La petite phrase de Béji Caïd Essebsi dans son entretien d’hier à ‘‘Essahafa’’ constituera-t-elle le début d’une clarification devenue nécessaire de ses relations avec les islamistes ?
Par Dr Slaheddine Sellami *
Beaucoup plus que le remaniement ministériel, sans grande surprise par ailleurs, ce que je retiens de la journée du 6 septembre 2017, c’est l’interview de monsieur le président de la république parue, le même jour, dans le journal ‘‘Essahafa’’. Elle constitue à mon avis le fait marquant et peut-être même un tournant dans la vie politique de la Tunisie post révolution. A moins qu’un de ses conseillers ne sorte un jour pour nous dire que la phrase «on a fait une fausse évaluation et que l’alliance n’a pas permis de ramener Ennahdha au club des partis civils» a été sortie de son contexte ou mal interprétée. Je n’en serais pas étonné car avec sa grande expérience et son passé il a laissé une possibilité d’interprétation en disant «il parait que».
La stratégie des étapes des islamistes
En tout état de cause, cette déclaration constitue un tournant surtout si on la met dans le contexte actuel, c’est-à-dire après la prise de position du président sur l’héritage et le mariage de la tunisienne musulmane avec un non musulman et la proposition de Rached Ghannouchi de rétablir le système des «habous» ou «awkaf», aboli par Bourguiba, et celle de Noureddine Bhiri sur la fin de la gratuité dans les écoles publiques.
Cette déclaration renforce la conviction de beaucoup d’entre nous qui avons toujours pensé que le parti islamiste a toujours privilégié le double langage. De fait un parti islamiste faisant partie de la confrérie des Frères musulmans ne peut jamais devenir un parti civil et laïc. Toute la stratégie de ce parti a consisté à garder le pouvoir et rester toujours dans les cercles de décisions, c’est encore le cas aujourd’hui.
Mais quelle sera la décision d’Ennahdha face à ce casus belli ? Continuera-t-il à faire partie de la coalition gouvernementale tout en la torpillant de l’intérieur ? Fera-t-il profil bas, pour continuer à profiter de la situation en attendant des jours meilleurs? Ou quittera-t-il la coalition avec le risque d’ouvrir une crise politique qui s’ajoutera à notre crise économique, financière et sociale?
La première éventualité semble la plus probable car elle correspond aux gènes de ce mouvement.
Une chose est certaine le président a eu le courage de le dire mais que de temps perdu pour le pays. Il a expliqué qu’il s’agissait de la seule possibilité qui s’offrait à son parti suite aux résultats des élections de 2014 et par la même occasion il jette la responsabilité sur les autres partis et en particulier le Front populaire, qui n’a pas su saisir la perche qui lui a été tendue.
Pour autant s’agissait-il de la seule solution envisageable en 2015 ? Je n’en suis pas du tout certain. D’autres alternatives étaient envisageables comme pousser vers des élections anticipées ou faire des concessions pour amener le FP à composer. Dans tous les cas, ces mêmes concessions sinon plus ont été faites à la centrale syndicale depuis 2015.
Alliance contre-nature et régime hybride inefficient
En tout état de cause, le résultat est clair, les islamistes ont détruit l’économie tunisienne par leurs choix erronés et nous risquons maintenant de détruire les acquis de la Tunisie, à savoir un enseignement à la portée de tous et la gratuité pour tous d’avoir accès à des soins de qualité.
Ce qui est certain, c’est que le parti islamiste a perdu une chance inouïe de montrer son attachement à la patrie en devenant un parti civil qui peut apporter des solutions aux problèmes de la Tunisie; il a montré qu’il préférait rester fidèle à la confrérie des Frères musulmans qui ont un agenda différent où même le califat, le modèle de dictature turque, et le retour au salafisme sont leur priorité.
J’ose espérer que cette interview constituera le signe d’un retour à la raison et le début d’une clarification devenue nécessaire. Le président de la république est la seule personne capable aujourd’hui de redistribuer les cartes. Sa responsabilité devant les Tunisiens et devant l’histoire sont grandes. Saura-t-il être à la hauteur de cette responsabilité?
Si on continue à accumuler les retards dans les réformes à cause de cette alliance contre-nature et de ce régime hybride inefficient, nous risquons tous de payer très cher la facture et les générations futures nous le reprocheront car le pays sera alors définitivement dans l’incapacité de se relever.
* Professeur de médecine et homme politique.
Donnez votre avis