Terrasses des cafés de l’avenue Bourguiba à Tunis pendant ramadan: Que c’est triste Tunis!
Si outrage il y a dans les affaires des non-jeûneurs («fattaras») de ramadan, condamnés à Bizerte, c’est d’un «outrage» à la Constitution qu’il s’agit.
C’est ce que soulignent un groupe de constituants, en réaction à la condamnation à un mois de prison de plusieurs citoyens accusés d’«outrage à la morale publique» pour avoir été pris en train de manger pendant l’horaire de jeûne de ramadan, dans la pétition que nous publions ci-dessous.
Nous Constituant-es tenions à rappeler qu’une des batailles que nous avons menées concernait l’indépendance de la justice. Nous avions des convictions et tenions à ce que notre Constitution soit à la hauteur des attentes de tous ceux et celles qui se sont battus pour les libertés et la dignité. Nous étions convaincus de la nécessité d’avoir une justice indépendante pour bâtir une démocratie. Mais l’indépendance de la justice ne la dispense pas d’être exemplaire dans son rapport à la loi et au droit et de se conformer à son rôle premier, celui de faire respecter la loi et protéger les droits et libertés.
Aujourd’hui, nous tenons à exprimer notre étonnement face à certains jugements où les verdicts sont pour le moins extrêmement curieux car portant atteinte aux droits et libertés, les deux jugements de Bizerte tout récemment illustrent parfaitement ce dérapage. Le juge censé être le protecteur naturel des droits et libertés s’est érigé en «redresseur de l’ordre moral» menaçant directement les libertés individuelles et un droit fondamental.
La liberté de religion (art6) qui recouvre deux réalités, la liberté de conscience et la liberté de pratique cultuelle, est une liberté fondamentale et absolue. Cette liberté présente dans la Constitution de 59 a été consolidée dans celle de 2014 ne contient aucune disposition limitative et renvoie à la loi qui ne peut ni porter atteinte aux libertés individuelles et à l’égalité des citoyens devant la loi (art21) ni remettre en cause l’essence même des droits et libertés (art 49)
En l’absence de texte législatif condamnant des non-jeûneurs dans l’ensemble de l’arsenal législatif tunisien, le jugement de Bizerte est non seulement anticonstitutionnel mais constitue aussi une violation du code pénal.
Dans cette affaire un juge a osé porter atteinte à la Constitution et a détourné la loi. Pour se faire, il a fait référence à un texte pris dans un chapitre du code pénal qui porte sur les agressions sexuelles et les atteintes à la pudeur et l’a utilisé en dehors de son contexte (c’est une violation manifeste du code pénal)…
Se taire face à cet abus de droit, celui de juger, c’est entériner un précédent et ouvrir la porte à une forme d’instrumentalisation des lois. Le juge n’a pas vocation à réécrire la loi mais à l’appliquer. Le principe fondateur du droit pénal, est le principe de la légalité pénale et la loi est l’unique source. Le juge possède un pouvoir d’interprétation de la loi mais l’interprétation doit être restrictive en matière pénale.
Le juge n’a pas le droit de se baser sur ses préférences personnelles mais doit appliquer la loi et en tous cas ne pas porter atteinte au texte fondamental qu’est la Constitution. Le juge du tribunal de Bizerte a soit involontairement violé la Constitution par méconnaissance et ce serait grave, soit l’a fait sciemment et c’est encore plus préoccupant.
Les constituants signataires de la pétition : Nadia Chaabane, Amira Marzouk, Monia Benasr Ayadi, Chokri Yaich, Karima Souid, Mohamed Nejib Khila, Salma Baccar, Manel Kadri, Ali Bechrifa, Mahmoud El May, Fatma Gharbi et Nefissa Wafa Marzouki.
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