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Youssef Chahed ou l’éloge de la naïveté

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En Tunisie, depuis que Youssef Chahed a pris ses fonctions au palais de la Kasbah, tout va mieux ou presque. La baguette magique, ça existe…

Par Yassine Essid

A peine l’équipe constituée, la confiance obtenue, le gouvernement investi et les passations des pouvoirs accomplies entre les anciens titulaires et leurs remplaçants, qu’un vent d’espoir et de changement souffla sur le pays.

La dramatisation des sujets d’actualité dans le cours magistral donné par le Premier ministre avait provoqué un effet d’une extraordinaire puissance : galvanisant les employés somnolents, inspirant la plus grande crainte chez les criminels de tout acabit, visant la plus grande sévérité envers les corrupteurs et les corrompus, mobilisant les masses qui avaient longtemps cessé d’avoir confiance en l’avenir, communiquant un dynamisme puissant à toutes les couches de la société.

La fin de tous les maux ou presque

Le pays était comme frappé par un séisme de forte amplitude. L’ensemble des acteurs sociaux, qui jusque-là imaginaient mal l’ampleur de l’échec des politiques publiques menées jusqu’à présent, ont tous adhéré à l’impératif d’un processus de réconciliation nationale afin de venir à bout d’une telle inertie. Ils éprouvaient le besoin de l’ordre, de la discipline et aspiraient au rétablissement de la morale publique. Car une société républicaine n’est pas viable sans le partage de valeurs fondamentales, les sentiments de patriotisme et d’identité communautaire. Ils étaient dès lors convaincus que l’entrée en vigueur du programme du nouveau gouvernement avec de vraies réformes, fondé sur des objectifs clairs, signifierait la fin de tous les maux.

Le pays était devenu tout d’un coup méconnaissable. La renaissance des esprits représentait une véritable rupture avec le passé. La nonchalance, l’indifférence, la désinvolture, le laisser-aller, la lenteur des gestes et des attitudes et l’incurie ordinaire à tous les gouvernements, devenus les défauts redondants du Tunisien, avaient subitement cédé la place à une intense activité déployée dans tous les secteurs d’activité.

Sur les chantiers, les ouvriers développaient la totalité de leur potentiel. Dans les services de l’administration publique, les agents acceptaient avec un sentiment de responsabilité les pressions de leurs hiérarchies, cessaient de se lamenter du manque chronique des moyens et de leurs salaires dérisoires. Ils acceptaient désormais de bon cœur leurs pénibles conditions de travail en allant, le sourire aux lèvres, au-devant des besoins des usagers, endurant souvent sans broncher leur furieuse et injuste colère.

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Youssef Chahed à Kasserine: un chef de gouvernement tout terrain. 

Mobilisation générale de la population

On n’a pas attendu longtemps pour constater le progrès dans le secteur des transports en commun. L’engorgement, source de violence, avait disparu redonnant espoir à des milliers d’usagers découragés par des décennies de galère. Les tronçons délabrés ont été rénovés d’urgence, la vétusté et le manque d’entretien des véhicules avaient disparu. La ponctualité et la fréquence des dessertes interurbaines et celles des zones rurales était même devenue légendaire, encourageant les automobilistes à délaisser leurs voitures du moment qu’ils étaient assurés d’arriver à l’heure au travail.

En réaction aux propos du Premier ministre sur la saleté scandaleuse des villes et de la campagne, devenue l’image de marque du pays en même temps qu’une problématique préoccupante, on avait constaté là aussi, médusés, une mobilisation générale de la population. L’envahissement du territoire par les déchets ainsi que leur mode de traitement étaient devenus une cause nationale. Les sacs en plastique étaient partout bannis, les produits alimentaires étaient livrés sous emballage en carton recyclé, et le tri sélectif s’était imposé débarrassant la chaussée des papiers-carton, verre, plastique, canettes de soda et autres boîtes de conserve. La quantité d’ordures produites diminua vertigineusement. Chaque citoyen s’était mis à se préoccuper du sort réservé à ses rebuts et ceux de ses voisins. Une conscience environnementale s’était rapidement ancrée dans l’esprit de chaque habitant, commerçant, ou industriel, suscitant chez eux le devoir spontané de prendre en charge leurs propres déchets.

Chaque ménage était par ailleurs contraint à payer une redevance spéciale proportionnelle au volume d’ordures produit et en fonction du nombre de sacs fournis périodiquement par les communes.

L’outil impitoyable de la répression sévissait sans merci en sanctionnait les conduites anarchiques. Les atteintes à la nature et à l’environnement étaient assimilées à des délits criminels et donnaient lieu à des sanctions pénales. De dépotoirs, provoquant l’écœurement des visiteurs étrangers, villes et campagnes étaient devenues comme par enchantement un havre de propreté et les devants des maisons des jardins fleuris.

En matière de santé publique, les résultats furent aussi probants. Pointés du doigt, fréquentés par des pauvres hères sans alternatives, acculés à subir le mépris des médecins et l’humeur hargneuse et déplaisante des infirmières, les hôpitaux publics commençaient à concurrencer et parfois supplantaient les établissements privés.

Haro sur la corruption et sur les corrupteurs

Le chef du gouvernement avait avec insistance annoncé son intention de faire de l’éradication de ce mal endémique qu’est la corruption la priorité de ses priorités au même titre que la lutte contre le terrorisme. Car il avait compris que partout et toujours, la corruption constitue pour les citoyens un moyen d’infléchir les décisions de bureaucrates inflexibles et d’atténuer la dureté et l’arbitraire des fonctionnaires qui exercent une influence corruptrice sur les usagers. On l’accepte comme une stratégie de contournement des obstacles politico-étatiques, comme une sorte de mode de régulation qui repose sur une politique rationnelle de distribution des richesses: emplois, permis, passe-droits, protection…, contre argent ou soutien de toutes sortes. Des pratiques que tout le monde condamne, mais auxquelles on se résigne comme un moindre mal, sans égard pour ses effets sur le fonctionnement de l’État, de la démocratie et du tissu social. Pire encore, ces pratiques sont la négation même des valeurs qui fondent l’Etat et le gouvernement représentatif.

Aussi, dès sa prise de fonction, Youssef Chahed avait-il procédé à la mise en place d’un organisme d’enquête majeur et indépendant, en mesure d’agir d’une manière rapide et efficace pour dégager le pays du piège de cette perversion. Une sorte de FBI, doté d’agents spéciaux au-dessus de tout soupçon, respectueux de la loi, uniquement affectés à l’investigation et à la répression d’un mal enraciné depuis des décennies dans les rouages de la politique et de l’économie, car recourant à des moyens de dissimulation de plus en plus sophistiqués: détournement à des fins personnelles des biens appartenant à l’Etat, népotisme et clientélisme pour graisser les rouages de la machine gouvernementale dans les domaines où l’on ne pouvait vraiment pas se passer de la politique, patrimonialisation, établissement de situations de monopole à l’intérieur des structures officielles, réseaux relationnels illégaux, interférence du politique, pots-de-vin, détournement, présence de conflits d’intérêts, défense des particularités et de l’identité des régions à des fins d’octroi de privilèges, d’immunités et de facilités. Des pratiques par lesquelles la démocratie cesse d’être telle qu’on puisse encore la désigner par le même terme.

Grâce à l’action du gouvernement, abus de pouvoir, exactions et rapines des policiers et des agents du fisc avaient également cessé. Bien qu’intransigeants, ces fonctionnaires étaient devenus à la fois calmes, affables, respectueux et ne réclamaient plus de subsides à des contrevenants tentés de négocier leurs délits et infractions.

La hausse des salaires dans la fonction publique, suffisamment substantielle, avait sensibilisé les employés aux valeurs d’intégrité.

Le fonctionnement des institutions ne reposaient plus dès lors que sur la transparence et la responsabilité. On avait cessé de tolérer des décisions politiques contre argent et, au fur et à mesure de l’extirpation de ses causes structurelles: économie en crise, pauvreté, hausse des prix, chômage persistant, endettement abyssal, recettes insuffisantes, dégradation du niveau de la vie de la classe moyenne et faiblesse des salaires dans la fonction publique, la corruption avait diminué d’une manière drastique.

Dès lors, la Tunisie se retrouvait bien mieux classée que nombre de pays occidentaux dans l’indice de la perception de la corruption, de même que progressait son indice de bien-être durable.

La loyauté envers la nation et la sauvegarde de l’intérêt public nous commandent cependant d’être plus réservés sur les échecs, partiels il faut le reconnaître, de ce gouvernement. L’éducation dans la mesure où elle n’a pas changé de titulaire, la formation des générations futures et la qualité de l’enseignement restaient compromises, et demeurera pour longtemps une épine dans le pied du gouvernement.

Par ailleurs, la culture, le tourisme, l’équilibre régional, les affaires religieuses, etc., n’ont pas bénéficié de la même caisse de résonance que bien d’autres secteurs et resteront à jamais d’inextricables fouillis qui exigent de tout gouvernement une incroyable patience pour les débrouiller.

Une autorité presque naturelle

En définitive, nous sommes aujourd’hui bien mieux lotis par rapport à tous les gouvernements précédents. Le vote de l’assemblée n’était pas seulement un forum de rhétorique abstraite. Pour arriver à ces résultats, Youssef Chahed, qui incarne une autorité presque naturelle, avait appuyé son pouvoir non sur la complaisance, les vœux pieux, ou l’ambition personnelle, mais sur le recours à la force de la loi pour faire régner l’ordre social.

Alors ? Encore un peu de patience braves gens, tout va s’arranger.

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