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Contre l’homophobie et pour la dépénalisation du cannabis

Cannabis-Homophonie

Pour la paix sociale, le Quartet, Prix Nobel de la Paix 2015, doit déclarer la guerre à l’homophobie et militer pour la dépénalisation du cannabis.

Par Farhat Othman*

Madame, Messieurs du quartet,

Le Nobel qui a honoré la Tunisie à travers vous emporte une immense responsabilité : celle de servir la paix sociale.

Grâce à votre abnégation pour que triomphent la concertation et le dialogue national, notre pays a échappé aux plus graves périls; plus que jamais aujourd’hui, il besoin de votre talent pour le sauver de périls qui menacent sa paix sociale.

L’inertie caractérise les deux grands partis au pouvoir (Nidaa Tounes et Ennahdha) qui ont démontré n’être pas en mesure de faire adopter les réformes impératives de nature à faire avancer le pays vers plus d’acquis démocratiques. Il s’agit notamment de celles devant abolir les lois liberticides héritées de la dictature et du protectorat.

Car si la situation économique catastrophique est difficile à assainir dans l’immédiat, il est parfaitement possible – et même impératif – d’agir sans plus tarder sur le plan de la situation législative aussi catastrophique sinon plus du fait de cette législation de la dictature toujours en vigueur pourrissant la vie d’innocentes victimes.

Un jugement honteux

Au moment même de votre sacre, journée internationale de célébration des droits humains, un tribunal de Kairouan a rendu au nom du peuple qui n’en demandait pas tant, un jugement honteux, usant de pratiques moyenâgeuses brisant la vie de jeunes étudiants bien innocents.

Sur la base de violations indignes de leur vie privée, on les a flétris et livrés à une vindicte populaire exploitée par des voix irresponsables. Cela se s’est au nom de lois qui sont pourtant devenues caduques du fait des droits et libertés nouveaux consacrés par la Constitution.

Une surenchère politicienne indigne est venue même justifier l’injustifiable, au prétexte qu’un tel jugement serait conforme à la religion qui doit primer le droit positif, envenimant la confiance des jeunes dans leurs autorités, du peuple dans sa justice et des démocrates dans l’État de droit.

Un tel argument est doublement faux; car d’abord la religion ne prime pas le droit positif. Ensuite et surtout, car l’islam n’est pas homophobe et n’intervient pas dans la vie privée des gens qu’il protège tout au contraire.

C’est l’immixtion des autorités dans l’intimité des gens qui doit être punie et non le comportement de ces jeunes innocents qu’il faut libérer sans plus tarder. Le quartet devrait inviter le ministère public à faire appel de cet indigne et inique jugement.

L’islam n’est pas homophobe

L’homosexualité qui est une pratique sexuelle parfaitement naturelle chez certains n’a jamais été interdite en islam correctement lu. Ni le Coran ni la sunna ne comportent de prescriptions en la matière; or, il n’est nulle interdiction légale sans texte clair et précis.

Ce que nous avons hérité du «fiqh» est un effort d’interprétation des jurisconsultes inspirés par la tradition judéo-chrétienne, venu défigurer la tolérance islamique. L’article 230 du code pénal n’est ainsi qu’une survivance de la morale du colonisateur qui n’a aboli chez lui l’homophobie qu’en 1982.

Peut-on continuer à honorer en Tunisie une homophobie qui viole l’islam tout autant que la constitution et les engagements internationaux de la Tunisie ? Est-il tolérable dans une Tunisie nobélisée de continuer à pratiquer le teste anal et à violer l’intimité des gens sur la base de lois scélérates?

Le cannabis n’est pas plus nocif que la cigarette 

Nulle avancée démocratique ne sera possible en Tunisie si l’on n’abolit pas les lois scélérates de la dictature. Outre une réforme en profondeur qui exigera du temps, il urge de prendre deux initiatives immédiates, à haute valeur symbolique au nom de la sauvegarde de la paix sociale.

Car il est inadmissible que des terroristes et des délinquants attentant à la paix publique soient moins sévèrement traités que des homosexuels ou des consommateurs du cannabis.

La loi 52 fait certes l’objet d’une réforme qui traîne en longueur et qui ne dépénalise pas la consommation. Or, celle-ci est désormais aussi fréquente chez les jeunes que le fait de fumer une cigarette. Fumer un joint est même moins nocif au vu des études scientifiques récentes le prouvant.

Alors, jusqu’à quand brimer la jeunesse en emprisonnant des innocents qu’on transforme en délinquant, et bien pis, en terroristes, révoltés contre un ordre social injuste ?

Si on devait réprimer l’acte de fumer, qu’on commence donc par le faire en interdisant la cigarette, bien plus nocive ! Comme on ne le fera pas, il importe de dépénaliser totalement la consommation du cannabis.

Deux mesures hautement symboliques

Aujourd’hui, sans plus tarder, il importe de sauver l’honneur de la Tunisie sali devant le monde entier par une justice injuste qui ne fait cependant qu’appliquer des textes scélérats.

Que le prix Nobel appelle donc – y invitant l’Assemblée à le faire par une déclaration solennelle – à une abolition immédiate de l’article 230 du Code pénal ainsi qu’une décision immédiate de suspension de la loi 250 sur les stupéfiants annonçant la dépénalisation de la consommation à confirmer par la réforme en cours et qui doit être votée rapidement.

En effet, ces deux mesures ont une valeur symbolique éminente. Elles sont de nature à faire sauter les freins bloquant l’inconscient collectif et créant dans l’imaginaire populaire rejet et exclusion du différent, un terrorisme mental qui alimente le terrorisme physique.

Ces deux initiatives urgentes à concrétiser sans plus tarder préserveront la paix sociale sérieusement dégradée en ayant d’immenses retombées sur l’atmosphère mentale dans le pays, faisant renaître la confiance nécessaire du peuple en ses élites.

Religieuses comme profanes, celles-ci ne doivent pas se couper des masses qui n’ont jamais été homophobes ou contre le cannabis, sinon en apparence, du fait du milieu de contraintes légales et morales. Car le peuple tunisien dans sa majorité est tolérant dans l’âme.

Aussi, les élites dogmatiques doivent cesser de chercher à le tromper, les religieux sur sa religion en la présentant comme homophobe et opposée à une libre vie privée, et les laïcs en respectant sa spiritualité qui n’est pas religiosité, l’islam tunisien étant bien plus culturel que cultuel.

Rousseau a référé déjà à la parenté du fanatisme dévot avec le fanatisme athée. La complicité objective des deux est l’un des plus gros maux dont souffre la Tunisie d’aujourd’hui et qui menacent sa paix sociale.

Nobel oblige, il vous appartient, Madame, Messieurs, d’agir pour assainir cette situation. Le talent dont vous savez déjà fait montre et qui vous a valu votre distinction le mande et le commande.

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