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Bloc-notes : Cette fausse République qu’on fête en Tunisie

Proclamation de la république, le 25 janvier 1957.

À la veille de la fête de la République ce 25 juillet, il est plus qu’impératif de s’interroger sur le sens de ce mot et son contenu en une Tunisie baignant actuellement dans une totale confusion des valeurs, ayant amené récemment à sinon contester du moins douter de la réalité de son indépendance et la souveraineté de son peuple.

Par Farhat Othman *

Au demeurant, ce fut l’objet d’un colloque de l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques), samedi 21 juillet 2018, consacré aux défis de la souveraineté et à un projet de pacte de Tunis se voulant solution à la crise morale que traverse le pays.

La République comme la chose de tous

On sait que le mot république dérive du latin classique res publica voulant dire «chose publique». Aussi, une république qui n’est pas la chose du public est bel et bien une fausse république. Et c’est bien le cas de l’état politique de la Tunisie depuis l’instauration du régime républicain au sortir du protectorat.

Est-il utile ici de s’attarder sur la période de la dictature de Ben Ali, unanimement reconnue pour avoir été une négation de la République, fût-elle fausse. Or, elle n’a pas qu’amplifier ce qui caractérisait le temps de Bourguiba, la République ayant été sa chose propre du fait de son ego surdimensionné.

Certes, le Combattant suprême fit cela pour le bien du pays auquel il s’identifiait; mais était-ce alors le pays de tous les Tunisiens? Bourguiba n’a-t-il pas couvé lui-même le vers intégriste qui défait aujourd’hui son héritage, les Tunisiens attachés à leurs racines spirituelles ayant été exclus de la Tunisie bourguibienne voulue occidentalisée, non pas au sens de modernité, mais de rejet de ses spécificités?

Empressons-nous, toutefois, de préciser ici que notre propos n’est pas de méconnaître ou nier que la destinée de la Tunisie est d’être dans l’orbite occidentale, étant l’Occident de l’Orient. Mais juste pour rappeler que cela n’autorise pas de s’aligner sur ce qui se fait en Occident, combien même il serait désormais mauvais, et ce en se déracinant.

C’est au reste l’argument majeur qu’agitent les intégristes pour s’opposer à la moindre innovation, même si elle consolide l’identité tunisienne et ne l’altère point. C’est ce qui se passe avec le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) qui, quoi qu’on en dise, ne va pas aussi loin que le permet l’islam. Son problème est juste de ne pas s’être soucié de la religion comme fondement légitime et nécessaire de ses propositions voulues non pas laïques, mais laïcistes.

La foi est aussi la chose de tous

Comme la République, la religion doit être la chose de tous en Tunisie, une foi qui n’est pas que culte, mais culture, le pays étant civil. Car la préservation des spécificités nationales ne revient en aucune façon à verser dans ce qu’on voit dans le pays depuis la révolution, cette islamisation rampante sur une fausse lecture de la foi des Tunisiens qui n’a rien à voir avec l’état auquel est arrivé l’islam en Orient, y étant devenu un Antéislam.

Cela ne peut être le cas de l’islam de la Tunisie qui a renoué avec sa véritable identité depuis le 14 janvier 2011, date véritable de son Coup du peuple ayant été celle de la bascule de la capitale dans la contestation, ce qui a amené à la supposée fuite du dictateur et donc de la putative révolution. Aujourd’hui, la Tunisie ne peut être voulue la République des seuls religieux ou du moins d’une interprétation intégriste fausse, étant intégriste, de l’islam.

Une telle intention est pourtant avérée puisque la constitution du pays est gelée sinon niée dans sa part la plus essentielle, les droits citoyens et les libertés individuelles. On veille à ne l’appliquer que dans ses dispositions qui ne sauraient modifier en quoi que ce soit la donne législative dans le payas bien qu’elle soit celle de la dictature honnie, outre de larges pans du protectorat. Assurément, l’exemple typique en la matière demeure celui ayant trait à la Cour constitutionnelle qu’on se refuse à mettre en place de peur que la législation scélérate ne soit aussitôt abolie. Car c’est bien sur elle que reposent les abus des cercles au pouvoir, notamment ceux qui abusent de la religion en faisant une absolue immoralité, refusant au peuple ses droits et libertés dans sa vie intime.

Si l’on ne peut reprocher aux religieux d’agir dans le sens de leurs croyances frelatées de l’islam, on ne peut plus admettre l’inertie des démocrates et des supposés progressistes qui, au-delà de l’incantation, laissent faire. Pourtant, nombre d’entre eux sont députés; or, c’est par la loi que changent les choses en un État se voulant de droit. Surtout que l’initiative législative ne suppose que le nombre réduit de dix députés.

Que ne propose-t-on les textes de loi avancés par la société civile afin de détricoter les pans les plus honteux de la législation scélérate? On se satisfait de pétitionner ou de tenir des colloques alors que cela ne sert en rien à la nécessaire transformation de la donne juridique sur laquelle repose le projet théocratique qu’on veut à la Tunisie.

Nécessité d’une politique éthique, la poléthique

C’est bien d’une telle incantation que relève le dernier colloque de l’ITES qui, malgré l’ambition de son Pacte de Tunis, ne fait rien de concret. Certes, la question qui a occupé l’aréopage de personnalités, celle des défis à la souveraineté, est d’une brûlante actualité, résumant la situation en Tunisie dont la crise, comme de par le monde, est d’abord éthique.

Or, la politique ne l’est pas ou plus, bien que prétendant l’être; comme s’il s’agissait d’un oxymore, on ne peut en sortir. C’est que cela arrange trop d’intérêts nationaux comme internationaux. Nonobstant, tant qu’on n’aura pas osé concilier la politique classique et l’éthique, en faire cette poléthique à laquelle j’appelle, rien de bon ne se fera en Tunisie et dans le monde. Aussi est-il dommage que la réunion de l’ITES n’ait pas accordé l’intérêt qu’il convient à cet aspect concret et éminemment stratégique.

En effet, il ne sert à rien de parler de souveraineté nationale dans un monde plus que jamais globalisé, ou d’autonomie dans le domaine politique lorsqu’on sait comment les gouvernants actuels du pays sont arrivés au pouvoir et y sont maintenus. Tout comme il est bien secondaire d’évoquer les diktats des institutions financières internationales ou les immixtions de nos partenaires privilégiés dans les affaires intérieures du pays quand on n’a pas osé discuter de l’exception tunisienne dont on veut se réclamer et qui est bien avérée pourtant, étant même, à mon sens, une exception Tunisie, de tout le pays donc.

C’est que certaines mauvaises volontés veulent réduire la spécificité tunisienne à peu de chose, à un épiphénomène et à l’accessoire, non à ce qui fait sens véritablement, au principal. Or, ce qui fait sens dans un État de droit, c’est bien le droit, les lois. Et l’on se suffit de simildroit, d’un simulacre de légalité, qu’on cultive même dans ce jeu fameux des apparences trompeuses. Ne persiste-t-on pas à se taire sur les questions sensibles, marqueurs de modernité et autant de freins dans les mentalités empêchant le moindre changement législatif et concomitamment des comportements ? Ne s’abstient-on pas de proposer au parlement des projets de loi novateurs, comme ce code concocté par la Colibe, pour y susciter non seulement le débat salutaire, mais aboutir aussi à des lois justes et enfin honnêtes, ne lésant personne?

C’est par le débat législatif et la loi qu’on peut réaliser le changement impératif dont on ne fait que parler en propos oiseux justes bons à tromper. Aussi, outre le code de la Colibe, que ne démontre-t-on sa bonne foi et son vrai sens démocratique, à la veille de cette fête de la République et celle de la femme, le 13 août, en proposant un texte qui soit sain en des matières sensibles tels l’égalité successorale et le droit au sexe libre entre majeurs dans le cadre de libertés individuelles, assumées et respectées, mais aussi garanties par la religion du pays?

Nécessité d’un islam policé et non policier

On l’a dit, si l’on peut comprendre que les intégristes agissent contre de telles initiatives, usant de toutes les ficelles, recourant même à l’injure et à la violence, allant même à l’appel au meurtre, on ne peut admettre que ceux qui militent pour ces droits intangibles n’usent pas du moyen législatif à leur disposition ni de la seule arme qui soit réellement efficace en la matière, une arme fatale et qu’impose d’ailleurs la constitution : la référence à la religion correctement lue et utilisée comme étant favorable à une telle évolution éthique. Ainsi ôte-t-on aux intégristes leur seule arme qu’est la religion comme obstacle à la réforme législative, et qui est un bien prétexte fallacieux.

On voit bien le rapport de la Colibe susciter un fort rejet de la part de gens qui se trompent sur leur religion; or, ils sont encouragés en cela par le fait que le rapport snobe quasiment la religion au lieu d’en user comme argument supplémentaire, sinon décisif, pour asseoir la légitimité de leurs assertions. Pourtant, on a bien éprouvé le besoin de justifier la position de la commission sur l’égalité successorale; que ne l’a-t-on fait aussi pour les autres libertés, dont l’abolition de l’homophobie sur laquelle on s’est même rendu coupable d’hésitation inacceptable.

Qu’on le veuille ou non, en Tunisie, la référence à l’islam est incontournable, y compris pour les tenants de la laïcité, ne serait-ce que parce que la constitution y réfère. C’est être légaliste que d’en tenir compte. De plus, l’islam est bien laïque, en ce sens qu’il distingue clairement les sphères privée et publique de la vie, la foi n’ayant droit de cité que dans la première où le rapport est direct et exclusif entre le fidèle et son Dieu; et elle n’est nullement admise dans la seconde où l’intimité ne saurait être exhibée; où la foi est intimité par définition. Ainsi ne peut-on faire publiquement état de sa piété, sinon l’on verse dans ce que Dieu interdit comme ostentation et hypocrisie.

Il est vrai, les progressistes qui ne veulent user d’une telle arme se sentent démunis en arguments, ayant été formés selon la conception cléricale occidentale qui n’a rien à voir avec l’islam où il n’est nulle église ou clergé; or, on en a crées et qu’il urge de les détruire pour retrouver le pur islam. Aussi, nos progressistes se révèlent aussi dogmatiques que ceux qu’ils combattent, s’en retrouvant même complices objectifs, étant les meilleurs exécutants de leur stratégie consistant à ne rien modifier dans la législation liberticide du pays. Ils ne veulent pas voir, non plus, la complicité de leurs soutiens Occidentaux avec les intégristes, l’Occident jouant double-jeu puisqu’il est le meilleur complice des intégristes estimés les meilleurs serviteurs de ses intérêts mercantiles au point d’avoir noué avec lui une l’alliance qui a amené au pouvoir en Tunisie Ennahdha.

Or, il y restera tant qu’on n’aura pas démontré que l’islam qu’il prône est le plus mauvais pour non seulement les intérêts de la Tunisie dont le peuple est libertaire et hédonistes, que ceux du capital mondial qui a intérêt d’avoir affaire à une foi enfin pacifique, paisiblement vécue. Ce qui suppose d’en finir avec l’islam policier imposé à la Tunisie pour renouer avec son islam soit policé, l’islam aux racines soufies, seul vrai islam, en tout cas en Tunisie et dans tout le Maghreb.

Or, Ennhdha ne peut incarner cet islam. Pour le démontrer, il suffit de se poser les deux questions suivantes en plus de son refus de réformer la législation nationale scélérate : Ennahdha osera-t-il reconnaître le jihad armé illicite en islam aujourd’hui et admettra-t-il la normalisation des relations avec Israël ?

* Ancien diplomate, écrivain.

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