Suite à notre article de dimanche soir intitulé ‘‘Noureddine Ben Ticha, nouveau Saïda Sassi’’, nous avons reçu une précision de la part d’un proche de Kamel Eltaïef consistant au fait que le dénommé Mohamed Chokri était le trait d’union entre Saïda Sassi et Zine El Abidine Ben Ali. Qui est ce mystérieux personnage?
Par Imed Bahri
Selon ce proche, l’homme d’affaires et lobbyiste politique Kamel Eltaïef ne connaît pas Saïda Sassi, nièce de Bourguiba, et Ben Ali non plus. M. Chokri serait l’espion de M. Ben Ali au Palais de Carthage, vers la fin du règne du premier président tunisien.
Que M. Ben Ali ne connaisse pas Saïda Sassi, on ne le pense pas car en tant que ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur puis cumulant ce poste stratégique avec celui de Premier ministre, M. Ben Ali se rendait quotidiennement au Palais et donc voyait Mme Sassi née Bouzgarrou quotidiennement puisque qu’elle ne quittait plus son oncle d’une semelle après que ce dernier ait répudié sa seconde épouse Wassila Ben Ammar, partie s’exiler à Paris dès 1986.
Dans les sous-sols du bénalisme
Revenons maintenant à Mohamed Chokri. Un mystérieux personnage. On ne lui connait aucune photo. Même son nom de famille est un prénom, Chokri comme les Egyptiens. Aucune formation. Aucun diplôme. On sait seulement qu’il est originaire de la région de Gafsa. Cependant, dans les sous-sols du bénalisme, Mohamed Chokri est une star. Qui, parmi ceux qui étaient au cœur du régime Ben Ali, ne connaissait pas et ne redoutait pas cet homme?
Mohamed Chokri n’était pas un cadre du ministère de l’Intérieur, c’était un petit agent, gadget entre les mains de Zine El Abidine Ben Ali depuis qu’il était ministre de l’Intérieur. Il était chargé par ce dernier d’espionner pour son compte Habib Ammar, ancien commandant de la garde nationale – pourtant compagnon de route de Ben Ali et un des principaux artisans du coup d’Etat médico-légal du 7 novembre 1987 – et Saïda Sassi.
M. Ben Ali en véritable sécuritaire dans l’âme n’avait confiance en personne et surveillait tout le monde, y compris les siens. Peut-être qu’il avait raison, après tout, Jules César disait: «Dieu, gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge.»
M. Chokri savait tout sur M. Ben Ali, tout. Une fois que ce dernier s’était fâché contre lui et l’avait insulté au téléphone, il est allé raconter : «Ben Ali donnait de l’argent et du cash en devises à Saïda Sassi pour qu’elle continue d’influer sur son oncle afin qu’il ne le débarque pas du ministère de l’Intérieur».
M. Chokri avait été soupçonné à un certain moment de comploter contre le président avec d’autres sécuritaires afin de mettre le président sur écoute. Ce dernier, fou de rage, menaça Chokri de le mettre en prison alors ce dernier répliqua: «Je vais prendre ma valise et je vais partir; je vais laisser le pays à Slim Chiboub.» Mais M. Ben Ali pardonnait tout et vite à M. Chokri car ce dernier connaissait tout sur lui, il est la boîte noire du bénalisme.
M. Chokri avait une dent contre le gendre influent des cinq premières années du règne de Ben Ali. D’ailleurs, après le mariage en 1992 entre Zine El Abidine Ben Ali et Leïla Trabelsi, M. Chokri se rangea du côté de celle-ci et de son clan. Il lâcha l’ancien ami du président, Kamel Eltaïef, tombé en disgrâce après le mariage, se retourna contre lui et fit partie de ceux qui le persécutèrent sous les ordres de la première dame.
M. Chokri s’acquittera de sa mission avec zèle. C’était le «Monsieur basses besognes» de l’ancien président depuis qu’il était au ministère de l’Intérieur puis son «Monsieur basses besognes» à lui et à son épouse.
L’ascension d’un larbin chargé des basses besognes
Les gens mal informés ou qui prétendent comprendre et connaître la politique et ses arcanes, alors qu’ils ne connaissent rien, ne savent pas que M. Ben Ali, en bon sécuritaire et homme du renseignement, répartissait les personnes à l’intérieur de son régime comme on répartit les objets dans des tiroirs.
Le régime était divisé et structuré entre les politiques (Abdelaziz Ben Dhia, Abdallah Kallel, Abdelwaheb Abdallah…), les technocrates (Mohamed Ghannouchi, Mondher Zenaidi, Taoufik Baccar…), les larbins chargés des basses besognes type Mohamed Chokri et la famille du président qui comportait sa famille et sa belle-famille.
M. Chokri après le 7 novembre 1987 et sous le régime Ben Ali s’est embourgeoisé. Il habita désormais à… Mutuelleville. Et c’est dans sa villa de Mutuelleville que le bourgeois Mohamed Chokri séquestra feu le juge Mokhtar Yahyaoui en 2001 après une interview incendiaire donnée à l’hebdomadaire parisien ‘‘Jeune Afrique’’ afin qu’il écrive une lettre dans laquelle il revenait sur tous ses propos prononcés dans ladite interview.
M. Chokri reçut également le titre prestigieux de gouverneur (mais sans être nommé à la tête d’un gouvernorat), l’équivalent du titre préfet hors classe en France, et fut affecté au secrétariat général du Conseil des ministres arabes de l’Intérieur, organe de la Ligue arabe, qui se trouve aux Berges du Lac de Tunis, poste bien rémunéré.
Mohamed Chokri coula des jours heureux et tranquilles en bon affairiste qui a bien prospéré pendant les années Ben Ali jusqu’à la matinée du vendredi 14 janvier 2011. Depuis ce jour, aucune trace du dénommé Mohamed Chokri. Mystère et boule de gomme.
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