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On peut construire des logements ruraux à coût dérisoire

Pour construire des logements ruraux adaptés aux besoins des populations, on doit recourir à des matériaux mieux adaptés aux besoins des populations et, surtout, moins coûteux.

Par Moncef Kamoun *

Nous avons appris récemment par les médias qu’un jeune homme a été enterré sous les décombres du toit effondré de la pièce rudimentaire qu’il occupait dans une localité près de Béja et qu’une femme et ses deux enfants de 4 et 6 ans sont morts dans le gouvernorat de Kasserine sous le toit de leur gourbi détruit par les fortes pluies et qu’une famille a perdu sa fille à cause du froid, à Ouled Dhifallah, zone rurale située à quelques km de Ain Drahem, gouvernorat de Jendouba.

Il est grand temps d’agir, car nous ne devons plus accepter que des personnes vivent dans des taudis présentant un danger pour leur vie.

«Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement», stipule l’article 25 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1948, qui considère que le logement est un droit fondamental et une condition première de la dignité humaine.

Un logement rural cher, inadapté au besoin et au climat

Dans les années 1960-1970, le président Bourguiba décide de lancer une politique de «dégourbification» qui consiste à éliminer tous les habitats précaires dans les zones rurales et à les remplacer par des logements en dur. Cette politique était honorable dans ses motivations et ses objectifs, mais tout à fait contestable quant à ses résultats. En effet, l’exécution de ce programme a été confié, comme tous les programmes d’habitat, à la Société nationale immobilière de Tunisie (Snit), qui n’avait pas l’habitude de traiter ce genre particulier de logement et sous la pression du temps, on a construit des logements standardisés, interchangeables et les mêmes à Jendouba, à Douz, à Kasserine et à Tunis. Résultat : ces logements chers et inadaptés au besoin et au climat ont été purement et simplement abandonnés au profit des demeures traditionnelles.

Le 12 janvier 2017: chef du gouvernement Youssef Chahed discute avec une paysanne à l’intérieur de son gourbi. 

Le logement dans les zones rurales n’est pas seulement un abri; il est le support de toutes les activités quotidiennes de ses occupants, leur cadre de vie familiale et surtout leur lieu de travail. Le logement est pour le paysan un outil de travail et se loger plus ou moins confortablement n’est pas sa principale préoccupation. Pour l’homme de la terre, le confort n’étant que la fonction passive du logement, le but serait de lui créer un environnement mieux adapté à son mode de vie, en prévoyant, notamment, des espaces intérieurs et extérieurs pour stocker les récoltes, abriter les animaux ou protéger les outils.

Un deuxième programme a été lancé par Ben Ali, dans les années 1990, et financé par le Fond national de solidarité, mais toujours avec les mêmes erreurs.

Aussi, en Tunisie, n’a-t-on jamais fait une politique spécifique de logement rural permettant réellement d’améliorer ce genre d’habitat, car changer ce type d’habitat ou même le transformer devait obligatoirement découler d’une analyse des besoins, des habitudes et des modes de vie des futurs habitants.

Il est temps de comprendre les causes des échecs passés et d’en tirer des leçons.

Comment construire un logement rural à un prix dérisoire ?

Les matériaux de construction d’aujourd’hui sont chers parce qu’ils sont de grands consommateur d’énergie. Le bilan énergétique de la construction d’un logement fait ressortir que la fabrication et la mise en œuvre des matériaux consomment 68% de l’énergie, la préparation du terrain et les machines sur chantier en consomment 21% et le transport des matériaux 10%.

À titre d’exemple, le ciment nécessite une température de cuisson de 1.450° C, la chaux hydraulique 800 à 900° C et le plâtre 100° C, alors qu’un produit cru un peu cuit ne consomme pas d’énergie.

Aujourd’hui, la mondialisation de la construction de logements à grande échelle a poussé les pays en développement à reproduire les mêmes systèmes utilisés dans les pays riches.

Résultat : les coûts de la construction dépassent les moyens des gens et particulièrement dans les zones rurales, où les paysans sont souvent contraints à vivre dans des habitats précaires.

Aussi, pour réduire les coûts des logements ruraux en réduisant leurs coûts en énergie, doit-on suivre une autre démarche qui consiste à réduire les besoins énergétiques et à recourir aux énergies gratuites exploitables.

La solution serait donc de mettre en œuvre avec des techniques simples des matériaux moins énergivores tant au niveau de la fabrication qu’à celui du transport et de la mise en œuvre.

Pour atteindre des coûts de construction faibles et rentables économiquement, socialement et énergétiquement, la construction doit donner la préférence aux matériaux et procédés simples, et s’il doit y avoir sophistication que cela soit au niveau de la conception de l’espace.

En plus, l’emploi des matériaux locaux selon des techniques simples plutôt que des produits industrialisés répond à plusieurs avantages. Ces matériaux sont pour la plupart disponibles à volonté dans les environs immédiats de la construction et leur extraction, leur fabrication et leur mise en œuvre sont réalisables par une main-d’œuvre peu qualifiée et disponible en abondance.

D’autre part, le choix des matériaux et du système de construction doit répondre à deux principales conditions : un faible coût de revient et une technique simple de mise en œuvre. Ceci, bien sûr, sans sacrifier la qualité technique du logement.

Plusieurs programmes de logements ruraux ne sont pas venus à bout des gourbis. 

La construction en terre était considérée dans notre pays non seulement comme une tradition, mais comme la solution unique pour la réalisation d’un abri durable et à coût réduit. Ceci n’est certainement pas sans raison, car ce matériau s’intègre parfaitement aux paysages naturels et permet de créer des espaces adaptés aux besoins domestiques, aux modes de vie et aux exigences sociales spécifiques aux zones rurales. Ce matériau répond, d’autre part, aux conditions économiques des populations, par sa facilité d’extraction et de mise en œuvre et son coût énergétique pratiquement nul.

Enfin, les qualités bioclimatiques de la terre, confirmées par l’expérience, sont aujourd’hui démontrées par la science moderne.

A quoi servent les ingénieurs et les architectes?

«Apprendre pour entreprendre et innover», telle devrait être la devise de notre université.

L’incompétence généralisée et le manque de responsabilité ont atteint des niveaux intolérables en Tunisie qui prétend, pourtant, que «la matière grise» est sa première ressource.

Cela fait plus de 40 ans que notre pays forme des architectes et des ingénieurs. Et il est temps que ces professionnels renvoient l’ascenseur à leurs compatriotes qui ont payé leur formation. Ils pourront le faire en développant les innovations permettant de relever les défis socio-économiques auxquels fait face aujourd’hui la Tunisie, notamment celui de l’amélioration du cadre de vie des habitants des zones rurales.

Des institutions de recherche spécialisées dans l’habitat existent, certes, depuis plusieurs années. Encore faut-il savoir les utiliser, les réorganiser et orienter leurs travaux vers le développement de solutions innovantes adaptées aux besoins des populations.

Le piétinement de la recherche est dû essentiellement au manque de coordination entre les différents organes chargés de cette fonction au sein de l’administration ou des établissements de formation.

Il faut, par ailleurs, réformer le cadre juridique de la politique de l’habitat et ne laisser rien au hasard, de manière à promouvoir ce secteur et à faire du «droit au logement décent» un objectif stratégique du gouvernement.

Nous pensons, quant à nous, que les techniques modernes peuvent nous aider à produire des matériaux locaux quasiment nouveaux, criblés, malaxés mécaniquement, stabilisés, avec divers adjuvants et mélanges bien maîtrisés et fortement comprimés. Des matériaux qui seraient mieux adaptés aux besoins et, surtout, moins coûteux.

*M. K. Architecte, ancien enseignant à l’école d’architecture, ancien membre du conseil supérieur de la recherche scientifique.

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