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La crise des enseignants est finie, celle de l’enseignement persistera

Les enseignants ont eu leur augmentation salariale. Mais l’enseignement est toujours en crise… 

Enfin, la crise de l’enseignement secondaire, la plus longue, la plus tendue, la plus impopulaire, mais aussi la plus carnavalesque de ces dernières décennies vient de s’achever! Mais la crise de l’enseignement en Tunisie est-elle pour autant terminée ?

Par Salah El-Gharbi *

Cette conclusion heureuse, pour les enseignants qui vont bénéficier d’une augmentation de leur pouvoir d’achat et de certains avantages en rapport avec la retraite, ne peut être que saluée par une population excédée par des mois de tension permanente où l’on a tout vu, tout entendu, mais jamais compris comment une crise syndicale puisse déchaîner autant de passions, susciter autant d’animosité et diviser autant les Tunisiens.

Une communauté violente et capable de toutes sortes d’outrances

Au-delà des polémiques politiciennes et des querelles pseudo-syndicales, si cette longue crise avait un mérite ce serait celui de nous avoir révélé ce que nous sommes: une communauté violente et capable de toutes sortes d’outrances.

En effet, il est déplorable de constater que des divergences entre une catégorie de fonctionnaires avec leur employeur, en l’occurrence l’Etat, amplifiées et hystérisées, se transforment en une sorte de guerre sans merci, que des revendications salariales qui, au demeurant, sont légitimes, soient revêtues d’une dimension dramatique comme s’il s’agissait de vie et de mort…

Une fois encore, les scènes pathétiques, les postures tragi-comiques et les propos enflammés et excessifs dont tous les Tunisiens ont été, ces derniers temps, témoins montrent bien la gravité de la crise que vit l’école tunisienne depuis presque quatre décennies. Tout converge pour dire que notre école est réellement malade et que si elle dans cet état de délabrement, c’est à cause des politiques menées dès le début des années 80, lesquelles n’avaient jamais été que de l’improvisation, du rafistolage, gérées par une administration centrale animée par la cupidité, le clientélisme, l’opportunisme…

Satisfaire les syndicats ou rendre le système éducatif plus performant ?

Hormis, le court passage, au début des années 1990, de Mohamed Charfi, qui reste le seul ministre à avoir eu une véritable stratégie cohérente capable de donner un nouveau souffle à notre école et de la doter d’une réelle mission, avec Zine El Abidine Ben Ali, ce fut le désordre ordonné, une machine qui fonctionnait à vide et dont nous venons d’en subir les conséquences. L’ancien président, obsédé uniquement par le pouvoir, se servant de la politique de l’évitement, avait soin de satisfaire les parents plutôt que de rendre le système éducatif plus performant, répondant à l’évolution et aux exigences du marché du travail.

En somme, victime des choix économiques et politiques brumeux, l’école a été bradée, sacrifiée à l’autel des guerres idéologiques et de l’opportunisme des ministres qui se sont succédé à Bab Benat, depuis 2011. Le premier d’entre eux, un ancien syndicaliste, voulant réparer l’arbitraire de l’ancien régime, a ouvert la voie aux syndicats de l’enseignement qui, depuis, ne font que renforcer leur mainmise à tous les échelons.

Aujourd’hui, tout le monde est terrorisé par le pouvoir croissant du syndicat. À titre d’exemple, les cours ne commencent jamais à l’heure. «Je ne peux rien. Si tu entres dans la salle de professeurs pour leur demander de regagner leurs classes, tu risques de te faire engueuler. Pour un rien, tu n’es pas à l’abri d’un arrêt instantané du travail… Tu n’es même pas protégé par tes supérieurs…», m’a confié, un jour, le directeur d’un lycée de l’Ariana.

Le syndicat était dans son droit lorsqu’il a exploité de la faiblesse de l’autorité publique. En fin de mandat, l’exécutif étant affaibli par les dissensions et les manœuvres politiciennes, les syndicalistes ne pouvaient que profiter de la brèche.

Mettre la «rationalité» au cœur de l’apprentissage

Maintenant que les enseignants viennent d’obtenir satisfaction, il serait temps de prendre du recul, loin des postures carnavalesques, et de commencer à débattre dans sérénité sur «l’Ecole de Demain» en apprenant des erreurs commises par le passé. Quelle école voulons-nous? Ce serait la véritable question.

L’urgence serait de réhabiliter, effectivement, l’école primaire où les citoyens de demain devraient apprendre le «vivre ensemble», comment accepter l’autre dans sa différence, comment gérer la pluralité, surmonter les conflictualités, rien que pour ne plus assister aux scènes cauchemardesques de ces derniers temps.

Cette école à laquelle nous devons aspirer, devrait dispenser plus que le savoir. Elle devrait mettre la «rationalité» au cœur de l’apprentissage, laquelle reste le seul rempart contre la pensée daéchienne.

Aujourd’hui, il est désolant de constater qu’une partie, de plus en plus importante, de nos ingénieurs, médecins… qui tout en ayant accès au savoir le plus à la pointe du progrès, n’arrive pas à vaincre la part de l’irrationnel qui sommeillent en elle, comme il est terrifiant de constater aussi nos «scientifiques» se révèlent être les plus séduits par les thèses les plus passéistes et les plus rétrogrades.

* Universitaire et écrivain.

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