoire de Carthage place la conscience du citoyen tunisien dans la lignée des républiques premières, celles d’Athènes et de Rome. Ce même citoyen, retrouvera, aussitôt Carthage remémorée, sa filiation aux peuples de la mer comme le furent ses ancêtres phéniciens et les anciens grecs.
La Tunisie au cœur de la Méditerranée
Loin de l’emprise des dogmes nouveaux et des caravanes des chameliers du désert, les résidus de gènes hilaliens ne pèsent plus lourd dans la balance identitaire et la Tunisie retrouve aussitôt le chemin de cette Méditerranée oubliée.
«Delenda est Carthago» (Carthage doit être détruite), clamait Caton l’ancien, à la fin de chacun de ses discours au sénat de Rome. Une formule lapidaire, reprise 22 siècles plus tard, par la radio collaborationniste de la France de Pétain quand le journaliste déclarait, à la fin de chaque éditorial, «Et Londres comme Carthage sera vaincue».
Aujourd’hui, dans la Tunisie libérée, certains exaltés réclament à nouveau la mort de la cité.
Delenda est Carthago, un vœu cher aux hordes des nouveaux conquérants et aux traîtres qui n’ont de cesse de manœuvrer et de comploter pour effacer l’histoire et même la géographie de ce pays.
Ils ont compris que le meilleur moyen d’y parvenir n’est ni la démocratie des urnes, ni les tentes de prédication et encore moins les stratégies de wahhabisation à long terme qui ciblerait en priorité «leurs enfants et leurs femmes». Les vicissitudes de la géopolitique les poussent à agir très vite car les vents ne sont point favorables. Le chemin le plus court pour détruire Carthage est de ruiner les joyaux de la couronne. L’éducation, la santé, le statut de la femme, le tourisme, les mines, le transport, etc., sont les colonnes du temple de l’Etat moderne et les pierres précieuses qu’il faut briser d’abord.
Des hordes à l’assaut des piliers de l’Etat
Tunisair en fait partie. C’est le porte-drapeau, la vitrine de cette modernité, de cette ouverture, bref du pays de Carthage, siège de la présidence de la république dont les relents bourguibistes dérangent au plus haut point nos pourfendeurs.
Cette compagnie nationale sera volontairement mise à genoux pour être cédée à vil prix. Un travail de sape entamé depuis quelques années et qui se poursuit aujourd’hui sans répit. Jugez plutôt. Vols de bagages, suspension du catering, retards insupportables, création d’une compagnie concurrente, octroi de la ligne de Montréal à Syphax Airlines, report depuis 4 ans du plan de restructuration, nomination d’un cortège de Pdg (5 en 5 ans), accord sur l’open sky en cours sans mise à niveau de la compagnie et aujourd’hui l’affaire d’un uniforme qui ressemble plus à une guerre fratricide qu’à un conflit social.
Si Tunisair n’a pu être détruite, il faudra qu’elle implose de l’intérieur. Rappelez-vous l’histoire du foulard islamique revendiqué par une hôtesse de l’air, un véritable sujet de discorde qui aurait pu mener à des résultats catastrophiques.
Forces occultes, phalanges et milices
Aujourd’hui, à la veille d’une saison touristique qu’on annonce prometteuse, nous voilà de nouveau manipulés. À Djerba, les forces occultes, celles-là mêmes qui opèrent, à la demande, face à Petrofac, à l’hôpital de Sfax, ou dans l’enseignement et parfois même au sein de notre auguste assemblée, se mobilisent avec la discipline des phalanges et la hargne des milices.
Ces forces occultes, disais-je, s’en prennent à un restaurateur tunisien de confession juive, sous prétexte que son établissement sert des boissons alcoolisées. Appréciez l’argument de l’alcool qui épouse fort bien celui de la prostitution qu’un certain philosophe salafiste affublait l’industrie du tourisme, source de toutes les dépravations.
Ce qui est entrepris aujourd’hui, c’est la mise à mort du tourisme, la mise en faillite de la compagnie Tunisair et, au-delà, le coup de grâce à cette Tunisie tolérante, moderniste et ouverte sur le monde civilisé. Cette fin programmée, nous l’avons vu venir et nous la vivons aujourd’hui sans broncher, sans susciter notre émoi ni notre colère. Sommes-nous devenus de vulgaires déserteurs?
Aujourd’hui, les secteurs du transport, toutes catégories confondues, du tourisme, des mines, de la santé et de l’agriculture sont mis à mal et agonisent. Ce sont là les véritables colonnes de l’économie tunisienne et en un mot, les mettre à mal équivaut à abattre l’Etat tunisien et ses institutions. Les laisserons-nous achever leur vile besogne sans broncher? Sommes-nous, à ce point, lâches?
Il est vrai que ceux qui nous ont promis la délivrance ont trahi.
Qu’il n’échappe à personne que la classe politique qui occupe la scène est, à quelques exceptions près, politiquement inculte et désespérante.
Il est vrai encore que la justice peine à se libérer de ses vieux démons et que les médias pataugent dans le burlesque et la médiocrité.
Que nos hommes de culture et nos artistes, nos intellectuels et nos droit-de-l’hommistes n’assurent pas pleinement les rôles qui leur sont dévolus. Que, comble du paradoxe, les revendications syndicales sont plus guerrières depuis le prix Nobel de la paix. Que nos médecins, nos avocats et nos pharmaciens se barricadent derrière des slogans corporatistes de plus en plus exclusifs et égoïstes.
Mais tant de lézardes dans le corps de cette nation n’entament en rien la volonté farouche d’aller de l’avant et l’élan irrésistible de liberté et de civilisation qui marquent le sens de l’histoire de ce pays, que rien ne peut arrêter ou en changer le cours.
Les remparts de la république de Carthage tiendront encore et Delenda est Carthago ne sera qu’un cri de dépit et de désespoir pour certains mais un souvenir à la gloire pérenne de Carthage pour les patriotes.
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