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La mascarade du conteneur belge : Mensonges, buzz et politique

Desinformation

Les Tunisiens sont noyés dans une cacophonie généralisée faite de mensonges, demi-vérités, désinformations, bidonnages médiatiques et langue de bois politique.

Par Farhat Othman

D’après une grossière désinformation publiée par un soi-disant journal électronique buzzant de manière honteuse, l’affaire du container belge couvrirait un trafic d’armes destinées au général Haftar, en Libye.

Cette question pointe déjà la nécessité impérieuse du rappel, en nos temps de mensonges outranciers, de l’urgence de lire la bonne information sur les médias sûrs qui se respectent, et non se baser sur ces sites qui bidonnent à longueur de journée pour augmenter leur audience.

Toutefois, il nous faut nous rendre à l’évidence qu’un tel honteux bidonnage n’aurait eu le moindre écho s’il n’avait profité de la cacophonie ambiante qui amène les âmes sincères et/ou naïves au risque de manquer de discernement en faisant crédit à n’importe quel média en ces temps où rien n’a plus d’existence sans médiatisation.

Pour une information sûre

Au-delà de savoir s’il y avait une seule arme dans le conteneur, en dehors d’un pistolet personnel ou de se demander si le général Haftar a besoin d’un ressortissant belge dont le yacht mouille à la marina de Hammamet pour avoir des armes, la question aussi grave que l’on doit se poser est aussi celle-ci : jusqu’à quand pareille cacophonie au sommet de l’État et à qui profite-t-elle?

Outre de rappeler le manque de stratégie efficace de communication chez le gouvernement actuel dans le déficit en la matière a été déjà décrié, un tel état de choses met l’accent sur la présence au sein du pouvoir, qu’il soit dans l’Administration de l’État ou dans les médias, d’éléments dont le but est moins de servir l’intérêt national que les leurs propres, des visées partisanes éventuellement.

Or, la riposte officielle n’a pas été à la hauteur des exigences de notre temps; elle a semblé user d’arguments insuffisants à contrer les subterfuges combattus; or, cela n’a pour conséquence que de jeter le discrédit sur la classe politique incapable de mettre fin dès son apparition à une pareille arnaque médiatique.

D’où l’urgence impérative d’ériger l’éthique en proue de la politique du pays dont les responsables doivent user au risque de manquer de responsabilité; ce qui est aujourd’hui le fait de recourir aux mensonges de la fameuse langue de bois périmée et qui ne trompe plus personne. C’est d’éthique que l’on doit user, en faisant entrer la morale en politique et en osant s’en réclamer.

Par exemple, en ce dossier libyen bien complexe, à quoi bon nier l’évidence de l’intérêt de la Tunisie à aider ceux des Libyens qui luttent contre Daech dont la menace contre la Tunisie ne saurait être négligée? Surtout qu’on n’ignore pas que dans les milieux proches du gouvernement, certaines consciences malades supportent directement ou indirectement les islamistes en Libye.

Tant qu’une telle attitude ne relève que de l’opinion intime, ne traduisant qu’une analyse, certes erronée, mais particulière de la situation sans incidence sur le service des intérêts du pays, cela peut être admis en tant qu’enrichissement du débat; mais à la condition sine qua non de ne pas gêner la politique officielle du pays et de son gouvernement.

Par ailleurs, il est manifeste aussi que certains lobbys agissent activement pour contrer la politique officielle des autorités nationales, ce qui ne saurait être admis et nécessite d’y mettre le holà. Il y va du salut et de la pérennité de l’État tunisien.

Tabler sur l’intelligence du Tunisien

La tragi-comédie du container a également montré à quel degré de mépris on tient l’intelligence du Tunisien qui n’est plus disposé à gober tout ce qu’on dit au seul fait qu’il possède le label d’être de source officielle si cette source se retient de tout dire pour tuer dans l’œuf les velléités de la désinformation qui ne cesseront que sous le barrage du tir nourri d’une information crédible.

Car il serait même inconsciemment prêt à tout gober, du moment qu’il suppute le mensonge de la part des autorités officielles bien plus que des sources non officielles.

L’interrogation pertinente restera bien évidemment de savoir s’il faut tout dire?

Le silence n’est-il pas parfois plus éloquent que mille paroles? Cela est bien vrai quand l’information n’est pas violentée ainsi qu’on le voit, alimentée par une désinformation instillée par des indiscrétions venant d’administration officielle et reprises par des officines professionnelles dans l’orientation de l’opinion publique.

Cela impose ce que je nommerais fortitude éthique en un monde devenu celui des turpitudes matérialistes se nourrissant du faux et du chiqué. Comme le dit Michel Maffesoli dans son dernier ouvrage faisant l’éloge de la parole du silence : «Toute réussite, en quelque domaine que ce soit, repose sur une indéniable force de l’esprit. En un moment où un matérialisme ou un ‘‘économicisme’’ diffus tendent à prédominer, il est bien difficile de comprendre l’efficace de la puissance immatérielle».

Comme le caractérise au mieux l’analyse du pape de la postmodernité, le drame de notre époque, ce qui est assez évident en Tunisie, est qu’elle est soumise à l’émotivité de l’instant, droguée au vacarme, récalcitrante à toute spiritualité, ignorant le recueillement, le temps long et la mesure.

L’idéal est de ne pas chercher à tout nommer pour préserver ce que Durkheim qualifiait de divin social désignant la solidarité devant souder les membres d’une même société les uns aux autres. Sinon, on tombe dans l’excès inverse, signe de total délitement de notre pays, mais pas seulement.

Ainsi, Maffesoli fait-il un tel constat pour la France, citant Paul Valéry en rappelant que
«chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr». Ce qui commande donc que la parole devienne rare pour être crédible. Et la crédibilité nécessite au préalable un minimum de sincérité.*

Aussi, la seule façon de sortir des bouffonneries médiatiques, comme celles qui rythment nos actes quotidiens, et de ne plus en vivre de pareilles, est bien de jouer cartes sur table enfin sur les sujets sensibles en osant déjà tout dire — si ce n’est déjà fait — sur la mascarade du conteneur. La justice semble l’avoir fait; est-ce bien le fin mot de l’histoire? Il faut aussi faire de même sur l’islam politique et l’affaire du jour, la menace de Daech en Tunisie à partir de Libye.

Comme a su l’oser dernièrement le ministre des Affaires étrangères dans une déclaration aux médias, usant de propos simples et sans mensonges, il est impératif que toute la classe politique se retrouve unie en cette affaire, disant haut et fort que l’intérêt de la Tunisie est bien la défaite de Daech en Libye. Si elle n’y intervient pas, elle ne s’opposera pas à aider ceux qui y sont engagés. C’est même son devoir.

Que quiconque pense le contraire le dise donc ! Ainsi se dénoncera-t-on comme étant complice du terrorisme mondial versant, pour le moins dans un terrorisme non moins grave, le terrorisme mental.

On ne peut plus gouverner la Tunisie avec des mensonges; aussi, la meilleure gouvernance consiste à impliquer le peuple dans la gestion de ses affaires en lui tenant la parole de vérité et en l’y habituant.

Sinon, il vaut plutôt mieux se taire pour ne pas aggraver la situation en s’abstenant d’être éthique. Ce qui ne pardonne plus en une époque postmoderne où la politique de doit d’être d’abord «poléthique».

* Michel Maffesoli, ‘‘La parole du silence’’, éditions du Cerf, Paris, janvier 2016.

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