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Service public : Bonne gouvernance et mise à la retraite des compétences


Comment relever l’administration tunisienne en se passant des compétences avérées au prétexte d’atteinte de l’âge de la retraite ? Qui voudrait en aggraver la déchéance avérée agirait-il autrement ?

Par Farhat Othman *

Sous le titre-choc «Fin de mission de quatre ambassadeurs à quelques jours de la fin de l’année : L’administration ne doit pas être un monstre froid», l’Association des anciens ambassadeurs et consuls généraux dénonce, dans un article paru sur son site internet ‘‘Le diplomate tunisien’’, une récente décision polémique du ministre des Affaires étrangères.

En effet, la décision ministérielle, parfaitement légaliste en son apparence, illustre à merveille l’adage «Summum jus, summa injuria» (Excès de justice, excès d’injustice). Elle est générée par une application stricte d’une circulaire du chef du gouvernement, ce qui amène à mettre en cause et l’esprit et la lettre de ce texte circulaire, véritable non-sens.

Récente qui plus est, cette circulaire limite drastiquement le maintien dans le service public après l’âge de la retraite. C’est bien un non-sens, car elle a été édictée par un gouvernement dont on a voulu saluer le volontarisme affiché en vue de sauver l’administration tunisienne de la léthargie mortifère où elle se trouve.

Aussi, dans le sillage de l’article de l’association de nos diplomates, le langage de la vérité impose de dire qu’une telle circulaire fait honte au vrai sens du service public au moment où, plus que jamais, l’histoire démontre que relever toute administration de l’ornière où elle se trouve ne peut se faire que grâce à ses enfants, nonobstant leur âge. Surtout en Tunisie où l’administration est l’ossature de l’État.

Plus que jamais, sauver la patrie doit se faire en retenant ou ramenant dans le giron administratif ses compétences. Or, elles existent bel et bien, mais on veut s’en passer pour un certain nombre de causes, dont la fallacieuse atteinte d’âge de retraite. Comme si l’on n’avait pas nombre de retraités au pouvoir où, en plus, la preuve est faite qu’on peut bien avoir, à 90 ans, le talent et l’énergie de qui n’en a que la moitié ou encore moins !

Une administration exsangue de compétences et de flagrantes injustices

En faisant fi de la compétence des serviteurs de la patrie dans nos administrations, ladite circulaire sacrifie une pléiade de commis de l’État ayant fait la sève de ses services administratifs, son honneur même.

Nombre de ces fonctionnaires ont cultivé et cultivent la vocation du service du public; or, ce sont eux qui sont visés par la circulaire en question. J’en connais qui, malgré l’âge de soixante ans et bien au-delà, ont et gardent la juste conception du mot et la salutaire notion du service public, au plus près de son étymologie (du latin classique «functio» : accomplissement). Pour de telles gens dont on ne veut plus, être fonctionnaire, c’est avoir la passion de quêter l’accomplissement de son être social en veillant à s’acquitter («fungi») de son devoir patriotique de servir son pays.

Chez eux, il s’agit d’une essence que rien ne saurait altérer, même pas les avanies que l’injustice humaine fait subir à la carrière. Ainsi, bien qu’un certain nombre d’entre eux aient été victimes des travers de son administration — alors qu’elle était encore bien portante, en son âge d’or, si j’ose dire ! — ils continuent et veulent continuer à servir, soixante ans étant le zénith même de l’activité et non la mort voulue de l’activité administrative. C’est même le début de la sagesse et de l’action, bonifiée par l’expérience, pour un pays dont le salut en dépend.

C’est dire à quel point de telles compétences rares, et les diplomates concernés en sont, sont mal vues par ceux qui ne veulent pas le bien du pays; elles connaissent parfaitement l’administration tunisienne et le mal qui ronge ses services, tout autant que les injustices qui y ont régné et qui y continuent malgré la profession de foi pour une bonne gouvernance. Ce serait même la raison qui fonde la volonté de certains de les bouter dehors, dans leur recherche à ce que notre État ne se relève pas, maintenant malade son administration.

Le chef du gouvernement a tout à fait raison de parler de la nécessité impérative d’une bonne gouvernance dans l’administration tunisienne; elle a atteint, au sortir de la révolution, un niveau bien bas, non seulement dans la mauvaise administration des choses, mais aussi de l’injustice.

Toutefois, si notre administration est aujourd’hui quasiment exsangue de compétences, c’est qu’elle a été vidée des commis de l’État, grands et petits, qui s’y trouvaient et qui étaient sa fierté, faisant sa force, lui donnant son lustre.

Certes, la plupart a exercé sous la dictature, mais en servant plutôt la patrie. C’était même le commode paravent derrière lequel se cachait le régime déchu pour sévir en toute impunité. Il trompait en se servant de telles compétences indépendantes qui ne le servaient pas, ou si peu, et ce juste pour pouvoir servir plutôt leur pays. Car elles relevaient d’un système s’imposant à tous et dont elles atténuaient la rigueur en faveur du commun des mortels du pays.

Une telle force, bien plus neutre qu’on ne veut le reconnaître aujourd’hui, a été injustement traitée, étouffée, harcelée et finalement sacrifiée par les gouvernements idéologiques issus du coup du peuple qu’on a prétendu révolution. Les gouvernants de la «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, se sont acharnés à meubler les services administratifs d’affidés et d’incompétents au prétexte de les réintégrer dans leurs droits, rendant moins la justice que ne commettant de nouvelles injustices, bien vraies cette fois-ci et non simulées !

Durant les dernières années, dans nombre de cas sinon la plupart, on a osé moins lever les injustices en faveur de ceux qui méritaient vraiment la justice que rendre service à des incapables et à des profiteurs dont a été remplie l’administration afin la contrôler en tant qu’épine dorsale de l’État. De véritables injustices ont été ignorées donc ou dont on a cherché à effacer la trace n’ayant été nullement réparées à ce jour.

Ce fut bien le cas d’un certain nombre de compétences avérées qui méritaient avant toutes les autres de retrouver leurs droits spoliés. On en a eu, d’ailleurs, une illustration aux audiences de l’Instance Vérité et Dignité. Cependant, nombre de fonctionnaires ne l’ont point fait, par éthique diplomatique et dignité personnelle.

À ce jour, au lieu de se plaindre publiquement, puisqu’ils peinent toujours à obtenir gain de cause pour lever les injustices flagrantes et avérées les ayant frappés, ils ne continuent pas moins à servir leur patrie comme ils le peuvent. Or, que fait l’État pour eux? Après tant d’autres fallacieux prétextes, enfin abandonnés, il en vient à invoquer le motif vide de sens qu’ils ont atteint l’âge de la retraite! Drôle de logique pour se passer de compétences quand on prétend, dans le même temps, les chercher!

Depuis quand le fait d’avoir atteint soixante ans, de peu qui plus est pour certains, comme les ambassadeurs rappelés le jour de l’an, constitue-t-il donc un empêchement à servir la patrie et ce avec en plus, pour certains, l’injustice subie et la carrière violentée? De tels fonctionnaires, brimés ou non, n’ont-il pas le parfait droit d’être maintenus en activité, ne serait-ce qu’en contrepartie du préjudice subi pour les concernés, mais aussi et surtout en salut à leur compétence pour tous?

Faire bonne gouvernance en gardant ses compétences à l’administration

Si le ministre des Affaires étrangères a été dans l’obligation de rappeler les compétences avérées objet du billet précité, c’est qu’il n’avait pas le choix, la circulaire n°12 du 12 novembre 2016 l’y obligeait. Elle appelle à limiter les cas de maintien en service après la retraite, l’empêchant d’être juste, devenant ainsi injuste.

Il est vrai, la circulaire se limite à mettre l’accent sur le souci d’éviter le maintien en activité dans la fonction publique en le conditionnant à l’avis conforme du chef du gouvernement. Ce n’est toutefois qu’un biais qui n’aboutit qu’à une injustice, à bon droit dénoncée.

Quelle que soit la forme utilisée, ce texte gouvernemental prive de la possibilité d’être maintenu en fonction et de servir son pays tous ceux qui y sont prêts et le font savoir. Ce dont ils restent amplement capables et le prouvent, au moment même où le pays à le plus besoin de ses enfants, les plus honnêtes, les plus aptes à le faire.

N’est-ce pas de la sorte violenter l’esprit et la lettre de la gouvernance dont se réclame le gouvernement qu’on dit être de la dernière chance pour le salut de notre pays? Notre administration ne manque-t-elle pas cruellement de valeurs sûres, surtout dans ce secteur si sensible qu’est la diplomatie du pays? Pourquoi alors s’opposer à ce que les compétences ayant atteint l’âge de la retraite demeurent en service, d’autant plus qu’elles sont prêtes à servir leur patrie et en font bien une demande pressante et réitérée?

N’est-ce pas aller contre la volonté affirmée et réaffirmée par les plus sages dans le pays de repousser l’âge de la retraite à 65 ans, ainsi que cela se fait dans le monde et ainsi que le commande la raison et l’intérêt de notre patrie? Ne se contredit-on pas ainsi, pratiquant juste une politique d’affichage sans consistance réelle?

Ne doit-on pas plutôt pratiquer l’encouragement tous azimuts de toutes les bonnes volontés manifestant clairement la volonté de rester en service, ce qui serait une façon de mettre en œuvre de fait cette loi salutaire, accélérant ainsi son vote pour peu que leur compétence ne fasse nul doute ? Comme on sait que certaines mauvaises volontés ne veulent point le bien du pays, s’évertuant à retarder ou empêcher l’adoption d’un tel projet de loi, ne serait-ce pas le meilleur moyen d’en accélérer l’adoption?

Au ministère des Affaires étrangères qui est aujourd’hui concerné et que je connais bien, y étant entré en 1997 à la sortie de l’université, de réelles volontés sincères et compétentes sont en train d’agir inlassablement pour redonner à la diplomatie tunisienne sinistrée son lustre afin de redevenir l’excellente excellence qu’elle était. On les aidera assurément en libérant le ministre en charge du Département, qui connaît bien la diplomatie étant enfant du département, du devoir de se conformer à cette inique circulaire. C’est ce que mande et commande l’intérêt de la patrie si le souci du chef du gouvernement est bien le sauvetage d’un département sinistré, à l’image de toute l’administration.

La circulaire précitée doit même être modifiée dans le sens contraire si l’on veut tenir compte de la réalité de nos services administratifs, car elle n’aboutit aujourd’hui qu’au résultat inverse de ce qu’elle prétend atteindre, augmentant le sérieux risque de sabotage de la moindre œuvre sincère de sauvetage de nos administrations.

Elle conforte même indirectement cette intention politique maligne chez d’aucuns dont le seul souci est d’écarter, sinon toutes, du moins une écrasante majorité des compétences ne convenant pas à leur couleur politique et/ou idéologique. Comment parler et encore mieux pratiquer de la sorte la bonne gouvernance qui, n’en doutons pas, est le credo du gouvernement?

 

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