En islam, la vente comme la consommation d’alcool est parfaitement possible le vendredi, et durant le mois de ramadan pour qui ne fait pas le jeûne.
Par Farhat Othman
On connaît la célèbre publicité contre l’alcoolémie : un verre, ça va; trois verres, bonjour les dégâts !
Cette publicité — pourrait-on oser dire ici — est indirectement inspirée de notre religion, l’islam n’interdisant nullement la consommation d’alcool, mais juste l’abus de sa consommation.
En effet, contrairement à une fausse croyance répandue chez les musulmans, l’islam n’a nullement interdit l’alcool, mais l’ivresse, donc l’abus d’alcool. Aussi, pourrait-on soutenir qu’en vrai islam, un verre d’alcool, c’est licite; trois verres ou la quantité entraînant l’ivresse, c’est illicite !
Pourtant, ce n’est pas ce que traduit notre législation supposée inspirée de la morale religieuse, et qu’il importe donc de réformer au plus vite.
De plus, l’alcool étant de plus en plus répandu dans les milieux populaires, les autorités devraient agir pour en diminuer les prix, non pas tant pour en encourager la consommation, mais pour venir en aide à ceux qui en usent pour oublier les soucis de la vie auxquels le gouvernement n’arrive pas encore à trouver solution.
En effet, le gouvernement a eu le tort de faire exactement l’inverse récemment, allégeant les taxes sur les alcools de luxe au lieu de le faire pour les bières, dont on sait la consommation en augmentation.
Passons en revue, ci-après, les textes de lois illégitimes et illégaux régissant la matière (1), avant de rappeler le statut véritable de l’alcool en islam. (2)
Des textes illégaux à abolir au plus vite
La consommation et le commerce d’alcool sont régis par des textes obsolètes, devenus illégaux depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution qui consacre la liberté privée de consommer et celle de commercer.
Consommer de l’alcool relève bien d’une des libertés fondamentales; de même, en faire le commerce librement et sans restriction est aussi un principe constitutionnel outre d’être un fondement de notre religieux.
De plus, en restreignant la vente d’alcool, on ne fait qu’encourager sa contrebande. N’a-t-on pas l’exemple américain fort éloquent de la Prohibition pour s’en inspirer et libérer totalement la vente, le commerce et la consommation d’alcool?
La base légale (ou plutôt illégale) de l’état juridique illégitime en la matière est l’article 317 du Code pénal qui prévoit une peine de 15 jours de prison et d’une amende quiconque sert «des boissons alcooliques à des musulmans ou à des personnes en état d’ivresse».
Comme tout le Code pénal, ce texte traduit une mentalité coloniale. S’il peut être admis comme logique dans sa seconde partie réprimant l’encouragement de l’ivresse, il n’a plus aucun sens en distinguant les consommateurs par une prétendue confession. Cela revient à cracher sur la lettre et l’esprit de la constitution qui n’est nullement confessionnelle, consacrant la liberté de conscience. Quand va-t-on donc abolir ce texte d’une criante obsolescence traduisant la résilience de l’esprit colonial? Doit-on attendre que les juges arrêtent de l’appliquer, se conformant enfin à leur devoir de respecter la norme supérieure du pays?
Il est à noter qu’après l’indépendance, un texte est venu nationaliser en quelque sorte ce même esprit scélérat; ce fut une loi datant du 7 novembre 1959 régissant le secteur des débits de boissons et qui, même modifiée en 1961, a maintenu l’interdiction illégale et illégitime de servir des boissons aux musulmans.
Outre ces textes, les juges irrespecteux de la légalité suprême, ont latitude de se référer aux articles élastiques 226 et 226 bis du Code pénal relatifs à l’outrage public à la pudeur et à l’atteinte aux bonnes moeurs et à la morale publique bien que la Cour de cassation ait précisé clairement qu’ils sont de stricte interprétation.
Les juges relevant d’une morale immorale ont également loisir de se référer à de simples circulaires datant de 1986 et 1989 venues restreindre la vente d’alcool pendant le mois de ramadan et les vendredis. Or, le sacré en islam n’est nullement matériel, il n’a que faire des apparences, seule compte l’intention. Aussi, invoquer la religion pour restreindre ou interdire la vente, c’est la violer et non la respecter.
En islam pur, la vente comme la consommation d’alcool est parfaitement possible le vendredi et durant le mois de ramadan pour qui ne fait pas le jeûne (et nul en islam ne peut être obligé à jeûner et il en a même le droit de par des dispenses prévues par la Loi religieuse même). (3)
En islam correctement interprété, la seule obligation faite au fidèle est de ne pas prier saoul et d’éviter d’aller jusqu’à l’ivresse si on ne peut se retenir de boire. Voilà le vrai islam et non la caricature qu’en donnent nos intégristes !
Il n’est que temps donc de reconnaître l’illégalité des restrictions apportées au commerce et à la consommation d’alcool en Tunisie ! Que les ministres de la Justice et de l’Intérieur, chacun pour ce qui le concerne, prennent incontinent une note circulaire pour rappeler aux magistrats et aux forces de l’ordre la nécessité de ne plus se référer aux textes obsolètes en la matière et de n’appliquer que les dispositions de la constitution en la matière ayant aboli lesdits textes.
L’islam n’interdit que l’ivresse
Qu’on se le dise, car il est temps d’en finir avec ce mythe qui encourage l’alcoolisme et la contrebande : l’islam n’interdit nullement l’alcool, mais juste l’ivresse.
Il n’est pas utile ici de revenir aux détails qu’on trouvera dans l’article cité en note; il suffit juste de tordre le cou à certaines fausses vérités. D’ailleurs, nombre de légistes de haute dignité s’adonnaient et s’adonnent encore à l’alcool; il paraît même qu’un ancien mufti de la République tunisienne le faisait au vu et au su de tout le monde.
Et il avait raison, car il n’est aucun verset coranique interdisant l’alcool dans l’absolu, alcool qui est même licite au paradis. On nous dit qu’il s’agit de vin spécial qui n’enivre pas; ce qui n’est qu’une litote pour dire que c’est l’ivresse qui est prohibée, surtout pour s’acquitter de la prière.
Aussi, si on sait boire, ne pas aller jusqu’à l’ivresse, on est parfaitement respectueux des préceptes de notre foi tolérante et rationaliste. Quel intérêt, en effet, d’interdire une boisson qui a par ailleurs nombre d’effets bénéfiques pour le corps scientifiquement prouvé et admis par le Coran? Quel intérêt d’encourager ainsi les abus? Ne sait-on donc pas que c’est l’interdit qui encourage les excès?
Les soufis, qui reproduisent l’islam populaire, ont compris ceci et n’ont pas manqué de chanter le vin et s’y adonner. En effet, outre le Coran qui ne prohibe pas le vin si on sait le boire, la Sunna authentique n’en parle pas en dehors de cette stricte limite de bon sens, s’adressant à la raison du musulman qui doit toujours raison garder, sa religion se voulant scientifique.
Tordons aussi le coup à cet autre mythe colporté par les intégristes qui prétendent qu’un hadith aurait interdit jusqu’au toucher de l’alcool ! D’abord, c’est un faux hadith, ne figurant ni dans Boukhari ni dans Mouslem.
Ensuite, il est attesté que l’ange Gabriel a apporté au prophète, lors de son Voyage nocturne (isra), deux verres, l’un contenant du vin et l’autre du lait.
On sait que le prophète préféra le lait; mais il aurait bien pu prendre le vin. Comment peut-on prétendre le toucher de l’alcool serait interdit? Serions-nous meilleurs que l’ange Gabriel? On voit à quel point atteint l’hérésie de ceux qui prétendent interdire l’alcool en islam!
De fait, de tels intégristes s’érigent en nouvelles idoles pour imposer une lecture mensongère de l’islam qui reste une foi de libertés et de rationalité. Il est donc temps d’abolir de telles idoles morales en revenant à l’islam authentique.
Qu’on abroge sans plus tarder tous les textes illégaux et anti-islamiques restreignant une liberté consacrée par Dieu, la liberté raisonnée de savoir se fixer des limites! Celle de ne pas se rendre ivre en la matière, et surtout de ne pas oser faire la prière en ayant touché auparavant à l’alcool, surtout si on n’a pas su se maîtriser.
Car l’islam est d’abord la maîtrise de soi pour mériter le meilleur! Pour cela, le fidèle ne doit pas cesser d’agir afin de se parfaire; c’est le vrai jihad en islam, jihad akbar, l’effort maximal que tout croyant se doit réaliser pour mériter de sa foi et en être digne, une foi oecuménique, culturelle et non seulement cultuelle. Les soufis appellent cela être capable de Dieu (Capax Dei) et finir en homme uni ou parfait, selon une traduction imparfaite.
À quand donc verra-t-on, en islam tunisien, la reprise salutaire du slogan : un verre d’alcool, ça va; trois verres, bonjour les dégâts ! Et, dans la foulée, nous adressons cette question, sous forme de défi, à M. Ghannouchi et aux supposés modérés de nos islamistes : à quand la levée de l’interdit de l’alcool qui défigure l’islam?
Notes:
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