Macron (39 ans) – Caïd Essebsi (90 ans): Face à une France qui bouge, une Tunisie sclérosée.
Alors que partout le monde bouge et change, la Tunisie est voulue immobile par ses autorités, attachées à une pratique antique de faire la politique.
Par Farhat Othman *
Le pays donne l’impression d’être un patriarche aimant user de son talent et de son expérience avérés, mais pas de la sagesse de l’âge commandant la parole de vérité. À l’instar des plus jeunes qu’il entend écraser de sa stature, il cultive ce qui est de nature à tromper sur l’âge de ses artères, jouant à la jeunesse, caractéristique du pays à l’avenir prometteur malgré tout.
Ré-enchanter le monde désenchanté
Or, partout, y compris chez notre voisin immédiat, la vieille Europe, la tendance est à la primauté de la jeunesse qui gagne grâce son esprit révolutionnaire. Aussi la politique ne peut plus se réduire aux simples tours de passe-passe d’antan, muant en cet art devant ré-enchanter le monde désenchanté. Surtout, elle n’est plus d’affectionner le paraître moyennant la technique éculée d’être le plus malicieux, simulant tantôt le lion tantôt le renard.
C’est bel et bien une pratique antédiluvienne de la politique, assimilée sinon à une monnaie de singe, du moins à une pièce certes précieuse, mais juste de collection, qui n’a plus cours. Numismatiquement de valeur, prisée par commerçants et collectionneurs, elle n’est pas ce qu’attendent les masses en leur monde qu’est l’âge postmoderne.
Le dernier discours du président de la république Béji Caïd Essebsi apporte une preuve supplémentaire sur l’inertie dans laquelle se complaisent les dirigeants du pays. Tout en reconnaissant la gravité d’une situation dont le sud du pays n’est qu’un aspect, on ne daigne rien changer. Tout dans le système actuel relèverait de la veine du meilleur dans le meilleur des mondes. Un tel raisonnement ne fait plus illusion, étant obsolète et irresponsable en un monde qui a changé.
On le voit avec ce qui demeure un modèle pour la Tunisie, cette France en campagne électorale; le rajeunissement impératif du pouvoir a imposé une transformation radicale des concepts politiques et idéologiques, ce qui s’est traduit par la répudiation des élites les plus incrustées dans le paysage politique, ayant fait leur temps.
Pendant ce temps, une certaine Tunisie, en un pays pourtant riche de sa jeunesse inventive, se complaît à se confiner dans le plus néfaste des conservatismes. Pour se donner bonne conscience, on a recours au mythe de la société conservatrice. Or, on l’a démontré : s’il est du conservatisme dans le pays, il est chez les élites refusant de rompre avec un pouvoir sclérosé pour garder leurs privilèges, d’antan ou nouvellement acquis. Ainsi le pays reste-t-il gouverné par la législation de la dictature; ce qui en dit long sur le formatage politique et idéologique des moeurs chez ses responsables, dont bien des jeunes, pourtant.
Certes, nul ne doute des qualités personnelles du président de la république qui, malgré ses neuf décennies, reste alerte d’esprit. Seulement, il est orienté vers un passé politique trépassé qu’il ne répudie pas ni ses schémas dépassés dont il continue d’user.
Discourir sur des évidences
Outre l’attachement à la législation scélérate de l’ancien régime, on le voit bien de sa part avec ce projet de loi injustifié, bien que voulu de réconciliation nationale. Il l’aurait été s’il n’était pas manifestement au service de quelques intérêts qui s’étaient assez servis de l’État sous l’ancien régime.
Ce projet est loin de profiter au plus grand nombre, notamment à ceux qui souffrent toujours des injustices de l’ancien régime, dont on n’a pas encore réparé le préjudice subi, notamment dans les administrations, meilleur baromètre de l’injustice généralisée sous la dictature et qu’on continue à préserver.
Qu’a dit de bien particulier M. Caïd Essebsi dans un discours solennel annoncé comme devant faire date? Que des évidences, soit rien de bien intéressant ! Outre son sujet favori, le projet supposé d’une réconciliation loin d’être générale, la justice n’étant par servie pour tous, le président a indiqué donner les instructions à l’armée afin de protéger les sites stratégiques du pays.
Qu’est-ce donc sinon le rappel de la plus basique des évidences? N’est-ce pas le rôle de l’armée? A-t-on besoin de gloser à ce sujet? Il est vrai que l’État est en pleine déliquescence pour ne pas manquer de rappeler que son armée est à l’abri des soubresauts politiques. Toutefois, n’est-ce pas l’y faire ainsi entrer contre son gré, la transformant en partie prenante des chicaneries partisanes? N’est-ce pas de cela qu’il s’agit en Tunisie, d’où le rappel du reste des évidences relativement aux institutions, aux mécanismes démocratiques.
Est-ce bien raisonnable de le faire quand on ne propose rien de concret afin d’éviter ce que tout le monde sait, à savoir que la démocratie est bien en crise et ses mécanismes contestés même dans des pays dotés d’une solide tradition en la matière? N’est-ce pas se ridiculiser en osant louant la nôtre qui est trop imparfaite encore, bien loin de faire figure du modèle qu’elle peut être un jour, mais de par une intention sincère et des actes concrets?
Discourir comme l’a fait le président pour ne rien apporter de tangible sur le fond aurait supposé, pour le moins, que l’on innove sur la forme afin de retenir un quelconque intérêt; or, on n’a fait que barboter dans le convenu.
Avec la mise en scène prévue, quelle rétrogradation n’a-t-on pas faite ainsi à l’esprit démocratique dont on se réclamait: un cérémonial digne d’une dictature des temps les plus reculés. Que dire d’autre de cette nette séparation du chef et de ses supposées ouailles, alors que l’esprit du temps est à la fusion? Et comment interpréter ce ton bien plus que paternel, celui d’un patriarche en une période qui est aux rapports à l’horizontale, ne tolérant plus la verticalité d’une vérité unique, même divine?
Unique sortie de crise
Aujourd’hui, nul ne peut douter que le processus démocratique en Tunisie est enrayé, car il est évident que d’aucuns cherchent activement, dans et hors pouvoir, à le faire dévier du parcours devant être le sien. Aussi, si la classe politique et les élites ne se soucient guère de son avenir, il est bien sain que la société civile, avec la partie la plus éclairée de la jeunesse dans le coeur battant du pays qu’est le sud, se manifeste pour un rappel impératif aux réalités.
Assurément, cela profite à certains agitateurs, tel Ettahrir, ce parti islamiste radical que l’État ne peut empêcher de nuire bien qu’il se soit avéré être une négation de l’État de droit. Comment alors refuser que le salut, en un pays jeune, vienne de cette jeunesse qui continue à être brimée par une législation obsolète, datant même du protectorat, qu’on fait tout pour la maintenir en vigueur?
Après six ans de révolution, le diagnostic sur le régime d’après la dictature est sans appel : le système n’est pas réformable étant sclérosé. Tant qu’on n’aura pas modifié la législation injuste encourageant corruption, contrebande et terrorisme dans le mental, on ne sortira point de la crise. Or, impunité et mauvais réflexes acquis empêchent de contrer de tels fléaux.
Pourtant, une évidence est patente : il est bien une sortie de crise qui est de prendre acte de la dépendance tunisienne des intérêts égoïstes de l’intérieur et de l’extérieur et d’oser s’y opposer. Ce qui impose d’articuler l’État en crise à un système de droit qui marche. Le seul à sa porte, dont relève structurellement à ses seuls dépens le pays, est le système de l’Union européenne (UE). La Tunisie n’a que choix de solliciter l’adhésion pour équilibrer sa dépendance par les droits d’État membre.
C’est ce qui sera de nature à canaliser les forces agissant contre l’intérêt national avec les moyens efficaces pour le faire. Cela permettra aussi, dans la perspective de l’adhésion, d’agir afin de sortir la jeunesse de sa désespérance actuelle en lui donnant un nouvel horizon d’avenir par la reconnaissance de son droit au libre mouvement, dans le cadre d’un espace de démocratie méditerranéenne, en usant de l’outil du visa biométrique de circulation.
En un mot comme en mille, la seule issue de secours pour la Tunisie est d’articuler sa démocratie naissante au système de droit de l’UE, auprès des instances de laquelle il urge de déposer l’acte officiel de candidature de la Tunisie avec le geste symbolique majeur précité en direction des jeunes. C’est ce que commande le courage politique ici et maintenant.
* Ancien diplomate.
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