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Ben Ali … futur Premier ministre?

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Le nom de Ben Ali dans ce titre sonne telle une provocation. Il scandalise. Certains iraient jusqu’à crier au blasphème, une offense à la mémoire des victimes de l’ancien dictateur.

Par Yassine Essid

Ben Ali… futur Premier ministre? Une si froide et folle supposition à quelques années d’un immense soulèvement populaire contre l’autoritarisme et la prévarication relèverait presque du sacrilège.

Mais tout provocateur appelant au retour du symbole d’un régime honni peut parfaitement revendiquer un public dans un contexte social où la liberté d’expression est désormais un droit constitutionnel et un atout d’une démocratie républicaine qui ne cesse pourtant d’autoriser l’escalade des mots, les approximations volontaires, les utilisations frauduleuses, les falsifications linguistiques, les détournements de sens.

Des partis déchirés confondent aujourd’hui l’action avec l’agitation et ne cessent de donner le spectacle du désordre, de la confusion et de l’outrance verbale. Assez pour rendre la plus banale entreprise une épreuve insurmontable qui tient du prodige. Le choix d’un nouveau Premier ministre a l’air de relever d’un tel exercice.

Un hypothétique plan de sauvetage

Après le départ précipité de Ben Ali et la dictature congédiée, nous assistâmes médusés à la promesse d’une nouvelle éternité qui révéla alors, tout autant qu’elle dissimulait, la vraie nature que les islamistes entendaient mettre en place ainsi que la vérité profonde de leur conception de la démocratie. Gonflés de pouvoir, bien organisés, pourvus de circuits de solidarités financières plus que douteuses, d’entreprises acquises à leurs idées, d’institutions assujetties à leur mainmise exclusive, ils firent de la Tunisie leur butin de guerre, le profit matériel de la victoire sans la gloire.

Evincés du pouvoir, les islamistes concédèrent par nécessité l’euphorie du printemps arabe à leurs successeurs: un chef d’Etat et un parlement élus et un Premier ministre nommé qui s’est rapidement avéré de médiocre envergure. Habib Essid était devenu tout d’un coup embarrassant. Accablé par ce poids mort, excédé face à une société impatiente de voir une véritable reprise de l’activité économique, Béji Caïd Essebsi s’est trouvé embourbé dans un hypothétique plan de sauvetage que devra mettre en application un gouvernement d’union nationale.

Tout est parti de la certitude que le pays, dont les ressources propres ne sauraient suffire à résoudre les multiples problèmes à venir, notamment l’incertitude quant au sort d’une démocratie aussi exemplaire, s’enlisera davantage dans la crise si rien n’était fait. La situation socio-économique est devenue en effet si alarmante qu’elle suscite partout des doutes quant à la capacité des uns et des autres à diriger.

Alors depuis des semaines, Béji Caïd Essebsi n’arrête pas de consulter, en vain. Il se concerte, réfléchit, délibère avec lui-même, pèse le pour et le contre à la recherche de l’introuvable et irremplaçable chef de gouvernement. En bon citoyens relâchons sa terrible étreinte, diminuons son découragement, aidons-le à franchir le Rubicon de l’impensable, de l’inimaginable, de l’irrévocable, du plus transgressif et du plus scandaleux. Serait-il capable de l’assumer dans ses conséquences les plus radicales? Tout est affaire de pédagogie prudente, de formules magiques dont il est le seul à posséder le secret et qui autorisent quelques hardiesses.

Seul Ben Ali manque à l’appel

Au diable le passé ! N’avons-nous pas pris déjà le chemin de la réconciliation nationale ? N’avons-nous pas bouleversé le paysage politique par les baisers de paix, les accommodements, les compromis? D’inconsolables RCDistes s’étaient déjà pressés au portail de Nidaa Tounes pour se refaire une virginité et se lancer dans une nouvelle carrière politique. Des vieux caciques ainsi que les plus dévoués des ministres de Ben Ali réapparaissent régulièrement, sans pudeur ni retenue, sourds aux voix publiques qui y trouvent ces indécences révoltantes. De cela Caïd Essebsi n’en a cure. Il invite à tour de bras les manœuvriers de l’ancien régime. Cette démesure insolente s’étend jusqu’à Slim Chiboub et à bien d’autres icônes de l’ère Ben Ali désormais lavées de toutes les turpitudes, blanchis de tous les péchés. Seul Ben Ali en personne manque à l’appel.

Dès lors rien ne nous empêche de compléter le scénario, d’exécuter si lestement une trame qui prend petit à petit de l’épaisseur accréditée par la naïveté d’une large frange de la population, dupée par ses propres illusions et ceux de ses dirigeants car consciente d’une réalité politique qui dépasse la fiction. La dégradation de la situation économique, sociale et sécuritaire et le délabrement de la vie politique, avaient suscité chez certains la nostalgie et le regret d’une ère somme toute tranquille. Le rêve de l’homme providentiel l’accule à l’insolente bravade de louer, à chaque grève, délocalisation, manifestation ou attentat terroriste, l’inoubliable époque de «l’artisan du changement». Il est devenu possible de faire état de son ras-le-bol politique face à la misère sociale, d’avouer ses profondes convictions sans risquer le moindre démenti.

La banalisation des esprits, la prolifération des discours médiatiques et politiques vides des sens, l’absence de l’élite, l’indifférence placide des biens nantis, le désarroi des finances publiques, compromettent l’avenir et alimentent de jour en jour l’ampleur des contradictions de ce régime.

Le retour de «l’artisan du changement»

Il y aurait donc là des raisons d’établir l’équation des idées et des choses, de reconnaître une réalité extérieure à l’esprit du 14 janvier, indépendante des consciences pour solliciter le retour de Ben Ali. Sans les Trabelsi, cela va de soi.

Après tout, Ben Ali connait bien la réalité politique du pays, la diversité des usages car longtemps confronté aux failles de la société. Animé par une solide envie de se remettre au service de la nation, il commencera d’abord par rapatrier son immense fortune, une aubaine pour une économie atone en manque de liquidités. Bénéficiant de l’appui des monarchies pétrolières (n’ont-elles pas volé au secours d’un vulgaire putschiste comme Abdelfattah Sissi avec des milliards de dollars ?), il saura attirer leurs plus riches investisseurs. De plus, tout laisse croire qu’il sera absous par une communauté internationale fourbe par raison d’Etat. Son retour sera une bonne-nouvelle pour un Occident à la fois échaudé par la déconfiture des pays du printemps arabe et confronté aux incessants attentats perpétrés par l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daêch).

Enfin, fidèle à sa politique, tout ce qui menacerait de compromettre la croissance de la Tunisie et la tranquillité de ses habitants sera fermement réprimé.

On lui rappellera fermement que toute mention ou tentative de réhabilitation de ses proches serait rédhibitoire pour sa réinsertion et, par suite, sa nomination à la tête du gouvernement.

Cependant, Caïd Essebsi, qui a offert un parti politique comme cadeau d’anniversaire à son fils, n’empêchera pas Ben Ali de ramener le sien pour l’élever cette fois-ci dans le respect des libertés et des principes de la république.

Reste la question d’Ennahdha. Outre le fait que Ghannouchi s’est rallié à la démocratie et milite pour une réconciliation nationale qui occultera à jamais les turpitudes du passage des islamistes au pouvoir, qu’il ne semble pas cultiver une animosité irréductible envers Ben Ali, se félicitera même du retour de Sakher El-Matri, son fils spirituel. Tout cela rendra les plus folles des hypothèses parfaitement plausibles.

La suite on peut l’imaginer. Une fois Premier ministre, Ben Ali attendra le moment opportun pour déposer le président Caïd Essebsi «pour raisons médicales» (ce dernier, qui aime s’identifier à Bourguiba, l’acceptera de bon cœur) et lui succédera au mépris de la constitution. Son accession interviendra à une époque où le pays se retrouve en proie aux luttes effroyables de succession entre le sournois Hafedh Caïd Essebsi et sa clique et le furieux Moncef Marzouki et ses vils acolytes. On sera donc sauvé, une seconde fois, par «l’homme du changement».

Voilà donc la Tunisie repartie pour un second tour vers des lendemains meilleurs. D’apparence innocente ou qu’il frappe son public de plein fouet, le scénario fou d’une nomination de Ben Ali reste un élément perturbateur qui forcera peut-être la réflexion de Béji Caïd Essebsi pour l’amener à faire preuve de plus de diligence dans le choix d’un nouveau chef de gouvernement.

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