L’ancien fort Borj El-Castil, construit en 1284, et la presqu’île de Bin El-Ouediane, à Djerba, représentent un patrimoine naturel et culturel qui mérite d’être préservé.
Par Naceur Bouabid *
Borj El-Castil n’est plus que l’ombre d’un fort jadis florissant et rayonnant de splendeur. Erigé initialement par le conquistador aragonais Roger de Loria en 1284, pour y placer une importante garnison et établir le siège de gouvernement des Chrétiens de Sicile suite à leur prise de Djerba en 1280, il fut repris et restauré dans un premier temps par les Hafsides en 1337, avant d’être récupéré par Dargouth Pacha en 1551, qui renforça les défenses du monument par des remparts extérieurs pour en faire un poste défensif avancé et de surveillance de l’entrée du détroit d’El-Kantara, et enfin de nouveau restauré au 17e siècle par Hamouda Pacha.
Aujourd’hui, ce monument est dans un piteux état avancé de dégradation, qui vient d’ailleurs d’être constaté par la directrice générale de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (Apal) lors d’une visite d’inspection effectuée le 22 août 2016. Le sort ingrat auquel il est réduit, depuis longtemps déploré et dénoncé de vive voix par l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba (Assidje), est incompatible avec son rayonnement séculaire d’antan.
Le monument est aujourd’hui dans un piteux état avancé de dégradation.
Construit à peine au-dessus du niveau actuel de la mer, à la pointe de la presqu’île de Bin El-Ouediane au sud-est de l’île, réputée pour être un territoire humide vulnérable inondable, le fort est sous la menace imminente de l’effondrement. Ses remparts sont perforés et éventrés et ils ne tiennent qu’à un fil; l’enceinte, méconnaissable, n’est qu’un amas de pierres et de gravats jonchant le sol.
Soumis à l’action érosive intense de la mer et aux nuisances anthropiques incessantes, les jours de ce si beau monument sont comptés, si entre-temps rien ne se fait pour le prémunir d’un effondrement total indubitable, synonyme d’effacement d’un pan charnière de l’histoire de l’île.
A quand la mise en application du scénario de gestion et d’aménagement du site?
Vers un aménagement et une nouvelle gestion du site.
Dans le cadre de la mise en place d’un processus de gestion des sites fragiles, l’Apal a confié au bureau d’études Comete Engineering le soin d’entreprendre une étude de gestion de la presqu’île de Bin El-Ouediane qui regorge de potentiels et de spécificités : un patrimoine naturel avec ses composantes floristique, faunistique et marine, avec ses peuplements avifaunes et sa dynamique sédimentaire; un patrimoine paysager spécifique marqué par une horizontalité dominante et une ouverture sur la mer; un patrimoine culturel avec l’élément d’appel majeur qu’est le Borj El-Castil, avec les vestiges (probablement romains) identifiés sur le site de la dune avoisinante et d’autres sites à intérêt historique ou cultuel repérés, dont Sidi Marcil.
En mars 2000, un rapport correspondant à la deuxième phase de l’étude, dans sa version définitive, et développant dans les détails le scénario de gestion et d’aménagement proposé, a été remis à l’Apal pour être finalement retenu après concertation.
Un site à intérêt écologique, historique et culturel.
Le scénario proposé prévoit des actions de protection et de valorisation de tous ces éléments relevés, de tout ce potentiel patrimonial.
De belles réalisations d’envergure, savamment réfléchies, étaient prévues et concernaient toutes les composantes matérielles du site.
Sur le plan culturel, le fort aurait été réhabilité, son architecture d’origine restituée, son espace environnant pris en charge et amélioré et un éclairage nocturne adéquat le valorisant mis en place.
Sur les plans naturel et paysager, une seule voie d’accès reliant le fort à la route littorale aurait été aménagée, parant à la multiplication des voies et des pistes sillonnant la presqu’île en vigueur actuellement, une haie végétale dense et continue, longeant la route, aurait été installée; des dunes consolidées plantées de palmiers auraient été créées pour assurer une certaine continuité paysagère avec le reste du territoire, etc.
Que de temps perdu depuis ! Que d’acquis dilapidés ! Que de dégâts perpétrés sur le site auraient pu être évités, hélas !
Des études de gestion ont abouti à des propositions de scénarios concrets de protection et de valorisation du site.
La presqu’île de Bin El-Ouediane, comme celle de Ras R’mel au nord-est sont, deux zones humides vulnérables, classées dans la Liste Ramsar des zones humides d’importance internationale, soumises à une convoitise toujours vorace d’espaces et de ressources et sont, de surcroît, le théâtre des dérapages les plus insensés; toutes deux ont fait l’objet d’études de gestion ayant abouti à des propositions de scénarios concrets de protection et de valorisation, toujours d’actualité, mais qui sont demeurés sans suite malheureusement et qui ne demandent maintenant qu’à voir le jour pour contribuer au salut futur de ces deux zones fragiles de l’île.
* Ancien président de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba (Assidje).
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