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Al-Massar veut faire renaître la gauche de ses cendres

Pour le parti Al-Massar, l’héritier du vieux Parti communiste tunisien (PCT), la gauche tunisienne n’est pas finie et pourrait encore s’imposer en tant que force politique agissante.

Par Habib Trabelsi

Il est indéniable qu’Al Massar est le parti le moins doctrinaire et le plus pragmatique au sein d’une gauche microscopique, égotiste, nombriliste et pusillanime, qui peine à s’unifier sans avoir tiré les enseignements des bouleversements du monde.

Un GUN pour sauver la patrie

Se confinant dans son rejet de toute compromission, son meilleur représentant, le Front populaire (FP), a ainsi refusé de faire partie du Gouvernement d’union nationale (GUN) – considéré par la frange pure et dure d’être «constitué dans le cadre de calculs sordides, de compromissions, d’alliances contre-nature».

Voilà pourquoi lorsqu’en août dernier le député du FP et membre du Parti unifié des patriotes démocrates (Watad) et une composante du FP, Mongi Rahoui, à qui Youssef Chahed avait proposé un portefeuille, a accepté de rencontrer à cet effet le président de la république Béji Caïd Essebsi, il avait été vertement tancé pour avoir nargué indirectement le dogmatisme idéologique de Hamma Hammami, porte-parole du FP. Le député Rahoui a dû décliner l’offre.

Cette opposition catégorique et quasi-constante de toute proposition commence aussi à lasser les Tunisiens de la gauche en général et en particulier du FP, plus isolé que jamais, surtout en prévision des prochaines électorales municipales.
«Pour la première fois, la problématique du pouvoir est abordée au sein du FP qui a commencé à discuter la question de la participation ou de la non-participation, ce qui est positif», a estimé, le 3 décembre, Samir Taïeb, le secrétaire général d’Al-Massar et ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche au sein du GUN.
M. Taïeb qui s’exprimait lors d’une journée d’étude co-organisée sur le thème : «La gauche et de la gouvernance en Tunisie, dans des conditions de transition démocratique (2011-2016)», a tenté de lever toute ambiguïté sur la participation d’Al-Massar au GUN, notamment par le fait que son parti avait été l’un des initiateurs de cette idée pour «faire face à une situation sécuritaire et économique qui menaçait d’un effondrement de l’Etat national, en danger».

«Si ce gouvernement déroge au Document de Carthage, qui n’est qu’un programme minimal pour sauver le pays, Al-Massar sera le premier à s’en retirer», a assuré le ministre-militant au franc-parler qui détonne.

Samir Taieb.

Au four et au moulin

M. Taïeb fait feu de tout bois. Le même jour, il préside une réunion du bureau politique du parti consacrée à l’examen des développements sur la scène politique et sociale dans le pays. Le bureau appelle à «une réunion urgente des signataires de l’Accord de Carthage pour éviter un glissement vers l’inconnu».

La veille, il participe à l’inauguration à Tunis d’un espace culturel, baptisé Avanci, de l’Organisation des Jeunes d’Al-Massar, «une jeunesse libre et agissante pour une société juste, pour un projet progressiste et digne de la Tunisie ». Bref, du sang nouveau pour l’héritier du vieux Parti communiste tunisien (PCT).

Le lendemain, il assiste à l’ouverture à Hammamet de la Journée mondiale des sols. Le surlendemain à celle de la conférence nationale sur l’économie sociale et solidaire, organisée par l’UGTT. Et son parti annonce une conférence-débat, le 17 décembre à la Marsa, sur le même thème, en présence d’experts en agriculture durable. M. Taïeb y expliquera «comment la crise de l’oasis de Jemna a été résolue grâce à l’économie sociale et solidaire».

«Des mesurettes et une caution morale»

En septembre, M. Taïeb avait affirmé à Kasserine qu’il ne serait pas le ministre des solutions ponctuelles, mais d’une stratégie pour des réformes structurelles.

Depuis, il avait notamment mis l’accent sur «la nécessité» de rationaliser la consommation d’eau, de promouvoir de nouvelles stratégies pour éviter la crise hydrique, en préconisant le dessalement de l’eau de mer et en mettant en garde contre le forage de puits anarchiques, «un fléau qui menace nos réserves d’eaux naturelles».

Depuis, M. Taïeb a également annoncé un plan national pour la plantation de dix millions d’oliviers au cours des trois prochaines années. «Ne nous demandez pas de comptes tout de suite. Laissez-nous le temps», avait-il répondu à un participant à la Journée d’études qui l’interrogeait sur «les réalisations concrètes» de son ministère. Il s’est borné citer «la prochaine annonce d’une première liste de terres domaniales à distribuer aux petits agriculteurs dans les zones intérieures, par la société civile, les partis politiques, les députés et tous ceux qui connaissent les habitants dans chaque région».

Des mesurettes de portée limitée qui n’ajoutent rien à la crédibilité du GUN. Bien au contraire, elles ne sont qu’une caution morale d’une gauche honorable pour Ennahdha et Nidaa Tounès, et ne participeront pas à sauver le pays du vampire islamiste, rétorquent ses détracteurs.

«Il ne faut jamais s’étonner de ce qu’il peut sortir de balluchon d’un imitateur d’un troubadour médiocre. Il ne faut surtout et jamais oublier qu’il a commencé sa carrière dans les consulats de Ben Ali», peste l’un d’eux, au grand mépris de l’histoire. «Je n’ai jamais été consul à l’étranger, mais un fonctionnaire au consulat de Strasbourg à l’époque du président Habib Bourguiba, poste que j’avais quitté» au lendemain du «coup d’État médical» du 7 novembre 1987, avait déjà rétorqué Samir Taïeb.

Habib Kazdaghli et Habib Trabelsi à l’inauguration de l’espace culturel Avanci.

Unification de la gauche : ni possible, ni souhaitable

Un amalgame qui en dit long sur les sempiternels clivages, clashs et coups bas entre mini-formations d’une gauche enlisée dans des conflits de leadership au lieu de se rassembler sur la base d’un projet fédérateur et de resserrer les rangs pour s’imposer en tant que force politique agissante.

De quoi désespérer Mohamed Khénisssi, ancien cadre de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) et actuellement président du Forum de la citoyenneté à Hammamet. «L’Unification de la gauche est une vue de l’esprit. Il n’existe que des gauches. Chercher à les unifier en une gauche mythique ou virtuelle me semble une tâche impossible et peut-être non indispensable», décrète, le 3 décembre, cet ancien Perspectivistes et prisonnier politique sous le régime de Bourguiba.

«Il faut être logique et réaliste. L’unité ne se fera que dans l’action et sur des questions qui imposent à tous le rassemblement ne serait-ce que ponctuel. Pour le reste, il faut accepter la diversité et la différence et pour le moins ne pas tomber dans le dénigrement et l’insulte réciproques !», écrira-t-il, le lendemain de la publication par Kapitalis, d’un article sur les clivages de la gauche tunisienne.

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