Accueil » Fakhfakh, victime collatérale d’Ennahdha dans sa guerre contre Saïed

Fakhfakh, victime collatérale d’Ennahdha dans sa guerre contre Saïed

Fakhfakh sacrifié par Ghannouchi sur l’autel de son bras-de-fer avec Saïed. Et pour les beaux yeux de Nabil Karoui.

En tant que parti monolithique et hégémonique, le mouvement islamiste Ennahdha supporte le système aussi longtemps que ses intérêts le commande, lesquels passent avant toute autre considération. Le chef de gouvernement désigné Elyès Fakhfakh vient d’en faire l’expérience à ses dépens.

Par Yassine Essid

En déclarant qu’il se retire du gouvernement et qu’il ne votera pas la confiance au candidat Elyès Fakhfakh, Ennahdha vient en fait de notifier à Youssef Chahed que son bail sera prorogé de quelques mois. Tout nous porte à croire que le gouvernement démissionnaire chargé de traiter les affaires courantes restera donc un exécutif de plein exercice bien qu’amputé de nombreux ministres et ce jusqu’aux prochaines élections législatives anticipées.

Malgré l’interminable jeu de balancier d’Elyès Fakhfakh entre Carthage et le Bardo, le processus de formation du gouvernement n’a donc pas abouti au motif du non-élargissement du cercle de la coalition gouvernementale à Qalb Tounes.

En rejetant la liste soumise par Elyes Fakhfakh au chef de l’Etat, déclarant qu’il se retire du gouvernement tel qu’il a été composé, Ennahdha a décidé, au même titre que son colistier, de faire de l’intransigeant Premier ministre putatif la victime collatérale d’une épreuve de force engagée depuis les élections entre l’insidieux Kaïs Saïed et son sournois ennemi Rached Ghannouchi.

On ne peut faire plaisir à tout le monde

Les négociations régulières et assidues de Elyès Fakhfakh nous font penser au travail laborieux des navibotellistes, ces artisans appliqués qui passent un temps interminable à construire des répliques de bateaux dans des bouteilles introduisant en une à une de petites pièces du navire en miniature par le goulot, avant de les coller par étape à l’intérieur. Une savante supercherie habilement exécutée mais impliquant la substitution du faux au vrai.

En effet, pendant presqu’un mois, la communication des uns et des autres, engagés dans des négociations difficiles, entrevues, et consultations sans fin, présentait elle-même un déficit de confiance alors qu’elle était censée susciter ou restaurer la confiance que les citoyens ont dans l’homme politique ou dans la politique. Les interventions portaient toutes sur les positions des uns et des autres mais jamais sur des programmes ou des mesures à appliquer d’urgence, en mettant en avant des valeurs communes susceptibles, de provoquer l’adhésion, par la pédagogie, par la raison; donner l’illusion que le futur gouvernement sera engagé non seulement à désamorcer les conflits, mais aussi à sortir le pays de la nasse du sous-développement et l’adapter au rythme imposé par la mondialisation. Or pour faire plaisir à tout le monde autant faire entrer un chameau par le chas d’une aiguille.

La confiance se trouve au cœur même du pouvoir : elle se marque dans la demande de confiance émanant des candidats et dans l’élection, c’est-à-dire dans le choix de celui auquel on accorde crédit. Le mandat donné par le vote est ainsi porteur de la confiance que les électeurs placent dans les élus. Par ailleurs, le vote de confiance réclamé par le gouvernement à l’Assemblée cherche à réinstaller la réassurance et la lisibilité du lien de réciprocité, marquant par le vote l’approbation et le soutien des députés à l’action et aux choix du gouvernement.

La démocratie à l’épreuve de la confiance

En démocratie, la confiance occupe une place cruciale : non seulement le citoyen, pour élire son représentant, doit lui faire confiance, mais cette confiance doit durer tout au long du mandat. De plus, cette confiance de l’électeur ne doit pas seulement porter sur l’homme qu’il choisit, mais aussi sur le système politique dans son ensemble. De son côté, l’homme politique a besoin de la confiance des citoyens pour être élu et pour gouverner. Et cette confiance est mesurée lors des élections et du vote de confiance au gouvernement.

Ennahdha, qui a profité de la confiance d’une majorité de votants, a eu l’occasion, conformément aux textes de la Constitution, de présenter son propre candidat. Celui-ci n’avait guère réussi à conquérir la confiance d’une majorité de représentants et s’est trouvé aussitôt rejeté dans les limbes de l’oubli. Le second candidat, sujet d’une relation de confiance politiquement établie cette fois avec le président de la République, a été chargé à son tour de former le gouvernement.

Dans le cas présent, le candidat ne s’est engagé qu’à l’égard de celui qui lui a donnée sa confiance et qui le reconnaît et l’accepte comme son mandataire. Ennahdha n’étant pas engagée d’autorité dans le processus de formation du gouvernement, la relation avec Elyès Fakhfakh s’est trouvée dès le départ mise à mal par un climat de méfiance compte tenu des appétits insupportables des islamistes au sujet des portefeuilles régaliens et celui des TICs. La confiance s’est alors transformée en défiance et l’engagement d’Ennahdha s’est mué en rupture dans la mesure où, aux yeux de ses dirigeants, la confiance a été détournée de son objet devant l’intransigeance du Premier ministre putatif qui persistait dans son refus à ne pas élargir le cercle de la coalition gouvernementale, autrement dit à Qalb Tounes devenu l’appendice et le prolongement d’Ennahdha à l’Assemblée.

Si la confiance est bien la base de la démocratie elle est aussi indispensable pour donner du sens à la vie politique, pour légitimer l’homme politique et pour rendre acceptable la communication politique. Défaillante, elle engagera immanquablement la nation dans une grave et profonde crise politique qu’un pays qui affiche 1% de croissance économique est incapable de supporter.

La méfiance des Tunisiens vis-à-vis des politiques va s’accroître
La plupart des Tunisiens avaient déjà une image bien dégradée de la politique, désormais elle risque de ne leur inspirer que le mépris ou le rejet, au pire, le désintérêt.

Chassez le naturel il revient au galop. Malgré ses discours apaisants, Ennahdha n’est jamais à la recherche d’un idéal de partage des mêmes valeurs, de même que la démocratie ne constitue pas pour lui un absolu politique en adéquation avec la raison et la justice. Or la confiance suppose une réciprocité, un contrat entre deux parties; la démocratie exige que le gouvernement croie en la vertu, et que les citoyens ajoutent foi à la vertu de leurs représentants.

Mais un parti hégémonique supporte le système aussi longtemps que son intérêt le commande. Ce qui n’a pas été le cas.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!