Plus que jamais, l’Occident européen mise sur la réussite de l’expérience tunisienne, une originalité voulue en modèle pour cette terre d’islam.
Par Farhat Othman *
L’apparition du président de la république Béji Caïd Essebsi aux côtés des plus grands de ce monde lors du sommet du G7 est plus que symbolique. Au-delà de la réussite diplomatique éclatante et du prestige du chef d’Etat, la Tunisie en sort plus forte que jamais, étant désormais sur orbite pour réussir sa transformation en État de droit. Cela serait, dans le même temps, le succès du meilleur élève du système occidental, cette part d’un Orient apaisé en un Occident par trop matérialiste, quêtant la sérénité orientale chez le plus démocratique au Maghreb.
Plus que jamais, l’Occident européen mise sur la réussite de l’expérience tunisienne, une originalité voulue en modèle pour cette terre d’islam dont les moins mal intentionnés des Occidentaux font un laboratoire pour une démocratie partout en crise. C’est la raison du traitement de VIP réservé aux dirigeants actuels tunisiens.
S’ils sont ainsi choyés, c’est qu’ils sont adoubés pour la stratégie future d’une Europe devant se reconstruire afin de faire face au nécessaire renouveau d’un monde chamboulé et qui change. Cela expliquerait aussi le lancement, en Tunisie, de la campagne contre la corruption qui n’aurait pu avoir lieu sans de sérieuses garanties occidentales, la corruption ayant des liens extérieurs au pays, bénéficiant d’appuis et de protections étrangers auxquels l’État tunisien seul ne pouvait faire face.
Accolade de Caïd Essebsi avec Macron.
Une nouvelle donne au monde
Le monde n’a jamais été au plus mal; une ère de vide sidéral a déjà commencé en politique internationale, gros d’immenses périls. On l’a vu à Bruxelles et à Taormine, les anciens amis anglo-saxons renient l’Europe. Constatant l’échec des deux rencontres, la chancelière allemande a eu des mots durs, déclarant : «Nous devons lutter nous-mêmes, en tant qu’Européens, pour notre avenir et notre destin» afin que l’Europe devienne enfin «un acteur qui s’engage à l’international».
L’Europe réalise ainsi, comme l’avait dit l’ambassadeur français à Washington au lendemain de l’élection de Trump, qu’«un monde s’effondre devant nos yeux» et que «tout est désormais possible».
Or, en Tunisie également tout est possible depuis son «coup du peuple» de 2011. C’est le flanc sud de la Méditerranée qui ne doit plus rester cette arrière-cour dont on se désintéresse, propice aux activités diverses qu’on cache, mais plutôt une avant-cour présentant le meilleur de la cour principale, une devanture même de l’Europe et du nec plus ultra de ce que pourrait être une Méditerranée apaisée, un espace de démocratie méditerranéenne et, à terme, une aire de civilisation occidentalo-orientale.
Aujourd’hui, après le lâchage anglais et américain, des amis des mauvais jours durant la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit se souvenir que son salut n’était pas venu que de ces amis devenus infidèles aujourd’hui, mais aussi des ressortissants des colonies qui ont versé leur sang pour la sauver de l’hydre nazie et qui, eux, lui sont toujours fidèles.
Il serait injuste, historiquement et moralement, d’attribuer la prospérité et la sécurité européennes aux seuls anciens amis, oubliant l’apport décisif des colonies et de leurs ressortissants, sans lesquels l’Europe n’aurait jamais eu ni l’une ni l’autre. On voit bien d’ailleurs comment elle perd aujourd’hui sa sécurité à force de se désintéresser du sort des sujets des anciennes colonies, y jouant à l’apprenti sorcier, ne s’y souciant que de ses intérêts exclusifs.
Le vide politique mondial ne peut être rapidement comblé que par l’Europe du fait de ses atouts en tant que première puissance économique et commerciale. Il lui manque juste des compétences régaliennes en matière de défense, de sécurité intérieure et de politique étrangère. Or, l’état actuel de l’Europe ne peut plus convenir à ses ambitions et à l’inéluctabilité d’un leadership à prendre à la faveur du vide actuel; d’où la nécessité d’accélérer son intégration.
Après les élections législatives françaises, un tournant majeur est attendu et que vient renforcer l’entente plus que cordiale entre Merkel et Macron, faisant oublier les réticences politiques du passé, constituant le meilleur atout pour arriver à bout des réticences populaires.
Poignée de main Caïd Essebsi – Merkel.
L’Europe au pied du mur
Merkel a dit aussi et avec raison que «l’Allemagne ne peut aller bien que si l’Europe va bien». Il nous faut agir pour la convaincre que cela est aussi vrai pour la Tunisie à l’égard de l’Europe et vice-versa, car la réussite ou l’échec de ce qui se passe chez nous sera celui de la Méditerranée, de l’Europe et même du monde. Le moment y est bien propice.
D’ailleurs, après le Brexit et l’élection de Trump, les leaders européens ont pris conscience de la nécessité de renforcer l’Union européenne (UE) en Méditerranée. Ils sont maintenant assurés que cela ne peut se faire sans le flanc sud de l’Europe intégrant le Maghreb, cette aire géographique essentielle où la Tunisie mène une expérience majeure en train de réussir quoique cahin-caha.
L’Europe n’a plus de choix, elle doit se refonder au plus vite pour retrouver le statut qu’elle mérite sur la scène internationale. Se fondant sur la volonté politique nécessaire, désormais affichée par le tandem franco-allemand, les chantiers sont déjà ouverts dans les domaines bancaire, budgétaire, militaire et migratoire.
Certes, il y a encore ce handicap majeur manifesté par l’érosion de l’idée européenne chez les citoyens d’Europe qui mettent à tort sur l’idée fédérale l’incapacité de l’Europe à les protéger et servir leurs intérêts. Or, la crise actuelle est moins due aux instances européennes qu’aux retombées de la mondialisation sur le continent, aggravées par les mauvaises réponses apportées jusqu’ici aux divers défis.
Si la volonté chez les décideurs européens ne manque plus pour relancer la construction commune, cela doit se faire sur de nouvelles bases, bien moins dogmatiques pour être plus saines. Outre le terrain social et les questions du niveau de vie, la question migratoire reste la plus cruciale. Après la libre circulation de l’argent et des marchandises, réussie en Europe et devant s’étendre aux partenaires méditerranéens, c’est la libre circulation humaine entre les deux rives de la Méditerranée qui constitue le talon d’Achille de la politique européenne, tant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur. Son échec ou sa réussite en dépend.
On doit se résoudre à comprendre que la protection des ressortissants européens implique la promotion du sort de ceux qui y sont assimilés, puisque les pays euro-méditerranéens sont éligibles au statut de protégés du fait des intérêts de l’Europe dans ces pays, intérêts aujourd’hui sans véritable contrepartie tangible aux masses, notamment les classes populaires.
C’est à ce niveau qu’il faut agir pour contrer l’état actuel du monde où rien ne va plus entre l’Europe et les États-Unis, un énorme fossé les séparant désormais sur les plans techniques de la défense, du commerce, du climat, mais aussi des valeurs cardinales qui ont fait l’Occident. Si le ‘‘Washington Post’’, pointant la richesse des potentialités de l’islam d’une Tunisie démocratique, a reproché à Trump de favoriser ses amis du golfe, hérauts d’un islam rétrograde qui est à la source des malheurs du monde, le ‘‘New York Times’’ a commenté les propos ci-dessus cités de Merkel comme constituant «un potentiel séisme». Cela suppose une logique d’action courageuse de part et d’autre de la Méditerranée pour éviter le pire.
Pour l’Europe, appelée à se refonder pour renaître de ses cendres en dépassant sa crise et celle du monde, cela implique de ne pas se limiter à un replâtrage de sa politique migratoire inepte en osant la remettre à plat et se rendre à l’évidence qu’elle est placée sur la tête, la fermeture des frontières étant la cause de l’immigration clandestine et non son antidote. La solution existe pourtant en la forme du visa biométrique de circulation dans le cadre d’un espace méditerranéen de démocratie à ériger entre l’Europe et les nouvelles démocraties du sud de la Méditerranée, comme la Tunisie, impliquant le moment venu leur intégration à l’Union.
Pour la Tunisie, cela impose de manifester sa méditerranéité par la revendication d’une telle adhésion et d’y agir intelligemment en mettant à niveau sa législation obsolète, non seulement en matière économique et financière, mais aussi et surtout sociale et sur les questions d’ordre moral, relatives à la vie privée, aux droits et aux libertés.
* Ancien diplomate.
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